ASH : A vous lire, il ressort plutôt une implicite critique de fond des travailleurs sociaux qui ne feraient pas suffisamment en quantité et pas exactement ce qu'il faudrait. B.Q. : Je conteste le travail social intensif que l'on pratique actuellement, accentué d'ailleurs par l'Etat, et qui oblige à réinsérer en 6 mois de façon impérative. C'est absurde. On a multiplié les travailleurs sociaux pour suivre moins de personnes et les réinsérer rapidement. Or, on va exactement à l'inverse de ce que l'on souhaite. Comme l'on va beaucoup trop vite, et que l'on ne respecte pas le rythme d'adaptation de ces personnes, on assiste à des situations d'échec : la personne repart dans la nature et on la retrouve 3 semaines après. On sait très bien qu'en fonction du degré de désocialisation, on peut être amené à suivre quelqu'un beaucoup plus longtemps, jusqu'à 3 ans (nous avons accompagné des clochards pendant 7 ans jusqu'à leur hébergement en HLM). Je pense donc que plutôt que de multiplier les travailleurs sociaux intervenant auprès d'un petit nombre de personnes, il faut en suivre plus, sur une période plus longue. C'est ce que j'appelle le travail social extensif et que j'oppose au travail social intensif. Et ce, pour le même coût financier. Ce virage est d'ailleurs amorcé dans certaines structures où un travailleur social peut suivre jusqu'à 30 personnes. Ce qui est rarement le cas au sein des CHRS, en comparaison avec les prises en charge ASI ou FSL. ASH : Vous écrivez “le travail social s'opère dans l'intérêt même de la personne. Une telle quête aurait tendance à absoudre chacun de ceux qui s'y livrent de tout défaut”. Que voulez- vous exprimer ? B.Q. : Ce que j'ai voulu dire, c'est qu'il faut prendre garde à l'autojustification morale quand on fait le métier de travailleur social où l'on peut être très répressif “dans l'intérêt de la personne“. C'est très dangereux, car cela peut aboutir à des positions iniques, inadaptées à la problématique de l'individu. On peut alors parler du contrat léonin du travail social. Certains travailleurs sociaux ont une vision de la réinsertion en fonction de leur propre culture et de leurs propres possibilités. Ils ne se mettent pas au niveau de la personne auprès de qui ils interviennent et la renvoient ainsi dans une situation d'échec. Alors, quand des sanctions sont nécessaires à l'encontre des usagers, une mise à pied devrait être préférée à un renvoi et si le renvoi s'impose, il faut trouver une solution de prise en charge par d'autres structures. C'est cela l'obligation de faire et de suivi. ASH : Quelle est la proposition de votre rapport qui vous semble la plus importante ? B.Q. : C'est la coordination des dispositifs. Aujourd'hui, cette absence de coordination et de complémentarité est d'autant plus grave que les structures sont incapables de travailler ensemble, de se situer les unes par rapport aux autres. Et ce, au détriment des usagers. ASH : Avez-vous bon espoir quant au devenir de votre rapport ? B.Q. : J'en avais plus avec Juppé I qu'avec Juppé II. Le précédent gouvernement me semblait plus motivé pour s'occuper de ces problèmes. Le nouveau discours sur les difficultés économiques et la façon de les traiter me rend moins optimiste. D'ailleurs, je ne vois pas de financements arriver de façon substantielle dans le secteur social. Pourtant, si on ne prend pas le problème à bras le corps, cela peut exploser d'un jour à l'autre car la masse de gens à la rue deviendra trop importante. Surtout au niveau des jeunes... Propos recueillis par Hélène Morel et Jérôme Vachon
(1) Bernard Quaretta est directeur de la SDAT (Société dijonnaise d'assistance par le travail) et vice-président de la FNARS.