Dans un rapport élaboré conjointement avec les chambres régionales, la Cour des comptes formule une appréciation contrastée sur les conditions de mise en œuvre des compétences d'aide sociale, plus de 10 ans après leur répartition entre l'Etat et les départements.
Au terme de l'enquête qu'elles ont menée, les juridictions financières constatent que si la décentralisation de l'aide sociale a donné de bons résultats (absence de rupture dans le service des prestations, non aggravation des disparités régionales), ses principaux objectifs n'ont cependant été que partiellement atteints.
La Cour des comptes relève, en premier lieu, les limites de la clarification des compétences opérée par la loi du 22 juillet 1983. « Ce souci de clarifier les attributions respectives de l'Etat et des départements n'a pas permis d'atteindre l'objectif initial de confier aux différentes collectivités publiques de véritables blocs de compétences », notent les rapporteurs. Au contraire, « les difficultés rencontrées dès l'origine pour instituer des champs d'intervention homogènes et autonomes, fondés sur des critères clairs, se sont traduites par le maintien de compétences partagées entre l'Etat et les départements ». Une difficulté qui s'est accrue, depuis lors, par la création de nouveaux dispositifs de lutte contre l'exclusion, comme le RMI, associant, parfois à parts égales, l'Etat et les collectivités départementales dans leur financement et leur mise en œuvre.
Parallèlement, la multiplicité des intervenants dans le domaine de l'aide sociale se heurte à une absence de coordination « préjudiciable à l'efficacité des politiques d'aide sociale », déplore la Cour. Et d'évoquer le manque de concertation relevé au stade de la définition et de la mise en œuvre des politiques à destination des mêmes publics, les distorsions qui expliquent pour partie l'existence de placements de personnes âgées ou handicapées dans des structures inadaptées. Enfin, la Cour regrette « l'absence de chef de file dans la gestion de l'aide sociale qui a abouti à ce qu'aucun véritable dispositif d'évaluation, de suivi et de contrôle des prestations n'ait été mis en place, tant à l'échelon national que départemental ».
Autre constat, l'accélération sensible des dépenses d'aide sociale s'est traduite par des tensions nouvelles sur les budgets départementaux. Pour les rapporteurs, celles-ci s'expliquent à la fois par la diminution relative des recettes perçues au titre de la participation des bénéficiaires de l'aide sociale et des communes, par la diminution des ressources fiscales indirectes (transférées en compensation de la décentralisation de l'aide sociale) et par le poids de plus en plus élevé des dépenses d'aide sociale dans le budget de fonctionnement des départements.
L'institution note également que « les moyens mis en œuvre n'ont pas encore permis aux départements d'exercer pleinement leurs nouvelles compétences ». S'agissant de la prise en compte des besoins des usagers et de la gestion des moyens des services, « ils ont tardé à mettre en place les politiques et les instruments attendus et, là où ils existent, ils sont souvent partiels et imparfaits ».
Au-delà de ce constat critique, la Cour des comptes formule un certain nombre de propositions. Au niveau juridique, elle préconise notamment de doter d'une base légale les services d'auxiliaires de vie ainsi que l'ensemble des établissements d'hébergement pour les personnes handicapées et de fixer une date limite pour l'adoption par les départements du règlement départemental d'aide sociale et du schéma départemental des équipements et des services. Parmi les aménagements financiers qu'elle juge souhaitable, elle propose que soit clarifié, dans les établissements pour personnes âgées ou handicapées, le partage entre les dépenses de soins, prises en charge par l'assurance maladie, et les dépenses d'hébergement, relevant du département. Enfin, au niveau administratif, les rapporteurs suggèrent que soit assurée la représentation des départements au sein des Cotorep sans toutefois remettre en cause leur caractère médical et technique et que soit créée une instance de coordination départementale réunissant les principaux acteurs du champ social, dotée d'une mission de programmation, de concertation et d'évaluation des dispositifs d'aide sociale.
S'il juge le diagnostic de la Cour « pertinent », Jacques Barrot estime qu'il appelle toutefois quelques « précisions, nuances ou correctifs ». S'agissant des placements inadaptés notamment d'enfants atteints de difficultés psychologiques, le ministre du Travail et des Affaires sociales estime que ces « dysfonctionnements ne sont pas exclusivement imputables à la dualité financière des prises en charge mais procèdent également de la difficulté pour les personnes ou les équipes chargées du suivi de l'enfant de se coordonner ». Jacques Barrot juge enfin le travail de la Cour comme étant « une réflexion d'ensemble nécessaire pour approfondir et consolider la décentralisation de l'aide sociale » et retient notamment la proposition consistant à généraliser l'obligation d'élaborer des schémas départementaux, voire régionaux, des équipements sociaux et médico-sociaux.
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