A l'occasion de l'important mouvement de protestation provoqué par le plan Juppé sur la réforme de la sécurité sociale (voir ce numéro), un certain nombre de personnalités du secteur (2) invitent les travailleurs sociaux à se mobiliser « afin que la question des inégalités et de l'exclusion revienne au centre du débat social ».
Depuis le 28 novembre, écrivent-ils, « les prises de positions se multiplient. Les conceptions sur l'avenir s'affrontent. Chaque syndicat affirme ses revendications. Des groupes d'intellectuels prennent des positions contraires. Une bonne centaine d'entre eux soutiennent le principe de la réforme dans le journal le Monde du 3 décembre, d'autres leur répondent, par un soutien aux grévistes deux jours après... ».
Dans ce débat social confus qui touche chaque Français, poursuivent-ils « il y a un grand absent : ce sont les populations fragiles, les précaires, les chômeurs, les familles endettées, les sans-domicile. Ceux-là n'ont pas le droit à la parole, même si on comprend que, confusément, c'est bien la peur de tomber dans l'une ou dans l'autre de ces situations qui précipitent les Français dans la rue ».
Masquée par le gouvernement, les politiques, les médias et parfois par les syndicalistes eux -mêmes, la question de l'inégalité et de la perte des droits est au centre du débat social amorcé aujourd'hui, écrivent-ils encore. « Mais les chômeurs et les précaires sont les alibis de la réforme (réduire la fracture sociale, disent-ils). Ils ne sont pas du tout l'enjeu de la réforme », affirment les pétitionnaires. Or, considèrent-ils, une « catégorie sociale est à même de ramener un peu de sens dans ce débat sibyllin. Ceux que Pierre Bourdieu appelle "la main gauche de l'Etat " :assistantes sociales, éducateurs, instituteurs, animateurs de quartier, orienteurs de l'ANPE, infirmières et médecins... qui sont chaque jour au front de la misère, de la violence et de la mort sociale. Ils sont très bien placés pour témoigner et pour faciliter la prise de parole de ces "inutiles au monde" qui ne comptent plus aujourd'hui pour personne : ni pour l'économie, ni pour le débat politique. »
« Les travailleurs sociaux sortiraient grandis de cette épreuve, s'ils étaient capables, collectivement, de porter la parole et, mieux encore, d'organiser la parole des plus fragiles et des plus démunis. C'est un enjeu de citoyenneté, mais c'est aussi un enjeu de professionnalité », soulignent les signataires. Poursuivant : « alors que le service public, le service d'intérêt général est brocardé, il convient de réagir et de faire savoir que chaque travailleur social est prioritairement solidaire avec les plus pauvres et les plus démunis ».
(1) Boite poste c/ Cedias 5, rue Las cases - 75007 Paris - Fax (1) 44.18.01.81.
(2) Parmi les premiers signataires, on trouve les noms de : Michel Autès (CNRS), Christian Bachmann (Université de Villetaneuse), Catherine Barral (sociologue), Jean-Michel Belorgey (ancien député), Annick Bounot (attachée de recherche), Brigitte Bouquet (directrice du Cedias), Christian Chasseriaud (auteur du rapport sur la grande exclusion sociale), Michel Chauvière (CNRS), Jean Noël Chopart (sociologue), Jacques Ladsous (vice-président du CSTS), Florence Paterson (sociologue), Jésus Sanchez (psychosociologue) Dominique Velche (économiste sociologue). et au titre du GRASS-CNRS : les sociologues Marc Bessin, Michel Joubert et Numa Murard.