Recevoir la newsletter

LES FAMILLES FACE À L'INCARCÉRATION D'UN PROCHE

Article réservé aux abonnés

Accueillir et écouter les familles de détenus, porter leurs paroles auprès des instances décisionnelles, telle est la mission que se sont fixées les maisons d'accueil mises en place par des militants associatifs. Un mouvement discret qui semble pourtant se développer.

En 1987 à Lyon, les participants à la première rencontre nationale des maisons d'accueil des familles et amis de détenus étaient au nombre de 80. En 1991 à Nancy, lors du deuxième rendez-vous, on en comptait 150. Les 29 et 30 septembre derniers à Poitiers, ils étaient 350. Des chiffres qui n'ont l'air de rien mais qui, pour les membres de la Framafad (1), organisateurs de ces IIIe assises nationales, veulent dire beaucoup. « Les choses bougent, constate Olivier Mignot, président de la Framafad. L'idée qu'il faut faire quelque chose pour les familles de détenus commence à faire son chemin. » Le thème choisi cette année pour les débats est lui aussi significatif : « famille et incarcération ». « Lors de nos précédentes rencontres, nous avons surtout posé le problème de nos structures, explique Olivier Mignot. Là, nous voulons faire un pas de plus. Notre but est bien sûr de mettre nos expériences en commun, de proposer des réponses aux difficultés rencontrées par les familles mais aussi d'interpeller les pouvoirs publics. »

La détention marque une rupture

Première remarque : si elle touche d'abord le détenu, celui qui a commis le délit, l'incarcération engendre des bouleversements chez ses proches. Il y a séparation d'avec les parents, le conjoint, les amis, les enfants... Les liens familiaux sont brutalement déséquilibrés. La vie bascule. Rien ne pourra plus fonctionner comme avant. Que le détenu soit surinvesti par ses proches ou, au contraire, sanctionné par eux, « la famille est en crise, ne serait-ce que parce qu'elle est à l'extérieur et que le détenu est à l'intérieur des murs », commente le docteur Bernard Méry, psychiatre en milieu pénitentiaire à Poitiers. Il faut alors composer avec le nouveau contexte et cet univers très particulier qu'est la prison. Ce monde à part qui fait des membres de la famille des « codétenus » malgré eux.

« L'incarcération d'un proche est toujours une rupture qui laisse la famille démunie face à une énorme machine qui s'appelle la Justice et dont elle ignore les rouages », souligne Madeleine Perret, membre de la Farapej (2). Sans compter « le mépris ou l'hostilité » à l'égard des familles, voire l'indifférence. Indifférence de l'administration pénitentiaire qui a exclusivement en charge le détenu et des travailleurs sociaux que le manque de moyens contraints à parer au plus pressé : « la famille n'est pas la priorité des services sociaux. A Bordeaux, on est 4,5 assistants sociaux pour 700 détenus que l'on n'a même pas le temps de visiter », explique Marie-Claude Dagan, assistante sociale à la mai- son d'arrêt de Bordeaux-Gradignan.

L'accueil comme accompagnement

Partant de ce constat, les maisons d'accueil sont apparues comme un recours. La première a vu le jour à Muret, en 1972, puis une autre s'est constituée à Lyon, en 1982. Nées de l'initiative privée et, notamment, de militants du Secours catholique, l'idée a germé et on compte actuellement 90 structures d'accueil pour 183 établissements pénitentiaires.

