C'est sur fond de contestation politique et syndicale qu'Alain Juppé a dévoilé, le 15 novembre, à l'Assemblée nationale, son plan de bataille pour renflouer « durablement » les comptes de la sécurité sociale. Autorisé par le Conseil des ministres du même jour à engager la responsabilité de son gouvernement en vertu de l'article 49-1 de la Constitution, il devait solliciter un vote de confiance des députés.
Dès l'ouverture du débat, le 13 novembre, le Premier ministre avait exprimé sa volonté de mettre en œuvre une « vraie réforme structurelle », « juste », « cohérente », « audacieuse » et non de procéder à un nouveau « replâtrage ». De son côté, Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales, avait affirmé qu'il fallait « remettre en ordre durablement » la sécurité sociale en suscitant « un sursaut de responsabilité ».
Ce plan de redressement, dont la mise en œuvre se fera à la fois par ordonnances et par l'intermédiaire de projets de loi, vise à répondre à un triple défi : apurer la dette de 230 milliards de francs cumulée fin 1995 (soit les 110 milliards repris par l'Etat en 1993 et remboursés jusqu'ici par le FSV, et les 120 milliards de 1994-1995), présenter des réformes structurelles et des mesures de sauvetage immédiates pour réduire de moitié (soit 30 milliards) le déficit du régime général en 1996 en vue de son rééquilibrage en 1997.
Création d'une contribution de remboursement à la dette sociale (CRDS). Cette « CSG-bis » d'un taux de 0,5 point (soit 25 milliards), sera destinée au remboursement en capital et intérêts de la dette de 230 milliards. Instaurée pour 13 ans, elle sera assise sur l'ensemble des revenus, sauf les minima sociaux (rentes AT, pensions militaires d'invalidité) et les livrets A. Une caisse d'amortissement, établissement public national, à caractère administratif, sera créée pour reprendre cette dette. Ainsi, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sera réservé à la seule prise en charge des prestations non contributives de solidarité servies aux personnes âgées. Il sera ainsi libéré de l'apurement de la dette de 110 milliards.
La santé. La mise en place d'une assurance maladie universelle. Son accès sera subordonné à un critère de résidence sur le territoire français. Le nouveau système reposera sur l'harmonisation progressive des droits aux prestations et des efforts contributifs, sur un accès automatique à la couverture maladie pour toute personne âgée de plus de 18 ans résidant régulièrement sur le territoire français, quelle que soit son activité. Le système demeurant géré par les caisses qui existent actuellement à l'image du régime de retraite des cadres.
La réforme de l'hôpital. Elle reposera sur quatres grands principes. La régionalisation avec la création d'agences régionales de financement de l'hospitalisation publique et privée. Elles seront chargées de répartir les crédits limitativement alloués au plan régional par le gouvernement en fonction de priorités de santé publique et en application du vote du Parlement sur l'évolution des recettes et des dépenses sociales. Par ce biais, les inégalités géographiques devraient ainsi être corrigées selon le gouvernement. Autre principe, l'accréditation et l'évaluation des services hospitaliers. Une agence indépendante chargée d'accréditer et d'évaluer les services hospitaliers en fonction de leur utilité ainsi qu'en fonction d'indicateurs de qualité et de sécurité de soins sera mise en place. La contractualisation : l'agence régionale du financement de l'hospitalisation répartira les financements dont elle dispose entre les structures hospitalières sur la base de contrats d'objectifs et de moyens reposant sur des indicateurs d'efficacité de la dépense et la qualité des soins. Enfin, la coordination entre hospitalisation publique et privée sera assurée par des structures locales. Pour assurer la maîtrise des dépenses de santé en milieu hospitalier, le gouvernement a décidé que le taux d'évolution de la dotation globale hospitalière sera égal à celui des prix en 1996 et 1997.
Dans le cadre du renforcement de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, quatre axes ont été retenus. Tout d'abord, la régulation des dépenses de médecine de ville. Un objectif d'évolution des dépenses sera fixé chaque année par le Parlement. Pour 1996 et 1997 cet objectif national quantifié sera fixé au niveau des prix de 1996 et 1997. Il sera décliné par profession de santé et au niveau régional, par les caisses et les professions dans le cadre d'accords conventionnels. En cas de carence, le gouvernement sera habilité à le fixer. Une union régionale des caisses d'assurance maladie veillera au respect de ces objectifs. Autres mesures, une formation médicale renforcée, l'extension et le renforcement des références médicales opposables à l'ensemble de l'activité des médecins et des professions de santé exerçant en ville et une exploitation effective du codage des actes pour la biologie et le médicament.
De leur côté, les usagers seront incités à consulter en premier lieu un généraliste avant de s'adresser à un spécialiste afin d'assurer « une coordination des soins indispensable à une prise en charge sanitaire de qualité ». Dès 1996, un tel système sera expérimenté dans quelques départements grâce à un mécanisme de modulation de la valeur du ticket modérateur. Par ailleurs, des dispositifs de prise en charge des pathologies lourdes (sida, cancer, ...) par des réseaux de soins coordonnés ville-hôpital seront également expérimentés l'année prochaine. Et à partir de 1996, le carnet de suivi médical sera progressivement généralisé à l'ensemble de la population. Dans le cadre de « la lutte contre le gaspillage et les abus », il est prévu le développement des médicaments génériques, le déconditionnement des médicaments afin que ne soit délivrée que la quantité nécessaire au traitement, la mise en place d'une photo sur les cartes d'assurés sociaux, le paiement par avance, hors cas d'urgence, par les étrangers non résidents de leurs frais d'hospitalisation. Enfin, la « carte santé », qui remplacera la feuille de soins, devra être progressivement généralisée à partir de 1997, les textes nécessaires devant être pris au début de l'année prochaine.
Parmi les autres mesures annoncées :
- la réforme du mode de calcul des indemnités journalières de maternité qui représentent actuellement 106 % du salaire net (puisqu'elles sont fixées en pourcentage du salaire brut). Elles seront ramenées à 100 % du salaire brut dès 1996 ; - l'application d'un forfait de 5 000 F pour frais de recours contre tiers lors de l'ouverture d'un dossier, applicable en sus des frais médicaux. Etant précisé que le recours contre tiers vise à permettre aux branches maladie et accidents du travail de récupérer les frais médicaux engagés par les victimes d'accidents sur les responsables des accidents ; - la « refacturation » par la branche maladie à la branche accidents du travail de la charge de remboursement des frais médicaux des travailleurs atteints de maladies reconnues ultérieurement professionnelles ; - une hausse de la cotisation maladie des retraités imposables et des chômeurs dont l'allocation chômage est supérieure au SMIC. Elle sera relevée de 1,2 point en 1996 et d'un même montant en 1997 (pour mémoire la cotisation maladie s'élève actuellement à 1,4 % de la retraite de base et à 2,4 % de la retraite complémentaire, pour les chômeurs, elle est de 1,4 %). Et rappelons l'augmentation du forfait hospitalier au 1er janvier.
La famille. Les allocations familiales ne seront pas revalorisées en 1996. L'économie induite par cette mesure s'élève à 2,6 milliards en 1996 et à 2,8 milliards en 1997. Elles seront à nouveau revalorisées au 1er janvier 1997 mais sur la base de l'évolution prévisionnelle des prix. L'allocation pour jeune enfant (955 F par mois actuellement) sera réservée, à compter du 1er janvier prochain, aux familles les plus modestes (ceux dont les revenus n'excèdent pas 172 000 F par an avec deux enfants à charge), soit un gain de 1,8 milliard fin 1997. En outre, les revenus de remplacement (indemnités journalières maternité, rentes d'accidents du travail) seront intégrés, en deux étapes (1er janvier et 1er juillet 1996) dans le calcul des ressources prises en compte pour déterminer l'ouverture des droits aux prestations familiales et aux aides au logement (4 milliards de francs). Enfin, les allocations familiales seront soumises à l'impôt sur le revenu en 1997. Le produit de cette imposition (12 milliards) sera, pour moitié, consacré à des aménagements du barème au profit des familles modestes et des familles nombreuses et, pour moitié, reversé à la CNAF pour contribuer à rééquilibrer la branche famille.
Les retraites. Les pensions du régime général seront revalorisées de 2,1 % au 1er janvier 1996. Cette augmentation s'ajoutera à la revalorisation de 0,5 % intervenue cet été.
Les missions du Fonds de solidarité vieillesse seront clarifiées. Ce dernier prendra seulement en charge, à titre permanent, les avantages non contributifs versés aux personnes âgées et relevant de la solidarité nationale. Les ressources ainsi dégagées permettront de renforcer les transferts de solidarité du FSV au profit du régime général de retraite. Lui seront affectées des ressources nouvelles permettant de financer dès 1997 la part de la prestation d'autonomie relevant de la solidarité nationale. Parallèlement, les régimes de retraite des fonctionnaires et des agents publics seront alignés sur celui des salariés du privé (passage de la durée de cotisation nécessaire de 37,5 ans à 40 ans pour l'obtention d'une pension à taux plein).
Réforme des institutions de la sécurité sociale. La Constitution sera modifiée pour permettre au Parlement de se prononcer sur l'évolution des recettes et des dépenses des régimes obligatoires de sécurité sociale. Par ailleurs, l'organisation et les conditions de fonctionnement des caisses seront réformées en concertation avec les partenaires sociaux : au menu le retour à la désignation des administrateurs, l'élargissement des conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale, la création d'un conseil de surveillance, la contractualisation des rapports entre l'Etat et les caisses pour clarifier les responsabilités et définir les objectifs et les moyens. Afin « d'assurer efficacement la mise en oeuvre des décisions des caisses nationales », leur répartition sur le territoire national sera rationalisée, la composition des conseils d'administration élargie et la responsabilité des directeurs de caisses locales renforcée.
Report de la prestation d'autonomie. Le Fonds de solidarité vieillesse sera déchargé de l'apurement des 110 milliards, soit 12,5 milliards par an (0,3 point) qui seront affectés à leur tour à la prise en charge de la prestation d'autonomie. Dont la mise en œuvre, initialement prévue le 1er janvier 1996 pour les personnes à domicile est reportée au 1er janvier 1997. Cette décision devrait satisfaire certains députés de la majorité qui avaient demandé son report et le CNRPA qui estimait que le projet de loi devait être « retravaillé ».
Alain Juppé demandera « dès décembre » au Parlement de légiférer par ordonnances sur les mesures suivantes : création de la caisse d'amortissement de la dette sociale et du RDS ; mesures immédiates de rééquilibrage financier pour 1996 et 1997 ;nouvelle architecture de l'organisation et réforme de la gestion des caisses ; réforme hospitalière ; nouveaux instruments de maîtrise médicalisée des dépenses. Il souhaite que les premières ordonnances « soient prises avant la fin de l'année ». Les mesures d'ordre structurelles seront prises par la voie normale et feront l'objet de plusieurs projets de loi. C'est le cas de la création du régime universel d'assurance maladie, de la réforme des prélèvements obligatoires avec notamment la rénovation de la CSG, de la réforme du barème de l'impôt sur le revenu et de la création d'un nouveau mécanisme d'épargne retraite.