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Les missions locales rurales luttent aussi contre l'exclusion

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Depuis quelques années, les communes rurales subissent le contrecoup de l'aggravation de la crise socio-économique et craignent aujourd'hui de devenir, au même titre que certaines banlieues urbaines, des territoires d'exclusion. A moins que ces zones rurales ne parviennent à jouer un « rôle d'amortisseur de crise ». C'est tout l'enjeu du travail mené par les missions locales rurales.

L'exclusion en milieu rural partage plusieurs points communs avec l'exclusion urbaine (1). Elle est même indissociable de la crise urbaine. Comme les villes et leurs banlieues, les zones rurales rencontrent, en effet, des problèmes liés au chômage de longue durée, à l'apparition de « sans domicile fixe », à l'émergence de la délinquance et de la toxicomanie, ou encore à la confrontation interculturelle. Urbaines ou rurales, les zones où se concentrent ainsi les difficultés sociales et économiques n'ont, en outre, d'autre choix que d'adopter une démarche résolument globale pour tenter d'atténuer la détresse des personnes marginalisées.

L'exclusion en milieu rural revêt toutefois également un caractère plus spécifique qui tient principalement à l'isolement des individus. Plus « invisible », elle est plus difficile à détecter et à combattre. Le milieu rural est plus éloigné des zones d'assistance, des centres de formation, des sources d'information et de l'emploi.

Des situations contrastées

De nouveaux exclus sont en outre apparus au fil des années : ceux qui travaillaient en zone urbaine, vivaient en milieu rural et qui ont perdu leur emploi  ainsi que les chômeurs de la ville qui, découragés par des recherches d'emploi infructueuses, viennent « se réfugier » à la campagne où il fait meilleur vivre. Du moins le pensent-ils, car « les solidarités familiales et villageoises qui jouaient autrefois un rôle d'autorégulation de l'exclusion ont largement disparu », affirme Jean-Claude Bontron, président de l'Association des ruralistes français, qui participait, les 13 et 14 novembre derniers, au colloque organisé à Paris par l'UNMLR (2).

De nouvelles populations et de nouvelles formes d'exclusion auxquelles les communes rurales et les élus eux-mêmes ne peuvent pas toujours faire face. D'autant que les réponses ne peuvent guère être stan-dardisées tant les cas de figure sont différents selon les régions. Quoi de commun, en effet, entre la zone rurale profonde de Beaune - moins de dix habitants au km2 - et le Lubéron où la démographie des communes rurales s'est accrue de 30 à 50 % au cours des 20 dernières années ?

Dans le Chinonais, territoire d'élevage qui subit de plein fouet la crise agricole, « le nombre d'individus sans point de repère par rapport à la société, aux milieux économiques et aux structures sociales augmente », explique Etiennette Héron (mission locale rurale de Beaune). « L'agence locale pour l'emploi a abandonné ses permanences, les assistantes sociales ne viennent que ponctuellement et les animatrices de la mission locale demeurent le seul contact que les publics marginalisés gardent avec la société », ajoute-t-elle.

Dans le Lubéron, ce sont les effets de la crise marseillaise qui se font sentir. En plus des jeunes de bas niveau de qualification, son public « traditionnel », la mission locale accueille des jeunes de plus en plus qualifiés, des hommes qui résident dans le Lubéron mais ont perdu l'emploi qu'ils occupaient dans le bassin d'Aix-Marseille, des femmes qui ne trouvent pas de travail dans la banlieue marseillaise, ou encore les enfants de ces ménages qui ne trouvent pas plus de travail que leurs parents, ni que les familles résidant dans les communes rurales. Résultat, « on observe un chômage paradoxal qui ne reflète pas tant la situation économique du Lubéron que la dégradation du tissu social », affirme Francis Marcot (mission locale du Lubéron). De plus, pour loger ces nouvelles populations, des lotissements ont été construits autour des communes rurales et constituent aujourd'hui de véritables « villages-dortoirs ».

Vers un ghetto rural ?

Le risque est grand de voir apparaître une France rurale à deux vitesses, ou pire, un véritable « ghetto rural ». « La défense de leur territoire par ceux qui vivent dans les communes rurales depuis toujours conduit à un réflexe de rejet vis-à-vis de ceux qui arrivent des zones urbaines sans emploi à la clef, et chômeurs de surcroît », affirme Michel Grégoire, trésorier de l'UNMLR et maire de Buis-les-Baronnies, une commune rurale de la Drôme provençale.

Les actions conduites par les missions locales rurales pour lutter contre la marginalisation sont multiples : accueil des publics en difficulté, formation, insertion par l'économique, logement, santé, animation culturelle. Leur approche entend être résolument globale même si le pôle d'intervention principal reste la formation et l'insertion professionnelle. Les initiatives sont nombreuses dans ces domaines et les résultats souvent qualitativement encourageants, même s'ils demeurent quantitativement modestes.

A Pont-à-Mousson (en Lorraine), par exemple, l'utilisation de la clause de mieux-disant social dans les appels d'offres des marchés publics locaux a permis l'embauche de neuf jeunes dans le cadre du crédit formation individualisé (CFI). Quatre d'entre eux ont trouvé un emploi à l'issue du premier chantier et les autres ont bénéficié de parcours qualifiants ou préqualifiants. En Pays-de-la-Loire, 15 jeunes sans qualification ont bénéficié d'une formation qualifiante et d'une première insertion professionnelle dans des entreprises viticoles de la région qui souffraient d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée. Après 4 mois de préqualification en alternance et 20 mois de formation qualifiante, dont 60 semaines en entreprise, ces jeunes ont non seulement appris un métier, mais peuvent attester d'un niveau V de qualification.

Chantiers écoles, contrats emploi-solidarité, stages de formation, entreprises d'insertion, les formules sont nombreuses mais perdent de leur attrait dès lors qu'il y a moins d'emplois à la clef. « Les jeunes sont de plus en plus agressifs à l'égard des élus et des missions locales, affirme José Escanez, président de l'UNMLR, ils n'ont plus confiance en la formation car elle ne les conduit pas à l'emploi », soit parce qu'elle ne correspond pas à la demande potentielle des entreprises, soit, le plus souvent, parce qu'il n'y a pas de demande, même potentielle.

Le logement et la santé constituent également des axes autour desquels s'articule l'action de certaines missions locales. Celle du Sud Audois, par exemple, a associé des jeunes à la réhabilitation de leurs futurs logements (3). Dans une zone rurale où l'offre de logement locatif est faible, où le parc HLM est pauvre, l'objectif de cette action était double :mettre en œuvre une action globale de réhabilitation dans le cadre d'un chantier école et assurer l'accompagnement social au logement des jeunes locataires.

L'absence de politique de logement social

L'une des difficultés majeures à laquelle se heurtent les missions locales, sur le volet logement, tient néanmoins à l'absence de politique de logement social en milieu rural. La mobilisation associative est souvent forte, mais le manque d'implication des institutionnels du logement est un sérieux frein. Tout comme les résistances encore fréquentes des populations locales vis-à-vis de l'habitat social. Les élus eux-mêmes méconnaissent les dispositifs législatifs d'aide à la réhabilitation ou à la construction pour un public en difficulté. Enfin, les réhabilitations constituent souvent une charge financière trop lourde pour les petites communes.

Côté santé, les initiatives visant à mettre en place de véritables politiques globales sont encore trop rares. La détérioration de la santé des jeunes apparaît pourtant de plus en plus comme un frein majeur dans leur parcours d'insertion. Pour Roland Moreau, délégué interministériel à l'insertion des jeunes (DIIJ), « le problème de la santé des jeunes est aujourd'hui peu, mal ou pas traité, particulièrement en milieu rural ou un effort doit être fait pour nouer des partenariats sur ce thème ». C'est ce qu'a fait la mission locale du centre Var (4) qui a mis en place un système de coordination local de santé. Une « commission développement social » a été créée en 1990. Elle réunit l'ensemble des partenaires locaux, détermine les axes prioritaires et la méthode de travail. Depuis sa création, cette commission a notamment permis la création d'un « centre de ressources santé » qui vise à « dynamiser le travail en réseau des partenaires, à faire connaître les moyens d'accès aux soins et être un premier lieu d'écoute et de diagnostic pour les personnes en difficulté ».

La multitude d'initiatives ainsi prises au niveau local témoigne de l'implication des acteurs mais cache mal l'urgence qu'il y a à passer à la vitesse supérieure. L'aggravation de l'exclusion rurale impose en effet une mobilisation de plus grande ampleur et des moyens financiers à l'avenant. Or, depuis deux ans, la tendance est plutôt au rationnement : la subvention allouée par l'Etat à l'UNMLR est passée d'un million de francs en 1993 à 500 000 francs en 1994. Et sur cette somme, seuls 145 000 francs ont été perçus en 1995 au titre de 1994 ! Mais plus encore que du manque de moyens, les missions locales rurales souffrent de l'absence d'une politique nationale de lutte contre l'exclusion, une sorte de « plan Marshall pour les campagnes », à l'instar du projet du gouvernement en faveur des banlieues.

Fortes de leur expérience de terrain, les missions locales aimeraient voir leur rôle reconnu et devenir « le lieu d'interface privilégié entre l'Etat et les collectivités locales et territoriales pour la mise en œuvre de politiques d'insertion et de développement ». Elles ont fait des propositions dans ce sens : création et animation d'un observatoire social et économique local, construction et gestion d'une politique territoriale de formation, prise en compte de la dimension humaine dans les projets d'aménagement du territoire, expérimentation de nouvelles formes d'organisation et de partage du travail.

La nécessaire reconnaissance des missions locales rurales

Un projet d'ensemble sensiblement plus ambitieux que les mesures envisagées par la DATAR (5)  :création de centres multiservices avec des antennes délocalisées dans les zones rurales, autoréhabilitation de locaux vétustes pour aider au logement et à l'insertion, aide à la création d'entreprises d'insertion, aide au relogement de personnes en difficulté ou encore, pour permettre d'accroître la mobilité des individus, mise en place d'un parc de véhicules en prêt.

Ces mesures sont certes jugées intéressantes par les missions locales, mais notoirement insuffisantes pour répondre au problème de l'exclusion rurale dans sa globalité. Une réelle mobilisation politique sur ce thème suppose en fait que l'on ne considère plus l'exclusion comme un phénomène urbain. Ce qui n'est aujourd'hui pas encore le cas. Or, nombreux sont ceux, sur le terrain, qui craignent que la prise de conscience des pouvoirs publics face à l'urgence n'intervienne trop tard.

Virginie Besson

Notes

(1)  Voir ASH n° 1863 du 20-01-95.

(2)  L'Union nationale des missions locales rurales regroupe 70 missions locales rurales adhérentes et couvre un territoire de 7 000 communes. UNMLR : 8,  bd Bonne-Nouvelle - 75010 Paris - Tél. 1 44.79.08.09.

(3)  Sud Audois : 33, avenue du Maréchal-Foch - 11200 Lezignan-Corbières - Tél. 68.27.58.80.

(4)  AJIR : Salle Ernest Renan - Classe Pasteur - B. P. 55 - 83340 Le Luc - Tél. 94.60.77.19.

(5)  Délégation à l'aménagement du territoire et de l'action régionale.

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