Recevoir la newsletter

Faire face à l'errance

Article réservé aux abonnés

« Il n'y a pas de clochards heureux. On ne vit pas de la mendicité, on en survit » . Des évidences que Bernard Quaretta a rappelées à l'occasion de la remise de son rapport sur l'errance et l'urgence sociale au secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence.

« Un des effets pervers de l'atomisation -locale et financière - des structures d'accueil (CHRS, foyers d'accueil, boutiques solidarité, haltes, SAMU sociaux...) est [...] l'extrême spécialisation de bon nombre d'organismes, spécialisation entraînant inexorablement, à plus ou moins long terme, rigidité, immobilisme, exclusion, donc : errance » C'est ce constat sévère que dresse, notamment, le rapport présenté le 29 novembre, par Bernard Quaretta, directeur d'une association d'accueil d'urgence et de réinsertion et vice-président de la FNARS. Un rapport commandé, en août dernier, par Xavier Emmanuelli, après la floraison d'arrêtés anti-mendicité dans plusieurs villes (1). Constitué à cette occasion, un groupe de réflexion (2) devait ainsi proposer des solutions pour l'accueil des personnes en situation d'errance. Tandis que Danielle Hueges, responsable de l'association Cœur de femmes à Paris, était chargée de mener « une vaste enquête sur le terrain » auprès de plusieurs municipalités concernées (voir encadré). Au final, leurs travaux auront cependant assez largement dépassé le cadre de la seule problématique des arrêtés et de leurs effets coercitifs ou dissuasifs. En effet, expliquent-ils, il s'agit « de replacer ce dilemme - interdire la mendicité ou l'autoriser -dans une vue d'ensemble, celle de la propagation de ce fléau de société qu'est l'exclusion ». Et, à terme, d'aboutir à des propositions « permettant d'envisager une réponse en profondeur à l'interrogation posée par l'errance à l'ensemble du corps social ».

Premiers constats : l'éparpillement, l'opacité, le manque d'organisation et la trop grande rigidité de l'accueil des errants en France. « Ce tissu humanitaire [...] est extrêmement difficile à recenser. Difficile également de chiffrer les sommes totales allouées à l'errance et à la marginalité. Difficile enfin d'en évaluer les résultats. » Une situation dont les associations ne sont cependant pas les seules responsables. Loin de là. Car le rapport dénonce également « la perte de substance » et la « perte d'intelligence » de l'appareil d'Etat concernant la maîtrise d'ouvrage du dispositif d'accueil et de réinsertion. En effet, explique Bernard Quaretta, après la décentralisation, « les CHRS sont restés de compétence Etat sans que ce dernier ne conserve un appareil suffisant pour prévoir les évolutions, pour présider aux réorganisations ». En outre, ce dispositif déjà ancien a dû s'adapter à une mutation rapide des publics avec « la massification du nombre des personnes en errance » et le « rajeunissement de cette population et sa féminisation ». Et, même si les errants ne constituent pas une “espèce”, le rapport rappelle que certains groupes semblent particulièrement touchés : les personnes souffrant de troubles psychiatriques, celles sortant sans ressources d'institutions (hôpitaux, prisons, armée) et diverses catégories d'étrangers « en situation particulièrement dramatique ». Mais la progression la plus alarmante reste celle des jeunes errants, filles et garçons. D'autant que ceux-ci apparaissent de plus en plus révoltés et violents, notamment à l'égard des organisations caritatives, et « sont particulièrement rétifs à une approche par le travail social traditionnel ». Autre critère à retenir, la durée de l'errance qui permet de mesurer « le degré de socialisation ». Reprenant des catégories classiques, le rapport distingue ainsi les personnes depuis peu à la rue - « un certain nombre d'elles travaillent [...]. Mais aujourd'hui, même avec le SMIC, on ne parvient pas à se loger dans le logement social »  -, celles qui se sont « en quelque sorte adaptées à la rue » et qui se maintiennent grâce aux différents dispositifs, et les personnes très désocialisées pour lesquelles « il est indispensable de réfléchir à la création de véritables lieux de vie ».

Une médiation de terrain

Parallèlement au travaux du groupe Quaretta, le secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence avait confié à Danielle Hueges une mission de médiation auprès de six municipalités ayant promulgué un arrêté anti-mendicité (Perpignan, Valence, Pau, Angoulême, La Rochelle, Toulon). Dans son rapport, rendu également le 29 novembre, il ressort que ces villes ne souffrent pas d'un manque de structures d'accueil mais d'une mauvaise adaptation de celles-ci aux populations errantes et d'un déficit de coordination entre les différents acteurs locaux. Pour Danielle Hueges, le premier résultat de sa mission consiste donc à avoir « sensibilisé ces villes au développement de solutions alternatives concernant la mendicité ». De même, elle estime avoir pu engager « un dialogue et une concertation » et avoir favorisé, auprès de certaines municipalités, une « prise de conscience de la gravité du phénomène » et la mise en œuvre de solutions immédiates. Ainsi, explique-t-elle, « des lieux d'accueil fonctionneront dans toutes ces villes avant la fin de l'année ».