Gérées par des associations (3), leur objectif est clairement défini : accompagner les familles des détenus dans les étapes qui jalonnent l'incarcération et, principalement, l'attente au parloir lors des visites. Ouvertes le jour pour la plupart (4), l'accueil est assuré par des bénévoles. Les familles y trouvent des boissons, des sanitaires, un change pour les bébés, éventuellement une garde pour les enfants avec des jeux, des informations concernant les droits des familles et des détenus et, surtout, une écoute. « Au début de la détention, les proches sont déboussolés, raconte Nadine, accueillante à Saintes. Ils sont sous le choc, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Parfois, le comportement du détenu change, il devient agressif, aigri. Cela fait peur aux familles. On essaie de leur apporter un peu de réconfort. Elles préfèrent souvent nous parler plutôt qu'à leur entourage qui les juge. Elles ont honte, elles se sentent fautives. » Honte d'être le parent d'un détenu, peur de se montrer, souffrances tues, sont autant de facteurs qui font que les familles ne viennent pas forcément dans les structures d'accueil, même si elles en connaissent l'existence. « Il faut l'accepter, note Olivier Mignot. Il y a des jours où nous ne voyons personne ».

Une enquête réalisée de février à mai 1995 par la Framafad auprès des familles de la région pénitentiaire de Bordeaux a pourtant montré combien les problèmes qu'elles rencontrent sont nombreux. En premier lieu viennent les difficultés d'adaptation à la nouvelle situation. Sur le plan matériel d'abord : que dire à l'employeur de la personne incarcérée ? Combien de temps va durer la peine ? Quel avocat choisir ? Combien va-t-il coûter ? Comment payer les traites de la maison ?... « Les familles font l'expérience d'un dénuement financier auquel elles ne sont pas préparées, affirme Madeleine Perret. Pour une famille modeste, le simple fait d'envoyer un mandat de 200 F pour que le détenu puisse s'acheter des cigarettes ou bénéficier de la télévision dans sa cellule pose problème puisqu'il faut payer à chaque fois 28 F de frais postaux sans parler des frais de déplacement ». De fait, les centres de détention sont souvent très éloignés du domicile des familles. Il faut alors disposer d'une demi-journée, voire d'une journée entière- ce qui suppose de quitter son travail - et payer les transports. Il arrive ainsi que les visites se fassent rares.

La prison punit aussi la famille

Mais, pour la famille, le plus difficile est peut-être d'assumer la solitude et le regard accusateur des autres. Il est fréquent que les femmes se cachent de leur propre famille pour ne plus s'entendre répéter : « je t'avais bien dit qu'il ne fallait pas l'épouser ». Quant aux enfants, ils se sentent souvent obligés de mentir aux petits copains de classe : « mon père est en voyage » ou « je n'ai pas de papa ». Cette détresse morale, les détenus aussi la vivent. « 60 % des souffrances des prisonniers que je consulte pour la première fois sont basées sur la non-communication avec l'entourage, l'absence de dialogue », relate le docteur Christian Croquin, psychiatre à Saintes.

A cet isolement psychique de part et d'autre des murs s'ajoute l'isolement affectif. Les parloirs constituent la seule possibilité de se rencontrer. Mais leur fréquence - une fois par semaine pour les condamnés - et leur durée - en général, 30 minutes - sont jugées insuffisantes par les familles. « En six mois de détention, je n'ai pu voir mes enfants que trois fois car il fallait qu'ils fassent 350 km aller-retour pour une demi-heure de visite et mon mari ne pouvait pas toujours se libérer de son emploi pour les accompagner », se souvient Françoise, une ex-détenue. Autre frustration soulevée : l'absence d'intimité. « A peine peut-on se toucher », dit Françoise. Certains couples se débrouillent, cependant, pour avoir un rapport sexuel furtif, mais, officiellement, la question de la sexualité entre la personne détenue et son conjoint relève du tabou. « La privation de liberté sexuelle fait-elle délibérément partie de la punition », se demande le docteur Christian Croquin qui n'hésite pas à parler de « castration pénitentiaire ». Des parloirs sexuels existent en Espagne, « pourquoi pas en France, cela fait partie de la réinsertion », interroge Catherine dont le mari est détenu.

La prison pose également le problème des enfants. Ils sont 140 000 aujourd'hui, en France, a avoir un de leurs parents derrière les barreaux. « Toute séparation n'est pas forcément traumatique, nuance cependant le docteur Philippe Quentin, pédo-psychiatre au centre hospitalier de Saintes. Une chose est certaine, si l'enfant vient voir son père ou sa mère incarcéré, ce n'est pas pour entendre un discours justificateur mais pour trouver un peu d'affectivité. » Difficile, car la prison ne se prête guère aux sentiments. Une fois encore, les proches déplorent l'inadaptation des parloirs :impossibilité pour l'enfant de faire des allées et venues, d'apporter un nounours ou tout autre jouet pour des raisons de sécurité, interdiction également d'amener un dessin.

Enfin, il y a l'angoisse du retour lorsque l'incarcération a été longue et que les couples ne se sont pas séparés comme cela arrive souvent. Les enfants ont grandi, ils ont pris la place du parent absent  au dehors, la famille s'est réorganisée. Le détenu lui aussi a changé. La sortie comme l'incarcération est un choc : « il y a des femmes qui viennent voir leur mari régulièrement et qui au moment du retour nous disent “je n'en veux plus” », raconte une accueillante bénévole.

Se regrouper pour être efficace

Cette réalité est d'autant plus délicate à gérer pour les familles qu'il n'y a pas d'harmonisation d'un établissement pénitentiaire à un autre et qu'un usage admis dans un centre peut être remis en cause du jour au lendemain si un nouveau directeur arrive. De la même façon, il dépend de la bonne volonté des surveillants qu'un proche, arrivé avec quelques minutes de retard à la visite, puisse voir le détenu ou soit refoulé. « La prison est un monde clos. Tout est réglé par le détail car on y a l'obsession de la sécurité, la peur de l'évasion ou de la mutinerie. L'équilibre à l'intérieur ne repose pas sur le droit mais sur les rapports de force », explique Michel Massé, professeur de Droit à la faculté de Poitiers.

Un rapport de force duquel les maisons d'accueil ne sont pas exclues. En effet, si la plupart sont situées à l'extérieur des différents lieux de détention, d'autres, faute de moyens financiers  (1), ont accepté le local mis à leur disposition par l'administration pénitentiaire à l'intérieur de la prison et manquent, par là même, d'indépendance. « Les accueillants sont obligés de demander les clés aux surveillants, ils doivent quitter les lieux à telle heure », regrette Olivier Mignot. Pour être plus fortes et plus efficaces, certaines d'entre elles se sont regroupées en une fédération régionale. C'est le cas notamment de la région pénitentiaire de Bordeaux qui regroupe 11 maisons d'accueil. D'autres pourraient suivre l'exemple. « Il est important que vous vous structuriez afin d'être un interlocuteur privilégié », a d'ailleurs lancé Martine Birling, adjointe à la sous-direction de la réinsertion au sein de l'administration pénitentiaire. Un défi que ne manqueront pas de relever les membres de la Framafad mais dont ils connaissent déjà les limites. « Nous ne sommes pas un relais de l'administration, a rappelé Eliane Chessel, fondatrice de la première maison d'accueil à Lyon. Pour que la parole des familles puisse librement s'exprimer, le lieu d'accueil doit être neutre, confidentiel et autonome, c'est-à-dire en dehors du social et du médical. »

Brigitte Bègue

Notes

(1)  Fédération régionale des associations des maisons d'accueil des familles et amis de détenus : 8, passage Pont-Amillion - 17100 Saintes - Tél. 46.92.11.89.

(2)  Fédération des associations de réflexion-action prison et justice : 23, rue Gosselet - 59000 Lille - Tél. 20.02.51.13.

(3)  Les principales sont le Secours catholique, la Cimade, la Croix-Rouge, Emmaüs, l'Armée du salut.

(4)  Quelques structures proposent un hébergement de nuit pour répondre à l'éloignement géographique des établissements.

L'ÉVÉNEMENT

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur