Déjà, le 17 octobre, lors de la journée du Refus de la misère organisée par ATD quart-monde (1), les participants avaient du mal à cacher leur déception : ils attendaient que le président de la République dévoile le contenu de la loi - dont les grandes orientations avaient été définies par le Premier ministre en juillet devant le Conseil économique et social (2) - et celui-ci n'avait presque rien dit, annonçant, sans donner plus de détails, la création d'un service public de l'insertion des jeunes (3). Il faut dire que le nouveau discours du gouvernement concernant la réduction des déficits laissait peu d'espoir, le projet de budget 96 montrant d'ailleurs que de véritables moyens ne seraient pas dégagés.
A l'époque, les associations s'alarmèrent, déplorant le manque de concertation dans la préparation du projet. D'autant que le travail interministériel, mené cet été, avait donné lieu à des discussions serrées notamment avec Bercy. Au point que Bertrand Fragonard, le rapporteur du groupe de travail, avait dû rendre une seconde mouture du rapport de préparation de la loi à Eric Raoult, alors ministre en charge du dossier. Pourtant, la concertation avec les associations avait fini par démarrer. L'insertion était même l'un des thèmes des forums régionaux de la protection sociale. Et l'on avait enfin réussi à savoir que le volet PNIU (ville) de la loi serait détaché du projet de loi-cadre afin d'être voté plus rapidement que celle-ci (il devrait d'ailleurs être présenté mi-décembre, voir). La démission du Premier ministre, le 7 novembre, est venue brouiller les cartes. Alain Juppé, présentant son second gouvernement, n'a en effet pas listé la loi-cadre comme l'une de ses priorités, supprimant même la lutte contre l'exclusion du titre d'Eric Raoult.
Ce sera Jacques Barrot, Ministre du Travail et des Affaires sociales (qui coiffe notamment à ce titre la DAS et partage la DIRMI et la DIIJ avec le nouveau ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ville et de l'Intégration, Jean Claude Gaudin) qui sera chargé du dossier, pensent alors, les associations comme certaines administrations centrales. Pas du tout, répond-on au service de presse de Matignon le 20 novembre : cette question relève de MM. Gaudin et Raoult. En fait, il semble que la décision ne soit pas encore arbitrée (le 22 novembre). « Tout dépend qui récupère le budget RMI de Jacques Barrot ou de Jean-Claude Gaudin », explique-t-on au ministère du Travail et des Affaires sociales.
Malgré ces contretemps, les réunions interministérielles sur le rapport Fragonard II se poursuivent, mais certains fonctionnaires en charge de la mise en musique du projet ne cachent ni leur découragement, ni leur crainte que la montagne n'accouche d'une souris. Autrement dit, qu'il y ait bien une loi l'an prochain, mais a minima, faute de moyens financiers conséquents.
A la FNARS, on s'interroge aussi. Si la Fédération se félicite de « la mise en place du régime universel d'assurance maladie tant attendu » dans le plan Juppé de réforme de la protection sociale, elle demande au gouvernement « de reprendre sans tarder la mise au point concertée de cette loi promise à plusieurs reprises ». En outre, elle proteste contre le projet de collectif budgétaire et le projet de budget 1996, remarquant que la réduction du nombre de contrats emploi-solidarité « effective dès cet automne » et programmée pour l'an prochain « est un frein très important à la réinsertion des personnes les plus éloignées de l'emploi et peu bénéficiaires du CIE ». « Une politique budgétaire rigoureuse doit-elle être aveugle ? La lutte contre l'exclusion et les dispositifs d'urgence sociale et d'insertion sont moins coûteux que les désastres humains et financiers qu'ils préviennent ou réparent », s'impatiente encore la Fédération. A ATD quart-monde, le ton se veut volontiers plus optimiste. Certes, il faut « relancer la mécanique et rester vigilant » mais on a bien l'intention de rencontrer le ministre chargé du dossier avant Noël. Même attentisme à l'Uniopss, où l'on ne désespère pas de connaître l'interlocuteur. Si « cela fait longtemps que l'on ne rêve plus à des moyens supplémentaires pour 1996 », la commission de la lutte contre la pauvreté souhaite toujours une loi de programmation avec des moyens financiers pour 3 ans.
Hélène Morel
« Le gouvernement prépare un ensemble de mesures sociales [mais] l'UNCCASF n'a pas été consultée et n'a reçu aucun dossier d'étude pour avis. Elle le déplore et s'en étonne », note son président dans une lettre adressée à Alain Juppé le 29 septembre dernier (4), tout en précisant que son association fédère pourtant l'ensemble des centres communaux et intercommunaux d'action sociale. De plus, ajoute Edmond Hervé, les mesures sociales que prépare le gouvernement entrent dans le champ de compétences des CCAS et CIAS, qui se trouvent placés « en contact direct avec des multiples formes d'exclusion ». Dans ce courrier, l'UNCCASF plaide pour que les CCAS soient reconnus comme des « outils sociaux adaptés à la mise en œuvre d'actions sociales [...] et comme des relais efficaces des mesures que le gouvernement va mettre en place contre de multiples formes d'exclusion ». Tout en précisant qu'il serait dangereux qu'une plus grande implication des communes entraîne une confusion des compétences et leur mise en cause dans des domaines dont elles n'ont pas la maîtrise. A cet effet, l'UNCCASF a adressé onze fiches de propositions au Premier ministre. Cela dans six domaines principaux : les moyens (qu'elle souhaite accrus) des partenaires locaux, l'accès au logement des populations en difficulté, la politique de la ville et les quartiers difficiles, la politique d'intégration et de solidarité (qu'elle souhaite globale), la création d'emplois de proximité, la solitude et la pauvreté des personnes âgées.
(1) Voir ASH n° 1945 du 20-10-95.
(2) Voir ASH n° 1935 du 14-07-95, 7,9 et 21.
(3) Voir ASH n° 1948 du 10-11-95.
(4) La lettre et les fiches sont publiées dans le bulletin n° 274 de l'Union nationale des CCAS de France et d'Outre-mer : 7, rue Gabriel Péri - 59200 Tourcoing - Tél. 20.11.34.92.