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VILLES ET DÉPARTEMENTS : DU PARTENARIAT ALIBI À LA NÉCESSAIRE ENTENTE

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L'action sociale met villes et départements au pied du mur : ces deux échelons locaux doivent travailler ensemble, mieux et plus qu'actuellement. Il en va de l'efficacité des politiques transversales.

Douze ans après les premières lois de décentralisation, des voix s'élèvent aujourd'hui pour obtenir une clarification des compétences respectives des villes et des départements sur le terrain de l'action sociale. Avec la crise économique des dernières années, l'augmentation du nombre de chômeurs, la montée de l'exclusion sociale et professionnelle, les collectivités territoriales ont en effet été très sollicitées sans toujours être en mesure d'apporter des réponses globales et concertées. Dans un contexte de flou des responsabilités et des prérogatives de chacun, il y a souvent eu des déperditions d'énergie et d'efficacité, voire des partenariats illusoires ou alibi...

A l'occasion de son congrès (1), l'Association nationale des cadres communaux de l'action sociale (ANCCAS) a rappelé que la situation paradoxale des villes ne pourrait durer longtemps. L'urbanisation croissante et sa cohorte de problèmes sociaux à gérer imposent en effet aux communes d'adopter une approche globale et transversale (logement, emploi, insertion sociale, formation professionnelle, urbanisme). Or, toutes les démarches de type contrat de ville ou plan local d'insertion par l'économique (PLIE) supposent des investissements supplémentaires, sans que l'action sociale communale soit pour autant réellement reconnue.

La pression de l'urgence sociale

Premier échelon de la chaîne de solidarité dans la lutte contre l'exclusion sociale, les communes peuvent témoigner de l'évolution de leur rôle au cours de la dernière décennie. « Les actions en faveur de l'insertion ont été accaparées par les villes en raison de l'urgence sociale », affirme Gérard Braud, président de l'ANCCAS. Ce mouvement est sensible dans l'augmentation du nombre des travailleurs sociaux engagés dans le suivi social des bénéficiaires du RMI et dans des missions d'insertion. Si en 1990, très peu d'assistants sociaux étaient impliqués dans cette forme d'accompagnement, aujourd'hui, dans l'ensemble des communes de toutes tailles, ce nombre s'élève à environ 5 000 personnes. Du traitement des dossiers RMI aux actions en faveur du logement social en passant par la mise en place de lieux d'accueil pour demandeurs d'emploi, l'action des communes s'est à la fois accrue et diversifiée. Une tendance que confirme la récente étude présentée conjointement par l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS) et l'ANCCAS : 160 000 dossiers d'aide sociale sont traités chaque année par les communes, en augmentation de 10 % par an (2). Le paysage de l'action sociale communale s'est donc profondément modifié et le rapprochement entre l'économique et le social, qui paraissait encore expérimental en 1993 (lors de la précédente étude de l'ODAS), s'affirme aujourd'hui comme une réalité incontournable. L'exemple de Besançon est de ce point de vue éloquent. « La quasi-totalité des travailleurs sociaux jusqu'ici engagés dans le secteur gérontologique suivent actuellement, et pour trois années, une formation complémentaire à l'insertion par l'économique », explique Rina Dupriet, directrice du CCAS.

Une approche globalisée

Ce mouvement de restructuration générale de l'intervention sociale des communes se traduit, selon l'enquête, par une double évolution : on est passé d'une compétence d'aide sociale à une compétence d'action sociale avec la mise en place de démarches d'accompagnement social auprès de publics diversifiés (bénéficiaires du RMI, jeunes en situation de précarité, personnes « désocialisées » ) ;et « d'une approche fragmentée de l'intervention sociale à une approche globalisée caractérisée par un soutien quantitatif et qualitatif considérable dans les domaines de l'insertion des jeunes et de l'insertion économique ». Exemples : à quelques exceptions près en région parisienne, toutes les villes participent à une mission locale ou à une PAIO  huit villes sur dix mènent par ailleurs des opérations de prévention auprès des jeunes.

Des évolutions qui n'ont pu se faire qu'au prix de partenariats avec les services de l'Etat, les organismes de protection sociale, les associations et les collectivités territoriales. Pourtant, le partenariat avec les départements semble se heurter encore à de réelles difficultés. A qui la faute ?L'augmentation du poids du social dans les budgets respectifs a contribué à attiser les tensions entre ces deux niveaux territoriaux dont les compétences respectives ne sont pas toujours clairement définies.

Les départements considèrent volontiers que l'insertion sociale n'est pas de leur ressort, bien que l'Etat leur en ait parfois donné la compétence, avec le volet insertion du RMI par exemple. Certains départements ne cachent pas qu'ils préféreraient mettre un terme au système de cogestion Etat-départements du RMI.

Tous les départements ne voient pas non plus d'un très bon œil l'arrivée dans leur giron de la prestation d'autonomie que le gouvernement compte mettre en place à partir du 1er janvier prochain. Plus globalement, face à l'augmentation du coût de l'action sociale dans son ensemble, certains départements n'hésitent pas à menacer même de renoncer purement et simplement à toute prise en charge financière.

De leur côté, les communes tirent, elles aussi, la sonnette d'alarme : elles veulent bien accepter une part accrue des responsabilités dans le champ social à condition que leur rôle soit reconnu par l'Etat et les autres collectivités. Et surtout, elles demandent que les moyens dont elles disposent soient à la hauteur de la charge qui est la leur. Car faute de moyens, le risque est grand - et c'est parfois déjà le cas - de voir les communes conduites à faire des choix : les dépenses d'action sociale se trouvent en position de concurrence avec d'autres types de dépenses qui, pour certaines, contribuent également au maintien de la cohésion sociale (urbanisme, logement, culture...).

Les villes, qui estiment avoir été les grandes oubliées de la réforme de décentralisation, entendent profiter du débat sur l'aménagement du territoire pour faire entendre leur voix. « Il n'est plus possible de continuer à s'investir sans changement de la donne, estiment les cadres communaux de l'action sociale, les villes supportent l'effort sans contrepartie financière pérenne. »

Et c'est bien là le nerf de la guerre ou le nœud du problème. Au fil des années et à mesure que les différents échelons locaux ont assis et conforté leurs pouvoirs, les logiques financières ont devancé, voire parasité, les logiques sociales et économiques. Même les projets de partenariats locaux mis en œuvre dans le cadre de la politique de la ville- DSQ, DSU, PLIE ou GPU (3)  - ne sont pas épargnés par ces contradictions entre logique de projet et logique financière. L'exemple du grand projet urbain de Tourcoing est significatif à cet égard (voir encadré).

GPU DE TOURCOING : AMBITION ET DÉCEPTION

Marqué par un long et brillant passé industriel textile, Tourcoing a été touché de plein fouet par la crise économique qui a entraîné la fermeture de nombreux sites industriels et une forte diminution des effectifs salariés. Ce pôle urbain de la métropole lilloise a néanmoins décidé de s'engager dans une politique de redéveloppement. Comment ? En initiant, dès le début des années 80, une politique globale et une intervention massive de restructuration urbaine sur les secteurs les plus dégradés. Contrat d'objectif, contrat d'agglomération, schéma directeur, plan local d'insertion par l'économique, à chaque nouvelle forme de contractualisation possible avec l'Etat ou les collectivités territoriales, Tourcoing affine son projet et aboutit au concept de « ville renouvelée » principalement axé sur la rénovation du parc de logements. Pour Frédéric Tréca, responsable du développement social urbain de Tourcoing, « l'habitat ancien est en effet un facteur important de dégradation sociale ». Retenu au titre de grand projet urbain par le comité interministériel des villes du 4 août 1994, le projet était résolument ambitieux. Il s'agissait d'enclencher, autour des projets urbains, « l'insertion durable des populations et permettre aux habitants de s'approprier le changement envisagé, d'en être les acteurs ». Pourtant, le débat avec l'Etat n'a pas eu lieu et les acteurs de terrain, englués dans les procédures, n'ont pu s'impliquer dans les débats de fond. Trois quartiers ont été retenus par les pouvoirs publics (l'un d'entre eux n'était même pas inscrit par Tourcoing au nombre de ceux devant bénéficier d'une aide dans l'immédiat...). Pour les autres, il faudra attendre. La logique financière a été privilégiée et un sentiment de frustration général règne sur le terrain. D'autant qu'il faut à présent combler le déficit d'image et faire en sorte qu'aux yeux de tous la délégation de la politique de la ville aux élus locaux ne soit pas qu'une simple délégation de procédures...

Vers un changement de logique

La zone de turbulence que semblent traverser villes et départements marque bien un tournant dans la décentralisation. Il s'agit en effet moins de défendre son territoire, quel qu'il soit, que de vouloir comprendre l'autre pour mieux travailler ensemble. Un effet positif de la crise qui pourrait favoriser le développement de nouvelles logiques de partenariat et de complémentarité en fonction d'objectifs de résultats plutôt que de rivalité de pouvoir. A condition que l'Etat accepte de jouer le jeu. Sa position est aujourd'hui critiquée : « l'Etat est un partenaire qui impose, qui arbitre et qui contrôle », affirme Gérard Valette, conseiller général de l'Aisne. Pour ce dernier, il est plus urgent de coordonner les compétences existantes que de redéfinir celles-ci.

L'endettement auquel sont confrontées certaines collectivités ne leur laisse d'ailleurs plus tellement le choix. Le partenariat, s'il a pu être alibi, devient vital. La logique territoriale est d'ailleurs déjà en train d'évoluer. L'intercommunalité se développe, pulvérise les frontières de la ville et bouleverse les logiques d'action. Certaines grandes agglomérations ont en outre plus de points communs, dans leurs modes de gestion, avec un département qu'avec une très petite commune.

Ce mouvement de fond, au-delà des difficultés politiques et pratiques qu'il impose, constitue un véritable défi pour l'action sociale. « Les enjeux ne sont pas seulement institutionnels, ils touchent à la conception même du devoir de solidarité », estime l'ODAS dans son étude. En restaurant l'image des collectivités territoriales, parfois ternie par les querelles institutionnelles, il est possible de replacer l'individu au cœur de l'action sociale. Une leçon d'humilité des politiques qui reconnaissent aujourd'hui qu'ils ont besoin de la collaboration du plus grand nombre pour relever les défis qui leur sont lancés.

Virginie Besson

Notes

(1)  Les 17,18 et 19 octobre derniers à Villeneuve d'Ascq. ANCCAS-Siège CCAS : 1bis, place Saint-Similien - BP 1048 - 44037 Nantes cedex 01.

(2)  Enquête effectuée auprès de 183 villes de plus de 30 000 habitants. ODAS : 37, boulevard Saint-Michel - 75005 Paris.

(3)  DSQ : Développement social des quartiers - DSU : Développement social urbain - GPU : Grand projet urbain.

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