Les projecteurs de la petite enfance sont actuellement braqués sur elle : les professionnels incitent, les parents revendiquent, les associations soutiennent (1). Comme son adjectif qualificatif l'indique, la halte-garderie dite innovante ou pilote est de conception récente et présente la particularité de marier avec succès le milieu ordinaire et celui du handicap. Comment ? Tout simplement en choisissant d'accueillir parmi les autres enfants un certain nombre d'enfants handicapés. Espace innovant donc, parce que conçu dès l'origine dans cette perspective et non structure ordinaire qui accepte de s'ouvrir - comme une circulaire de 1979 l'y incite (2) - aux enfants handicapés. Situé ainsi à mi-chemin entre le traditionnel et le spécialisé, ce type d'établissement est apparu avec les années 90, à l'initiative de professionnels et de parents, pour répondre au développement de l'intégration précoce en milieu ordinaire.
De fait, si l'intégration en école maternelle n'est pas toujours opportune, comme l'explique le docteur Marie-Claude Leroux, se référant à des situations d'échecs (3), le passage dans une halte-garderie innovante semble en revanche largement souhaitable, voire indispensable. Pour Marie-Christine Vieira, assistante sociale dans un institut médico-éducatif à Saint-Maur-des-Fossés (94), ce mode d'intégration devrait être fortement soutenu par les pouvoirs publics. « Actuellement, la tendance est favorable au développement des SESSAD d'accord mais à condition que des mesures rigoureuses soient prises pour la création de structures parallèles. De ma place, je constate qu'à l'IME, où nous accueillons des enfants à partir de 5 ans, tout est beaucoup plus facile lorsque l'enfant a connu ce passage en halte-garderie. D'abord pour lui, évidemment, car il a pu connaître ainsi une socialisation dans la norme, mais également pour les parents qui abordent la réa-lité du milieu spécialisé avec beaucoup plus de sérénité et enfin, pour nous, car le travail est beaucoup plus constructif. Enfin, cette étape peut jouer un rôle de tremplin et permettre, lorsqu'elle est envisagée, une intégration scolaire plus facile. »
« Pour moi, l'innovation est dans le fait d'annoncer clairement aux parents que tous les enfants sont acceptés », explique Marie-Noëlle Rivière, la directrice de Petit prince lumière (4) qui vient tout juste de souffler ses deux bougies. Ici, un enfant sur trois environ est « en situation de handicap ». Une nuance à laquelle tient la directrice qui souligne que la notion de handicap définit une situation à un moment donné. « L'expression “porteur de handicap” semble exclure d'emblée le caractère évolutif. » Et il est fondamental que l'enfant handicapé soit accueilli dès le départ comme un enfant à part entière. « Nous ne partons surtout pas d'un bilan, insiste Marie-Noëlle Rivière, d'autant moins qu'il est toujours négatif et qu'il ne s'agit surtout pas non plus de traiter un symptôme. D'ailleurs, nous nous enquérons au début du minimum nécessaire de renseignements et par la suite les parents sont totalement libres de parler ou non. Nous sommes un lieu de prévention. » »
Installée au rez-de-chaussée de l'un des immeubles d'un complexe résidentiel du XX e arrondissement de Paris, la structure accueille une quinzaine d'enfants âgés en moyenne de 18 mois à 4 ans sur un total de 70 inscrits. Ils sont reçus de une à cinq demi-journées par semaine, avec la possibilité de choisir des journées continues. Et si l'objectif principal est d'établir « un pont » entre les enfants différents et les autres, favoriser les échanges entre enfants et adultes ainsi qu'entre parents n'en est pas moins primordial. « Il est essentiel que l'enfant ressente du plaisir à être là ; pour cela, nous devons être particulièrement attentifs à ce que les activités soient des moments de plaisir partagés par tous, enfants et adultes. »
Le groupe fonctionne comme une classe unique, partant à la découverte de la matière et des outils. Des moments de jeux libres succèdent à des ateliers semi-ouverts et les pauses goûter sont l'occasion de tous se retrouver et de mettre en commun les gâteries apportées par les parents. « Même si pour certains les activités ne sont pas toujours créatives, elles doivent être avant tout récréatives. La progression quant à elle restant toujours illimitée. »
D'un bond, nous voilà sur Le trampoline (5) dans le Ve arrondissement de la capitale, au cœur d'une petite résidence moderne et à quelques pas de l'Institut Curie. Les portes d'ici s'ouvrent tout particulièrement pour les enfants devenus non-voyants à la suite d'un cancer ou d'une autre maladie. Monique Baudet, directrice de la structure, met tout en œuvre « pour que l'espace soit pour eux un tremplin de vie, pour que la cassure qu'ils ont vécue soit suivie d'un redémarrage ». Tendus en 1990, les ressorts de Trampoline ont une capacité d'accueil de 48 enfants âgés de 3 mois à 6 ans, avec huit places réservées aux enfants handicapés.
Avant Le trampoline, peu voire aucune structure ne proposaient en France d'intégration à plein temps, mettant en place des pédagogies spécifiques. Dès 1987, Enfant présent (6) proposait dans le XXe arrondissement de Paris un accueil 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 mais il y est plutôt question de situations sociales complexes.
En se dotant d'un matériel à la fois sensoriel et pédagogique, Le trampoline s'appuie sur un support de communication particulièrement adapté, car utilisable par tous. Et les 220 m2 de locaux, il faut les toucher pour y croire. Ici, essentiellement à base de bois, tout a été conçu au bénéfice du sens tactile : les enfants non-voyants se retrouvent dans un espace rééducatif et s'y retrouvent totalement, les autres en sont quittes pour un voyage éducatif chez un concurrent... d'Euro-Disney. Au programme : des logos personnalisés en relief reproduits à chaque étape domestique, une porte coulissante en forme de bus roulant, un labyrinthe de mini-lits superposés pour la sieste des plus petits, des repères sur tous les sols et murs, une multitude de jeux sensoriels...
De par sa nature et sa fonction, le lieu d'accueil innovant bénéficie, aux yeux des parents d'enfants handicapés, d'une image unissant compétence et convivialité.
En plus d'être polyvalent, il a le double mérite de travailler avec du personnel qualifié et de n'afficher aucune étiquette thérapeutique ou de spécialiste tout en collaborant étroitement avec les centres de soins, principalement les CAMSP et les SESSAD (7). Ainsi il rassure, sécurise, met en confiance. Pour les professionnels, l'accompagnement des parents est l'un des piliers de son identité. « Nous représentons un maillon de la chaîne qui doit jouer auprès des familles un rôle de médiateur », indique Marie-Noëlle Rivière. « On les conseille, on les accompagne dans leur démarche, on les informe. » Dans l'idéal, cette prise en charge doit s'effectuer le plus tôt possible, ce qui permet dans des cas de non-acceptation de l'enfant, d'éviter un surhandicap. « Et lorsque les parents sont réfractaires au corps médical, poursuit-elle, cela peut être l'occasion d'une réconciliation possible. En tout cas, s'adresser au milieu ordinaire est déjà le signe d'une volonté d'avancer. »
De son côté, Monique Baudet observe que, dans certains cas, cette prise en charge de l'enfant dans une structure banalisée autorise les parents à se réintégrer socialement. Enfin, le suivi du relais thérapeutique peut être une condition d'admission comme par exemple dans le XIIe arrondissement de Paris à la Maison Dagobert (8). Où, tout compte fait, l'on n'a jamais rencontré de parents qui, suite à plusieurs entrevues, aient finalement refusé de prendre rendez-vous avec un CAMSP ou une autre structure. Bien trop souvent pourtant, des familles essuient plusieurs refus consécutifs avant de rencontrer le partenaire accueillant.
Le plus souvent, lorsqu'une famille prend contact avec une halte-garderie, celle-ci arrive sur les conseils d'un centre thérapeutique. En 1994, sur les 212 enfants suivis par le Centre d'action éducative (CAE) du XIIearrondissement (9), environ 75 % étaient accueillis en milieu ordinaire. Parmi eux, 36,7 % découvraient une halte-garderie. « L'intégration dans une collectivité pour enfants tout-venant est l'une de nos grandes orientations », précise Claudine Leclancher, la responsable du CAE. « Elle entre dans le projet pédagogique de l'éducation précoce et la décision est prise en commun avec les parents. » De manière générale, pour les centres thérapeutiques, les lieux d'accueil innovants représentent des relais privilégiés qui répondent toujours présent et avec lesquels le travail s'effectue sur une même longueur d'onde. « De plus, ajoute-t-elle, les accords se font plus simplement qu'avec les écoles où une convention d'intégration doit apporter des garanties. » « Nous travaillons bien sûr nous aussi en relation directe avec les équipes de soins, explique pour sa part Monique Baudet, dans un souci de cohérence et de complémentarité, mais notre identité est d'être un espace pédagogique. »
Cette nouvelle conception de l'accueil ne doit cependant pas faire de l'ombre aux structures ordinaires qui, après quelques années d'existence, s'estiment un jour prêtes à ouvrir leur porte à la différence. Certes, dans des proportions beaucoup plus réduites. Cela fait maintenant 12 ans que la Maison des tout-petits (10) accueille des enfants du XVIIe arrondissement de l'âge de la marche stable jusqu'à l'entrée en maternelle. Depuis 1987 quatre à cinq enfants en situation de handicap font chaque année sa connaissance. Pour Anne Fonsagrive, la responsable, il est important de souligner que « c'est un questionnement approfondi sur l'accueil en général qui nous a permis cette démarche. C'est, poursuit-elle, l'expérience d'un accueil effectué au plus près des enfants tout-venant, respectant l'identité la plus profonde de chacun d'eux, qui nous donne les bases pour accueillir les enfants en situation de handicap. » Mais « se sentir soutenu est capital, sachant que nous devons être extrêmement vigilants lorsqu'il est question de diriger les parents sur le bon interlocuteur ». D'ailleurs conclut Anne Fonsagrive, « l'accueil de ces enfants est possible parce que l'équipe sait qu'elle peut travailler en étroite collaboration avec la psychologue d'ici et les centres de soins extérieurs ».
Pascal Massé
(1) L'UNAPEI (Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales) vient juste de lancer un groupe de réflexion chargé d'effectuer des auditions de structures. L'APF (Association des paralysés de France) organise depuis 2 ans une rencontre annuelle sur les modes innovants d'intégration.
(2) Les enfants handicapés doivent être accueillis dans les haltes-garderies dès lors que leur handicap n'entraîne pas pour les personnels des sujétions telles qu'ils ne puissent assurer la surveillance des autres enfants.
(3) Dans Ombres et lumière n° 105 - Janvier-février 1994.
(4) Petit prince lumière : 211, avenue Gambetta - 75020 Paris - Tél. 1 43.61.64.00.
(5) Le trampoline : 31, rue Claude-Bernard - 75005 Paris - Tél. 1 43.36.98.18.
(6) Voir ASH n° 1931 du 16-06-95.
(7) CAMSP : Centre d'action médico-sociale précoce. SESSAD : Service d'éducation spéciale et de soins à domicile : voir ASH n° 1912 du 2-02-95.
(8) Voir ASH n° 1836 du 11-06-93.
(9) Le CAE est reconnu CAMSP.
(10) La maison des tout-petits : 14, rue des Apennins - 75017 Paris - Tél. 1 42.29.20.09.