Recevoir la newsletter

Social et territoire : l'évolution des pratiques

Article réservé aux abonnés

Comment le travail social, et en particulier le service social, peut-il s'inscrire dans un processus d'aménagement du territoire et une démarche de développement local ? Questions au 50e congrès de l'ANAS.

L'action sociale n'a jamais préoccupé véritablement les ordonnateurs de l'aménagement du territoire. Le retour en force d'une politique de planification et de développement affichée par la loi du 4 février 1995 annonce-t-elle un renversement de tendance (1)  ? Comment le travail social s'inscrit-il dans le développement local ? Quels sont ses territoires pertinents d'intervention et quels en sont les enjeux pour le service social ? Questions d'actualité judicieusement posées par l'Association nationale des assistants de service social (ANAS) à l'occasion de son 50e congrès (2).

Après l'échec de l'interventionnisme étatique d'après-guerre et le laisser-faire des années 75-80, l'aménagement du territoire reprend un second souffle. La loi du 4 février 1995 pose de grands principes (unité et solidarité nationale, assurer l'égalité des chances, corriger les inégalités, etc.) et rappelle que toutes politiques, y compris sociales, contribuent à l'objectif d'aménagement et de développement par le biais d'un schéma national et de schémas régionaux. Lesquels vont devoir prendre en compte la création de pays (une quarantaine sont en cours d'expérimentation), regroupant des territoires cohérents en même temps que sont définies des « zones urbaines et rurales très prioritaires ».

D'autres modes d'intervention

Voilà donc une autre (?) dimension du territoire axée sur le développement local alors même que le social reste, dans le cadre de cette loi, apparemment à la marge. « Le pari est loin d'être gagné, estime Jean-Claude Nemery, doyen de la faculté de droit de Reims, tant les contradictions sont fortes »   : comment en effet accroître la compétitivité des territoires et garantir l'égalité d'accès aux services publics et aux grands moyens de communication ? Comment concilier grands espaces d'intervention et réponses de proximité, développement économique et territoires disqualifiés ? Si l'organisation territoriale devient aujourd'hui un facteur déterminant du développement économique et social, « ce dernier joue désormais un rôle moteur dans le processus d'exclusion », souligne pour sa part Claude Chalon, directeur d'un bureau d'études à Dôle (Jura). Le niveau national n'étant plus en mesure de faire face, il faut trouver d'autres modalités d'intervention. Les politiques locales prennent le relais « en essayant de faire que le lieu crée du lien ». Signe de l'ambiguïté des politiques publiques actuelles qui, en quelque sorte, se défaussent sur les collectivités territoriales à la fois pour produire la norme et l'adapter à des populations-cibles (jeunes, bénéficiaires du RMI, personnes âgées, etc.). Non sans faire resurgir régulièrement une question fondamentale pour l'évolution de l'action sociale : faut-il préférer leur intégration par le droit commun ou une politique de discrimination positive, ou bien conjuguer les deux (pour l'accès aux soins des plus démunis, par exemple)  ? De quoi rendre perplexes, il faut le reconnaître, les travailleurs sociaux qui exercent leur art sur des territoires à facettes multiples :géographique, institutionnel, humain, professionnel, administratif et politique aussi. Surtout depuis la juxtaposition, ces dix dernières années, de ces fameux dispositifs d'action sociale territoriaux (RMI, politique de la ville, d'insertion des jeunes, etc.) qui s'insèrent dans un système de décisions éclaté et renvoient souvent à des logiques verticales quand ils supposeraient une recherche accrue de transversalité. Les professionnels - et les assistantes de service social en particulier - doivent trouver le juste espace d'intervention et ajuster leurs pratiques à la suprématie rédemptrice du local. Reste à dépasser un certain nombre de contraintes.

La redécouverte du développement local

Concernant d'abord le cadre et la méthode d'intervention. Le développement local revient sous les feux des projecteurs, comme si l'on découvrait la lune. « N'oublions pas que la Mutualité sociale agricole a été pionnière en ce domaine et possède un savoir-faire éprouvé », rappelle Marie-Thérèse Paillusson, ex-présidente de l'ANAS et adjointe au maire d'une commune de Loire-Atlantique. « Réaliser un diagnostic, mettre en œuvre un programme finalisé sur un territoire, travailler avec les élus de plusieurs communes, les assistants sociaux de cet organisme le font depuis près de 20 ans ! Les assistantes territoriales doivent investir cette démarche, non pas se replier dans une attitude attentiste », lance-t-elle en guise de provocation.

Même message de la part de la délégation interministérielle à la ville et de la DATAR. « On ne viendra pas vous chercher mais nous avons besoin de votre capacité d'expertise. Investissez les lieux de concertation et de délibération, trouvez des espaces de projet », insiste Paulette Pommier, chargée de mission (DATAR). La réponse ne peut plus être d'ordre social. Or, en réorganisant le travail social territorial, beaucoup de départements continuent à « le cantonner dans une gestion purement sociale alors que l'intervention des travailleurs sociaux doit s'inscrire dans un éclatement des réponses à la fois économique, culturelle, etc. et prendre en compte la société civile », renchérit Marie-Thérèse Paillusson. A la base, certaines réactions ne se font pas attendre avec un goût étrange de « revival » mêlant, pêle-mêle, l'impossibilité de se faire entendre des élus, les contraintes du salarié face à son employeur, les logiques de concurrence institutionnelles et l'absence de formation ad hoc pour faire de l'action collective et du développement.

Une profession prête au changement

D'autres témoignages, nombreux, semblent néanmoins attester que la profession serait désormais prête à faire face au changement, qu'il soit imposé ou volontaire, qu'il induise une perte ou un renouveau de l'identité professionnelle, qu'il signe un élargissement indispensable ou obligé des représentations de l'action sociale propre au service social. Ce changement se traduit, on le sait, par de nouvelles missions, des fonctions différentes autour de projets, la mise en place de stratégies avec la population sur de nouveaux territoires d'intervention dans une démarche de développement. Encore faut-il que la politique sociale de l'employeur soit suffisamment lisible et cohérente pour que le service social s'y retrouve.

Du côté des conseils généraux, la politique menée par le Territoire de Belfort a de quoi séduire les professionnels à la recherche d'un patron pilote. A travers le discours de son président accusant les élus locaux de renoncer à leurs responsabilités, au désespoir des citoyens, les partenariats de fonctionner selon un mode quasi maffieux qui satisfait les ambitions de tous et de chacun alors que les collectivités territoriales ont pouvoir et moyens d'agir. A travers son mode de gestion du territoire ensuite. Pour plus d'efficacité, Christian Proust prône un aménagement du territoire fondé sur l'organisation de réseaux territoriaux, des actions concertées et des politiques sociales locales coordonnées. Et un partenariat qui implique pour tous les acteurs transparence et prise de risque. Dans son département (135 000 hab.), les services territoriaux d'action sociale ont été reconvertis en sept Points d'accueil solidarité. Ouvert tous les jours au public, l'accueil est réalisé par l'ensemble des travailleurs sociaux « qui représentent le service et non pas une profession ». Les usagers sont ensuite orientés selon le problème à traiter. Les éducateurs de rue ont été intégrés dans ces équipes territoriales, la mission des Points étant axée sur le renforcement de la prévention. Avec la réhabilitation des... visites à domicile des assistantes sociales. Preuve qu'il faut se garder d'inventer trop vite de « nouveaux métiers », mais pencher en revanche pour l'évolution de la profession. Une solution pour remporter l'adhésion des personnels à cette nouvelle dimension : consacrer, comme le fait le conseil général de Belfort, plus de 4 % de la masse salariale à la formation continue.

Autre versant d'une même approche, le service social spécialisé élargit, lui aussi, son territoire. Ainsi, le service social hospitalier doit-il tenir compte de l'ouverture de l'hôpital sur la ville, du fonctionnement en réseaux de proximité (ville-hôpital, sida, etc.), de la multiplicité des partenaires. « Notre façon d'intervenir a changé », analyse Claudine Maurey-Forquy, responsable du service social de l'hôpital Necker à Paris. « Compte tenu des alternatives à l'hospitalisation qui réduisent les séjours et de l'aggravation des problèmes sociaux, nous intervenons davantage sur le long terme. L'hôpital, comme service de proximité, accueille des populations plus mouvantes  nos partenaires sont moins facilement identifiables. Nous devons nous répartir les rôles autrement avec nos partenaires. » Comme avec le secteur associatif : cette complémentarité est indispensable pour certaines pathologies qui ont un retentissement social considérable, comme le sida par exemple, ou l'accès aux soins des plus démunis qui permet au service social de participer à des projets collectifs (l'ouverture, par exemple, d'un point accueil spécifique...). « De spécialisé, le travail social hospitalier est en train de devenir polyvalent », note-t-elle.

Changer de regard

>« Le service social n'a rien à perdre en s'ouvrant au développement social local. Au contraire, conclut Carole Dane, ce n'est pas forcément une nouvelle dimension mais un nouvel élan que la profession peut engager de mille façons. » A condition qu'elle accepte de changer de regard sur son champ d'intervention et de s'adapter à l'incertitude. Une question décidemment d'actualité. Dominique Lallemand

L'OUVERTURE DE L'ANAS

En ouverture du congrès, la présidente de l'ANAS, Carole Dane, a présenté une plate-forme, adoptée par le Comité national de l'association, qui expose ses approches concernant l'exercice de la profession, le cadre institutionnel, les rapports travail social/action sociale. Longtemps taxée d'archaïque et de corporatiste, l'association avait déjà voulu engager ces dernières années une politique de renouveau, sous l'impulsion « moderniste » de la précédente présidence. Carole Dane confirme ce changement de cap. Si, dans ce texte, l'ANAS maintient son attachement à la défense de la profession en insistant notamment sur sa spécificité et sa déontologie, la démarche traduit malgré tout un effort d'ouverture envers les autres professionnels de l'action sociale et leurs partenaires, illustrée notamment par les contacts amorcés avec l'Association des présidents des conseils généraux. Elle resitue l'intervention de la profession dans un contexte politique et économique en pleine évolution en reconnaissant, par exemple, l'interdépendance entre action sociale et développement économique et en préconisant la participation des professionnels aux programmes d'informatisation des données sociales. Il reste aux adhérentes -et à leurs éventuelles émules - à confirmer ce coup de jeune autrement que sur un parchemin.

Notes

(1)  Voir ASH n° 1913 du 9-02-95.

(2)  A Paris, du 28 au 30 novembre 1995. ANAS : 15, rue de Bruxelles - 75009 Paris - Tél. 1 45.26.33.79.

LES ACTEURS

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur