Alain Juppé a présenté, le 15 novembre, à l'Assemblée nationale, son plan de réforme de la protection sociale sur lequel il a engagé la responsabilité de son gouvernement. C'est à une large majorité (463 voix pour, 87 contre et 10 abstentions) que les députés lui ont accordé la confiance.
Dès le 13 novembre, lors de l'ouverture du débat, le Premier ministre avait exprimé sa volonté de mettre en œuvre une « vraie réforme structurelle » et non de procéder à un nouveau « replâtrage ». Et il avait indiqué les principes directeurs qui devaient sous-tendre la réforme. Celle-ci doit être « juste », « durable », « porter des fruits à court terme » (l'objectif étant de ramener le déficit prévisionnel des comptes sociaux de 61 milliards de francs dette incluse, à 17 milliards de francs en 1996 et de le supprimer en 1997) et enfin « cohérente » avec la politique économique d'ensemble.
Le plan comprend donc des mesures de recettes visant à l'apurement de la dette et des mesures structurelles. Nous revenons cette semaine (1) sur celles qui concernent plus particulièrement les familles et les assurés sociaux. Etant entendu que de nombreuses incertitudes demeurent quant à leur mise en œuvre et qu'au ministère du Travail et des Affaires sociales, personne n'est en mesure, à l'heure actuelle, d'apporter plus de précisions sur leur contenu exact.
Parce qu'elle comporte des mesures structurelles auxquelles l'on ne s'attendait pas, cette réforme a été plutôt favorablement accueillie. Même si les associations familiales déplorent la « baisse du pouvoir d'achat » et le manque « d'équité du plan » et si les associations de lutte contre l'exclusion mettent en garde contre ses conséquences à l'égard des plus démunis. Quant aux syndicats, ils appellent à deux journées de manifestation séparée, les 24 et 28 novembre.
Une caisse d'amortissement de la dette sociale prendra en charge, à compter du 1er janvier 1996, l'intégralité de la dette du régime général, soit au total 250 milliards de francs (capital et intérêts de la dette des exercices 1992 à 1995, soit 230 milliards de francs, déficit prévisionnel de l'exercice 1996, soit 17 milliards et déficit de la caisse autonome nationale d'assurance maladie qui regroupe les travailleurs non salariés non agricoles). Cette dette sera remboursée sur 13 ans.
Cette caisse sera principalement alimentée par une contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) qui sera instaurée à la même date. Cette « CSG-bis » d'un taux de 0, 5 point sera instituée pour la durée d'amortissement de la dette, soit en principe jusqu'en 2009. Elle sera assise sur tous les revenus à l'exception des minima sociaux (minimum vieillesse, RMI, AAH, allocation chômage de solidarité) et, selon Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales, des pensions militaires d'invalidité, des rentes d'accidents du travail et des revenus des livrets d'épargne exonérés (livret A et assimilés). Au total, Alain Juppé évalue à 5 millions le nombre de Français qui ne paieront pas le remboursement de la dette sociale.
Ainsi libéré de la dette de 110 milliards, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) devrait être réservé à la seule prise en charge des prestations non contributives de solidarité servies aux personnes âgées (minimum vieillesse...). Dès 1997, le FSV se verra affecter des ressources nouvelles permettant de financer la part de la prestation d'autonomie relevant de la solidarité nationale.
A moyen terme, le mode de financement de la protection sociale doit être réformé « afin d'alléger la charge pesant sur l'emploi ». Les cotisations sociales, salariales et patronales seront donc, pour partie, remplacées par d'autres ressources, de manière principalement à abaisser le coût du travail. Trois mesures sont prévues, par étapes :
l'élargissement de l'assiette de la CSG (voir encadré)
le basculement progressif d'une partie des cotisations maladie des salariés sur la CSG élargie
la réforme des cotisations patronales dont l'assiette devra être diversifiée en intégrant par exemple la notion de valeur ajoutée de l'entreprise.
Afin de réduire le déficit prévisionnel de la branche famille en 1996, la base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF) ne sera pas revalorisée en 1996. Ainsi les allocations familiales et les diverses prestations familiales resteront fixées à leurs montants actuels. La BMAF sera à nouveau revalorisée le 1er janvier 1997 mais sur la base de l'évolution prévisionnelle des prix.
Autre mesure d'économie, l'allocation pour jeune enfant, actuellement versée à compter du premier jour du mois civil suivant le troisième mois de grossesse jusqu'au troisième mois après la naissance, à l'ensemble des ménages, quel que soit leur revenu, sera réservée, dès le 1er janvier 1996, aux ménages « dont le faible niveau de revenus rend nécessaire une telle aide ». Aucune indication plus précise n'a pu nous être fournie sur les modalités de mise en œuvre de cette mesure. Le dossier de presse indique seulement que pour les ménages ayant deux enfants à charge, l'allocation sera accordée à ceux dont les revenus n'excèdent pas 172 000 F par an.
En outre, les revenus de remplacement, aujourd'hui exclus du mode de calcul des aides au logement et des prestations familiales sous conditions de ressources, seront intégrés dans l'évaluation des ressources des ménages bénéficiant de ces prestations à compter du 1er juillet 1996. Il s'agit, selon le dossier de presse, des indemnités journalières maternité et des rentes d'accidents du travail. Interrogé par les ASH, le ministère du Travail et des Affaires sociales ne peut encore préciser ce qu'il faut entendre par revenus de remplacement. Parallèlement, la participation minimale demandée aux familles qui bénéficient d'aides au logement sera réévaluée à compter de la même date.
Le 1er juillet 1996, les différents plafonds de ressources pour bénéficier des prestations familiales seront revalorisés en fonction de l'évolution prévisionnelle des prix.
Le délai de prescription pour l'attribution des prestations familiales, qui varie actuellement en fonction des prestations servies, sera harmonisé et fixé à 6 mois.
Dans le cadre de la réforme fiscale et de la refonte du barème qu'elle entraînera, les allocations familiales seront soumises à l'impôt sur le revenu en 1997 (allocations familiales versées en 1996 et déclarées en 1997). Le produit de cette imposition sera pour moitié consacré à des aménagements du barème au profit des familles modestes et des familles nombreuses et, pour moitié, réservé à la CNAF pour contribuer au rééquilibrage de la branche famille.
Pour « achever la marche vers l'universalité des modalités de gestion et de versement des prestations familiales », le taux de cotisations allocations familiales de l'Etat et de certaines entreprises publiques (EDF, SNCF, RATP, France Télécom, la Poste), actuellement fixé à 4, 8 %, sera aligné sur le taux applicable à l'ensemble des entreprises (soit 5, 4 %). En outre, le service des prestations familiales et l'action sanitaire et sociale, qu'ils assurent encore eux-mêmes, seront progressivement transférés à la CNAF. Ces mesures s'appliqueront dès 1996 aux entreprises publiques et à partir de 1997 à l'Etat.
Outre une réforme de l'hôpital, les obligations mises à la charge des médecins et la réforme des institutions de sécurité sociale, diverses mesures concernant les assurés sociaux figurent dans le plan de réforme de la protection sociale.
Afin de pallier la complexité engendrée par l'existence de 19 régimes différents d'assurance maladie « qui font obstacle à la prise en charge effective des populations en situation difficile », une assurance maladie universelle, dont l'accès sera subordonné à un critère de résidence sur le territoire français, va être progressivement mise en place, a annoncé le Premier ministre.
Ce régime universel devrait ouvrir droit aux mêmes prestations en nature pour tous et permettre d'harmoniser l'effort contributif de tous les assurés. Cette harmonisation permettra l'ouverture automatique du droit à l'assurance maladie pour toute personne âgée de plus de 18 ans résidant régulièrement sur le territoire français, quelle que soit son activité. Le Premier ministre a précisé qu'il ne s'agira pas d'un « régime unique », car il restera compatible avec une organisation des caisses à base professionnelle.
Dès 1996, les patients seront incités à consulter en premier lieu un généraliste avant de s'adresser à un spécialiste afin d'assurer « une coordination des soins indispensable à une prise en charge sanitaire de qualité ». Un tel système sera expérimenté dans quelques départements grâce à un mécanisme de modulation de la valeur du ticket modérateur. Pourrait entre autres être instituée une différenciation des prises en charge : une prise en charge « en première intention » qui devrait être assurée prioritairement par le médecin généraliste et, s'il y a lieu, lorsque ce dernier le juge utile, une prise en charge « en deuxième intention » assurée par les médecins spécialistes. Ce dispositif ne concernerait pas certains spécialistes « de premier recours » tels que les pédiatres, les ophtalmologues et les gynécologues.
Par ailleurs, des dispositifs de prise en charge des pathologies lourdes (cancer, sida...) par des réseaux de soins coordonnés villes-hôpital seront également expérimentés dans quelques départements l'année prochaine. L'expérimentation portera notamment sur les formes d'exercice, d'organisation et de rémunération forfaitaire susceptibles de favoriser le développement de ce type de prise en charge.
A partir de 1996, le carnet de suivi médical sera progressivement généralisé à l'ensemble de la population.
Afin de lutter contre les abus et les gaspillages, les médicaments génériques seront développés, les médicaments déconditionnés afin que ne soit délivrée que la quantité des médicaments nécessaires au traitement et une photo sera mise en place sur les cartes d'assurés sociaux. Les étrangers non résidents seront tenus, hors urgence, de payer par avance leurs frais d'hospitalisation.
La « carte-santé » qui remplacera la feuille de soins, devrait être progressivement généralisée à partir de 1997.
Les retraités imposables et les chômeurs dont l'allocation de chômage est supérieure au SMIC subiront une augmentation de 1, 2 point en 1996 et de 1, 2 point en 1997 de leur cotisation maladie. Selon le Premier ministre, 6 millions de retraités et 2, 4 millions de chômeurs devraient être épargnés par cette augmentation.
Autre disposition, la réforme du mode de calcul des indemnités journalières maternité. Actuellement fixées en pourcentage du salaire brut (84 %), elles ne tiennent pas compte des charges sociales pesant sur les salaires. Compte tenu de l'évolution des cotisations à la charge des salariés, elles représentent 106 % du salaire net. Afin de maintenir aux femmes en congé de maternité un revenu de remplacement équivalent à celui qu'elles percevaient en activité, et non pas supérieur, le mode de calcul des indemnités journalières sera modifié à partir de 1996 pour que le revenu de remplacement soit ramené à 100 % du salaire net.
Le conseil des impôts a consacré son quatorzième rapport à l'étude de la contribution sociale généralisée (CSG) instituée en 1991 par Michel Rocard. Rendu public le 16 novembre, ce rapport rédigé par Daniel Ronze, inspecteur des finances, constate que l'objectif de cet impôt n'est qu'en « partie atteint ». Si la CSG a une assiette plus large que les cotisations sociales et que l'impôt sur le revenu, elle « n'englobe pas pour autant l'ensemble des revenus d'activité », déplore le conseil. Seulement 87 % des revenus d'activité sont soumis à la CSG et moins de la moitié des revenus de la propriété et revenus sociaux supportent cet impôt.
Aussi, le conseil propose l'élargissement de l'assiette de la CSG aux :
compléments de rémunération (contributions patronales de retraite et de prévoyance complémentaire, prestations des comités d'entreprise, sommes versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail, salaires des apprentis) ;
revenus de l'épargne (plans d'épargne-logement, revenus des livrets d'épargne...) ;
revenus des inactifs (préretraités, retraités, chômeurs) à « revenus élevés », le dispositif devant être recentré sur l'exonération « des personnes modestes ». Ainsi, les minima sociaux (RMI, minimum vieillesse, allocation chômage de solidarité) seraient maintenus en dehors de l'assiette de la CSG. Quant à l'exonération applicable aux inactifs non imposables, elle serait réaménagée. La non-imposition devrait être appréciée avant application des réductions d'impôt et parallèlement, l'exonération des préretraités et des chômeurs, pour lesquels le paiement de la CSG fait passer leur rémunération en dessous du SMIC brut, serait supprimée.
Au total, l'élargissement de l'assiette, à taux inchangé (2, 4 %) permettrait d'assujettir à la CSG environ 91 % des revenus des ménages (contre 72 % actuellement) et de rapporter 24 milliards de francs.
Enfin, si les cotisations sociales gardent un rôle fondamental pour le financement des prestations qui ne relèvent pas d'une logique de solidarité générale, la CSG ne dispense pas d'une réforme de l'impôt sur le revenu, conclut le rapport. E.C.
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Le report de la « prestation d'autonomie » a laissé sans voix les grandes associations du secteur gérontologique mise à part la FEHAP (2), qui a exprimé dès la semaine dernière « sa grande déception et sa désapprobation ».
Pour Amédée Thévenet, inspecteur général honoraire de l'action sociale (3), le précédent gouvernement Juppé avait été présomptueux de croire qu'il allait régler en quelques mois une question sur laquelle différents gouvernements ont travaillé depuis 10 ans, sans aboutir. Mais pour ce spécialiste de l'action sociale, une solution existe, pour « sortir de l'impasse ». Il la qualifie de « légère et souple ». Et Amédée Thévenet de ré-avancer une idée lancée il y a bientôt une vingtaine d'années : l'attribution de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), non plus par la Cotorep, mais par la commission d'attribution d'aide sociale, siégeant dans les chefs de lieu de canton, actuellement sous-utilisée.
« La compétence de la Cotorep, c'est l'orientation et le reclassement professionnels. Rien à voir avec les problèmes de vie quotidienne d'une personne âgée qui s'est cassée le col du fémur. De plus, elle attribue un montant immuable en fonction d'un taux d'invalidité, qui est son seul critère d'appréciation. Or, ce taux ne traduit pas le besoin d'aide d'une personne âgée, il est par exemple plus important pour une malade d'Alzheimer que pour une personne grabataire ». Pour Amédée Thévenet, c'est une option onéreuse et inadaptée. « Il faut une procédure unique, moins lourde et plus proche, pour évaluer les besoins de l'intéressée chez elle, et y répondre de façon diversifiée ». Il prêche donc pour une attribution des aides (aide ménagère, foyer-restaurant, entrée en établissement...) basée sur l'évaluation des conditions de vie et de l'environnement, non plus par une commission médico-sociale, comme le prônait Colette Codaccioni (option également coûteuse selon lui), mais par un enquêteur du CCAS et un médecin (dépendant du conseil général ou de la CPAM), intervenant sur place de façon inopinée.
L'atout de ce schéma ? Outre une plus grande proximité avec les besoins de la personne âgée, la rapidité de la procédure, et l'implication des élus locaux, sa principale qualité serait son coût largement inférieur par rapport aux dispositifs envisagés jusqu'alors. L.L.
Pour permettre le rééquilibrage de la branche vieillesse, le gouvernement a décidé de reporter l'application de la prestation d'autonomie en faveur des personnes âgées dépendantes, initialement prévue le 1er janvier 1996 pour les personnes à domicile, au 1er janvier 1997. Elle s'appliquera à cette date aux personnes âgées à domicile et à celles hébergées en établissement. A partir de 1997, et les années suivantes, la prestation d'autonomie sera financée grâce à l'élargissement de l'assiette de la CSG qui interviendra dans le cadre de la réforme des prélèvements obligatoires.
Les pensions du régime général seront revalorisées de 2, 1 % (indice prévisionnel des prix) le 1er janvier 1996. Cette augmentation s'ajoute à la revalorisation de 0, 5 % intervenue le 1er juillet dernier. Au ministère des Affaires sociales, on indique qu'elle interviendra par ordonnance (et non par arrêté comme chaque année), le gouvernement modifiant à cette occasion les modalités de revalorisation des pensions.
Par ailleurs, les modalités de calcul des droits à la retraite des polypensionnés seront, dès 1996, alignées sur celles des monopensionnés. Actuellement les différences de modalités de calcul des pensions du régime général et des régimes alignés (artisans, commerçants, salariés agricoles) conduisent à ce que la retraite de base d'un salarié bénéficiant d'une retraite à taux plein est différente selon qu'il a accompli sa carrière en étant affilié à un seul régime d'assurance vieillesse ou, au contraire à plusieurs régimes. En effet, la durée d'assurance au régime général prise en compte pour le calcul de la pension est limitée à 150 trimestres. Cette limite s'apprécie pour chacun des régimes, sans liaison entre les régimes, ce qui permet aux polypensionnés de pouvoir bénéficier d'une pension calculée sur une période supérieure à 150 trimestres. Pour des raisons « d'équité », les droits à pensions des polypensionnés seront alignés sur ceux des monopensionnés par la mise en place de mécanismes d'échanges d'informations entre les régimes.
Dans un souci de « justice », une réforme des régimes de retraite des fonctionnaires et des agents publics (régimes spéciaux) va être engagée à l'instar de celle applicable aux salariés du secteur privé depuis la loi de 1993.
Une commission de réforme des régimes spéciaux va être chargée, dans les 4 mois, de définir les mesures nécessaires à assurer l'équilibre de ces régimes et notamment les conditions dans lesquelles devrait être portée, le cas échéant, de 37, 5 ans à 40 ans la durée nécessaire pour l'obtention d'une pension à taux plein. Autre mission, préciser les modalités de création d'une caisse de retraite des agents de la fonction publique de l'Etat, comme il existe une caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
Tout en réaffirmant que « la répartition reste et restera le socle de nos régimes de retraite », Alain Juppé a annoncé, qu'au-delà des régimes de base et des régimes complémentaires, la constitution d'une épargne retraite sera favorisée. « Cela impliquera des dispositions fiscales cohérentes avec la réforme des prélèvements obligatoires, qui sera proposée au début de l'an prochain », a-t-il indiqué. V.B.
(1) Voir ASH n° 1949 du 17-11-95.
(2) Fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés à but non lucratif : 10, rue de la rosière - 75015 Paris - Tél. 1 45.78.40.91.
(3) Il vient de publier avec Louis Dessaint la 11e édition remaniée de « L'aide sociale aujourd'hui après la décentralisation » - Ed. ESF - 209 F.