Accueillir, diagnostiquer, orienter

Les membres du groupe de réflexion se sont surtout attachés à faire des propositions en vue de « faire cesser le flux de l'errance ». Première piste : « les grandes villes doivent se doter d'un dispositif qui accueille et insère dans le cadre de l'aide à l'hébergement et à la réadaptation sociale », dont la clef de voûte est un lieu d'accueil et d'observation chargé de recevoir tous les arrivants quels qu'ils soient, nouveaux ou non, originaires du département ou non. Ce lieu, animé par « un personnel disponible, attentif » et à l'écoute, disposerait d'un « nombre de lits suffisant » ainsi que d'une « possibilité de restauration » et devrait permettre de résoudre des problèmes élémentaires (hygiène, vêtements, sommeil, menus soins infirmiers). « Il faut, explique Bernard Quaretta, au moins un lieu par grande ville - qui peut faire fonction pour l'ensemble du département -. Là où il n'y a pas de grandes villes, il en faut un pour le département. » Qu'il s'agisse à l'origine d'un CHRS, d'un SAMU social ou d'une Boutique de solidarité, la structure aurait également pour missions d'aller au-devant de ceux qui « ne se présentent pas spontanément » et d'établir « un diagnostic » au terme duquel, si « l'errant accueilli n'a pas d'attache particulière avec la ville ni avec le département et n'aspire pas à y demeurer », il est orienté vers le service homologue de son lieu d'origine. Mais ne risque-t-on pas d'attenter à sa liberté d'aller et de venir ? « Il faut bien comprendre, répond Bernard Quaretta aux ASH, que nous parlons de gens déracinés, qui perdent toutes leurs attaches et qui n'ont pas choisi l'errance. Notre proposition de les réorienter vers leurs lieux d'origine, se défend-il, a vocation à interpeller les départements dont certains se défaussent de leurs responsabilités au détriment d'autres qui font l'effort de s'équiper et qui croulent sous la demande ». En revanche, lorsque l'errant à des attaches locales, le centre d'accueil doit essayer de comprendre quelle est sa vraie demande et de l'orienter vers le service susceptible de le recevoir, dans la durée. D'où la nécessité de disposer de filières d'insertion asssurant l'accompagnement social des personnes. Sachant, toutefois, que la vocation du centre d'accueil n'est pas d'assurer des suivis individuels. Quant à l'accueil des jeunes, il nécessite des réponses particulières et des lieux adaptés, estime Bernard Quaretta, réclamant, à cet effet, la réorientation du fonds d'aide aux jeunes « au profit de secours temporaires pour faire face aux besoins urgents - en terme médicaux, de logement, ou d'alimentation des errants ».

Coordonner

Seconde recommandation : « les dispositifs locaux doivent être étendus sur tout le territoire ». Autrement dit, « pour réduire l'errance circulaire, la structuration des réponses locales doit se généraliser et être coordonnée au niveau de chaque département ». Outil privilégié de ce redéploiement : des schémas directeurs prévisionnels trisannuels qui définissent, après concertation, l'action respective des services de l'Etat, des collectivités territoriales et des associations. Ce qui implique d'intégrer dans ces schémas, non seulement les organismes d'accueil et d'insertion, mais aussi, les structures sanitaires (dont le secteur psychiatrique), l'action éducative en milieu ouvert, les services sociaux de secteur, les CCAS, les services de solidarité (distribution de vêtements, de repas et d'aides diverses), les instances chargées de l'aide au logement... Un système placé, dans chaque département, sous l'autorité du préfet et dont le maître d'oeuvre serait la DDASS. « La mission de ces structures (CHRS en particulier) sera donc à redéfinir complètement en fonction des besoins, exclusivement », chaque établissement devant avoir « sa ou ses spécialités, compatibles entre elles ». En effet, insiste Bernard Quaretta, « on ne peut pas faire dans un même lieu de l'urgence et de l'insertion, car ces populations s'excluent les unes les autres. S'il est sain d'avoir des organismes spécialisés, car cela les rend plus efficaces auprès des publics accueillis, l'ensemble des structures doivent permettre d'absorber tous les types de publics. Sachant que l'une d'entre elles doit se spécialiser dans l'accueil et l'orientation qui constitue un métier à part entière ». En clair, pour lui, « les CHRS existants seront utilisés ainsi que leurs personnels, mais c'est une complète réorganisation des structures et un redéploiement important des salariés qu'imposera ce schéma ». Car, ajoute-t-il, « nombre de CHRS ont oublié leur vocation première qui était d'assumer les personnes de passage ».

Quant à la question cruciale du financement, elle pourrait être résolue en habilitant l'ensemble des lieux d'accueil, de nuit et de jour, au titre de la loi de 75. C'est à dire qu'ils bénéficieraient d'un financement reconductible de l'Etat « sous la forme d'une dotation globale dans le cadre de l'aide sociale à l'hébergement ». « Toutefois, afin de responsabiliser davantage les départements et les communes, il faut prévoir leur participation financière  ». Laquelle serait versée directement à l'Etat, « sur demande de la DDASS au vu de l'origine des personnes reçues ». Un système qui, pour Bernard Quaretta, présenterait l'avantage d'aller à l'encontre des « effets pervers et des absurdités de la décentralisation ».

En tout état de cause, l'élaboration de ces schémas départementaux doit « être une occasion à saisir pour repenser le travail social », martèle le rapport. Ainsi, constatant qu'actuellement les structures d'accueil décident elles-mêmes de leur propres admissions, il souhaite qu'elles « aient légalement “l'obligation de faire” et soient investies d'une mission de service public ». En effet, explique Bernard Quaretta, « en raison de leur spécialisation, les établissements refusent la prise en charge de certains. Pour moi, c'est de la non-assistance à personne en danger social. L'obligation de faire qui serait imposée à l'ensemble des services dans un département est précisément un contre-pouvoir à ce pouvoir de sélection du travailleur social ». Une obligation assortie de deux garanties : l'existence d'un éventail de solutions suffisamment ouvert au niveau local et d'un centre d'accueil responsable et compétent. De même, chaque structure devrait assumer une obligation de suivi. Ou plutôt un « droit de suite qui se traduirait par l'obligation de connaître, à tout moment, [...] le point d'ancrage suivant de chacune des personnes qu'elle suit ». Objectif : inciter les intervenants à « acquérir une vision globale du dispositif dans lequel leur activité s'insère » ainsi qu'une « vision prospective du devenir des intéressés ». Mais c'est surtout sur la question des moyens en personnel que le rapport apparaît pour le moins provocateur. « L'économie de l'intervention sociale en fait aussi son prix. Dans ce sens, il est vain de multiplier le nombre des travailleurs sociaux au sein des établissements », considère en effet Bernard Quaretta. Lequel va jusqu'à affirmer qu'en « adaptant la fréquence de leurs interventions aux besoins et aux rythmes des personnes marginalisées, les travailleurs sociaux pourraient, à effectif égal, prendre en charge le double de personnes en difficulté » (voir p. 29).

Autre invite : « l'éducateur devra apprendre à travailler avec la police et avec la justice et ne pas craindre, le cas échéant, de faire appel à l'une ou à l'autre ». Mais, concède Bernard Quaretta, ce manque de coordination incombe également à la police et à la justice, ainsi qu'au secteur psychiatrique. Et de citer l'exemple des psychopathes que les psychiatres ne considèrent pas comme fous, mais avec lesquels, sans camisole chimique, on ne peut travailler. « Dans certains cas, on se retrouve avec des gens très dangereux à la rue ». Au-delà des initiatives individuelles, il faudrait donc trouver des réponses institutionnelles, estime-t-il.

Quelles suites ?

« L'accueil est un droit élémentaire pour les personnes en errance », a renchéri, pour sa part, Xavier Emmanuelli, lors de la présentation du rapport. Sans toutefois préciser, très clairement, quelle suite sera donnée aux propositions du groupe Quaretta. Rappelant qu'un certain nombre de mesures ont déjà été annoncées par le gouvernement (notamment sur les logements d'urgence et sur la stabilisation des financements associatifs), il a cependant indiqué que ces préconisations devront faire l'objet d'un examen dans le cadre de la préparation de la loi cadre exclusion. En particulier sur « l'organisation d'une véritable fonction d'accueil et d'orientation assortie d'une obligation de résultat » et sur l'articulation avec des solutions d'insertion mieux définies. Ce qui, selon lui, « impose sans doute que soient revisités les textes relatifs aux CHRS ». A ce propos, le directeur de l'action sociale souligne trois points essentiels : assouplir la limitation de la durée des prises en charge (actuellement fixée à six mois maximum), trouver une solution aux effets dommageables de la double compétence Etat et départements pour les femmes avec enfants de moins et plus de trois ans, et examiner la possibilité de regrouper tous les types de structures d'accueil sous le même statut au sein de la loi de 75. Hélène Morel et Jérôme Vachon

Notes

(1)  Voir ASH n° 1937 du 25-09-95.

(2)  Outre Bernard Quaretta, le groupe de réflexion était composé de Danielle Hueges (la Halte, cœur de femmes), André Lacroix (Emmaüs, Paris), Robert Muller (Armée du salut), Yvette Rollin ou Paul Bonati (AEIM, Metz), Pascal Noblet (DAS), Michel Renault (assoc. des cités du Secours catholique), Gilles Pierre (Le Pont, Mâcon) et Gustave Dore (URIOPSS, Centre).

L'ÉVÉNEMENT

Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur