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L'autre loi de 1975 : une copie à revoir !

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Certains jugent la loi sur les institutions sociales et médico-sociales obsolète, inopérante, d'autres au contraire louent sa richesse, même s'ils s'accordent sur la nécessité de lui donner un nouvel élan. Le rapport de l'IGAS, bientôt rendu, pourrait accélérer sa remise en chantier.

Quelle était donc l'ambition de la loi de 1975 sur les institutions sociales et médico-sociales ? Elle comporte, écrivait-on dans les ASH en 1976 (1), «  trois parties qui n'ont que des rapports lointains entre elles »   : la coordination des institutions sociales et médico-sociales  la création d'un service départemental d'action sociale se substituant au service social départemental existant alors  des dispositions relatives aux établissements de formation des travailleurs sociaux. Une loi fourre-tout ? Peut-être, dans la mesure où le législateur a souhaité y rassembler divers principes relevant du champ social et médico-social, par opposition au secteur hospitalier qui avait donné lieu à une loi cinq ans auparavant (la loi hospitalière du 31 septembre 1970).

L'objectif de coordination des institutions médico-sociales répondait à un double impératif : plus de rigueur dans l'engagement des fonds publics et plus de souplesse dans les réponses aux besoins.

Aujourd'hui, que reste-t-il de cette loi, «  baptisée à tort “loi sociale ” », comme nous l'écrivions ? Son 20e anniversaire a, ces derniers mois, précipité les réflexions, même s'il n'est pas neuf de s'interroger sur son adéquation ou ses insuffisances, principalement en matière de planification, d'autorisation et de tarification des établissements et des services. L'inspection générale des affaires sociales (IGAS) a d'ailleurs remis cette semaine un rapport à Pierre Gauthier, le directeur de l'action sociale, sur sa future révision. La Cour des comptes y réfléchit aussi actuellement. L'Uniopss, diverses grandes associations et de nombreux professionnels questionnent, proposent également à son sujet. De fait, on ne peut dénier que la lisibilité et la cohérence données au secteur social et médico-social en 1975 par René Lenoir ont largement été remises en question depuis. Notamment par la grande lame de fond de la décentralisation. Même si la « loi particulière » en 1986 est venue adapter au secteur la nouvelle répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales (2). Il n'en reste pas moins que les rôles ne sont toujours pas clairement partagés, notamment entre préfet et président de conseil général.

Un paysage complexe

Le paysage du secteur social et médico-social s'est par ailleurs, depuis 1975, largement complexifié jusqu'à, dans certains secteurs, offrir une photographie bien floue. Autre réalité incontestable : la loi, y compris les compléments et les modifications introduites ultérieurement, laisse sur le bord du chemin une foule de structures nouvelles qui n'ont pas de reconnaissance ni de statut précis.

C'est l'un des points auquel il est urgent d'apporter une réponse, estime Marcel Jaeger, directeur adjoint de l'école de Buc, dans les Yvelines. « Il faut légaliser les structures comme les foyers d'hébergement, les services de suite et d'accompagnement ou encore les foyers occupationnels, qui n'ont pas de fondement légal. » Selon lui, la loi de 1975 doit aussi être revue dans son articulation entre le secteur sanitaire et le secteur social et médico-social, même s'il estime que la création des CNOSS et des CROSS (les comités nationaux et régionaux de l'organisation sanitaire et sociale), en juillet 1991, est un premier pas dans le rapprochement de ces différents champs (3).

L'analyse de l'Uniopss ne diffère pas fondamentalement. Un groupe de travail sur cette loi a rendu un rapport en septembre dernier (4). Si pour ses différents membres «  la loi de 1975 représente un socle de cohérence, un ensemble de références riches et équilibrées qui concilient des contraires apparents », c'est surtout sa méconnaissance qu'ils mettent en avant. Plus que la nécessité d'une réforme, il faut surtout, et c'est leur credo, favoriser une meilleure utilisation de cet outil législatif. Pour autant, ils ne nient pas la nécessité de certaines « améliorations ». Exemples : une meilleure maîtrise de l'évolution des établissements (perspective pour laquelle les outils manquent, regrettent-ils, en particulier dans le domaine de l'analyse des besoins) et une plus grande souplesse dans les procédures de reconnaissance des établissements. Actuellement, ce serait « le tout ou rien »  : on a d'un coté des normes rigides et une procédure lourde  de l'autre, on trouve beaucoup d'établissements ou d'activités qui sont hors-champ comme les « foyers à double tarification », les centres d'adaptation à la vie active (CAVA) ou bien encore l'aide à domicile. Ils proposent que le champ de la loi soit élargi et que la liste des établissements ne relève plus de la loi, trop lourde à faire bouger, mais d'un décret qui pourrait être ajusté sur proposition du CNOSS. Enfin, autre suggestion de ce groupe de travail : mieux articuler droits des usagers et droits des institutions. Ils regrettent que, ces dernières années, l'affirmation de droits (au logement, à l'insertion, etc.) n'ait pas été accompagnée d'une politique d'encouragement à créer des services et des activités pour y répondre.

Le devenir de la loi

Patrick Risselin, chargé de mission à la DAS, résume par quelques questions les interrogations actuelles sur la loi de 1975 et ses perspectives d'évolution (5). Comment dépasser les facteurs de blocage du secteur social et médico-social et son « splendide isolement » qui entravent son développement pourtant nécessaire, interroge-t-il notamment ? La loi doit-elle, à l'exemple de la loi hospitalière, devenir pleinement un instrument de régulation des besoins et définir ainsi des mécanismes de programmation quantitative, questionne-t-il encore ?

Alors, quel pourrait être, justement, le devenir de cette loi ? Là aussi, l'ampleur, la forme ou l'urgence des réponses varient. Au final, de toutes les façons, la décision sera bien évidemment politique. Et la mise en chantier, ces derniers mois, de textes législatifs fondamentaux, sans qu'ils trouvent, pour l'heure, d'aboutissement, laisse mal augurer d'une remise à plat rapide de la « loi sociale ». A moins, suggère Marcel Jaeger, de faire de la rénovation de cette loi de 1975, une occasion de faire le point en profondeur sur une approche globale des personnes en difficulté, c'est-à-dire des « exclus ». Autrement dit, de réfléchir à une loi-cadre contre l'exclusion en repensant la cohérence du secteur social et médico-social, et en opérant de nouveaux choix stratégiques. «  Mais je crains que l'on se contente de replâtrages ou de minces éclairages sur quelques zones d'ombre. » En attendant que les voies à suivre se précisent, le cas échéant l'année prochaine (voir l'interview ci-contre), l'idée fait son chemin que l'on ne pourra plus « progresser » dans le secteur social et médico-social tant que l'actualisation de la loi de 1975 restera en suspens.

Laure Lasfargues

PIERRE GAUTHIER : MODERNISER ET ADAPTER LA LOI DE 1975

ASH : La loi sur les institutions sociales et médico-sociales vous paraît-elle inadaptée ? P. G.  : Je n'irais pas jusqu'à dire que cette loi est obsolète - mais plutôt qu'elle doit être modernisée. Elle reste valable dans sa philosophie initiale. C'est une loi d'organisation et de reconnaissance du secteur social et médico-social. Elle l'a légitimé et lui a donné une autonomie par rapport au sanitaire. Mais la coupure profonde entre ces deux secteurs doit être dépassée. En effet, nous nous trouvons face à des questions que nous ne pouvons plus traiter sur un seul versant. Par ailleurs, c'est une loi de procédures : par rapport à cet aspect technique, il y a aussi nécessité de modernisation. Parce que depuis 1975, plusieurs « cyclones » sont passés sur elle : celui de la décentralisation, celui de contraintes financières renforcées, mais également celui de l'évolution des pratiques sociales et des besoins des populations. Il ne s'agit pas de « déconstruire », et moins d'enrichir, que d'adapter. Il y a 20 ans, les institutions, c'étaient les établissements. Aujourd'hui, les politiques et les modes de prise en charge ont évolué. Un exemple avec une priorité bien affirmée aujourd'hui comme le maintien à domicile : le secteur de l'aide à domicile n'est quasiment pas traité dans cette loi. C'est une de ses insuffisances. ASH : Dans quel sens pourrait être envisagée cette modernisation ? P. G.  : Il faut, je pense, aller au-delà d'un simple toilettage. Pour prendre en compte l'essor de nouvelles pratiques, mais aussi pour resituer l'usager. Beaucoup plus que cela n'a été fait en 1975, il est important de mettre l'accent sur leurs droits. Des textes existent maintenant, qui représentent une avancée, comme par exemple ceux instituant les conseils d'établissement, ou ceux qui mettent en avant les projets d'établissement et les projets individualisés. A leur suite, si on modernise cette loi, il faudrait, plutôt que de commencer par la définition des institutions comme c'est le cas actuellement, commencer par l'affirmation des droits des usagers. Parmi les autres points à réviser : les règles de planification qui conduisent à allouer des ressources au secteur social et médico-social. Cette distribution est actuellement plus anarchique que rationnelle. C'est un des échecs de la loi de 1975. Par ailleurs, parce que ce champ se développe actuellement, un redéploiement des ressources, une accélération des procédures de schéma (ainsi qu'une valorisation du rôle du CNOSS) sont nécessaires. Et puis, il est important de trouver les moyens d'une meilleure légitimation du secteur public. ASH : Quand et comment est-il réaliste de mettre en route un tel chantier ? P. G.  : C'est un dossier dont il est clair que l'urgence relative ne doit pas empêcher de procéder, le plus en amont possible, aux concertations indispensables. Mais le rapport qui est sur le point d'être remis par l'IGAS est une étape importante. Il apportera notamment un éclairage régional très intéressant. D'autant que ses conclusions convergent avec d'autres travaux. Il donnera tous les éléments au gouvernement pour engager la modernisation de cette loi. Celle-ci se fera en concertation avec tous les partenaires concernés !Restera à articuler cette révision avec le calendrier parlementaire. Il est très chargé, notamment sur le volet affaires sociales ! Et la priorité est à d'autres chantiers, dont certains auront d'ailleurs des incidences sur le champ social et médico-social. Ainsi le PNIU et la loi sur l'exclusion. Cette dernière pourrait apporter des réponses en termes d'aménagement du statut juridique des CHRS et des nouvelles formes de prise en charge de l'exclusion. C'est une question qu'il est urgent de traiter. La loi-cadre de lutte contre l'exclusion pourrait aussi comporter un volet sur la formation des travailleurs sociaux. Il faut aller vite, par contre, sur ce sujet sans attendre la révision de la loi de 1975. Autres chantiers législatifs qui pourraient avoir des influences sur le champ social et médico-social : la réforme de l'Etat, par rapport à la répartition des compétences avec les collectivités territoriales, mais aussi la création de la prestation d'autonomie, pour ce qui est de l'articulation entre les différents types de financements et de structures, et enfin le plan sécurité sociale. Les apports de ces réformes pourraient alors être intégrés dans une modernisation future de la loi sur les institutions sociales et médico-sociales. Je pense que l'on y verra plus clair d'ici à fin 1996. Propos recueillis par L. L. Pierre Gauthier est directeur de l'action sociale au ministère du Travail et des Affaires sociales.

Notes

(1)  Loi n° 75-535 du 30 juin 1975 - Voir ASH n° 1039 du 12-11-76.

(2)  Loi n° 86-17 du 6 janvier 1986, voir ASH n° 1487 du 21-02-86.

(3)  Voir ASH n° 1754 du 11-10-91.

(4)  Composition : Uriopss Ile-de-France (B. Coste), Nord-Pas-de-Calais (B. Delaval), Picardie (L. Mauduit), PACA (B. Delanglade), Rhône-Alpes (H. Allier), Uniopss (C. Chonot). Uniopss : 133, rue Saint-Maur -75541 Paris cedex 11 - Tél. 1 53.36.35.00 - Voir l'article sur le sujet dans Union sociale n° 85.

(5)  Voir dans les Ecrits de BUC  (1bis, rue L.- Massolle - 78530 Buc - Tél. 1 39.20.19.94.) - Décembre 1995 : compte rendu du colloque sur « le devenir des lois de 75 »  - Voir ASH n° 1927 du 19-05-95.

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