LE LIVRE SOCIAL TIENT SALON

Actualités sociales hebdomadaires  : Pourquoi organiser un salon du livre social ?

Brigitte Bouquet : A l'origine, la paternité en revient au juriste Bernard Pellégrini, aujourd'hui directeur du centre de formation de la PJJ à Vaucresson. Cherchant à développer des contacts entre chercheurs et praticiens, il a été le premier à proposer un salon de la recherche et du livre social. Depuis, l'idée a fait son chemin et nous l'avons concrétisée à l'occasion de la manifestation nationale, « Le temps des livres », organisée par le ministère de la Culture. Ce salon est également né en réponse à un problème très concret. Le Musée social est en effet inondé de demandes de professionnels à la recherche de documents ou d'ouvrages sur tel ou tel sujet et qui ne savent pas très bien où s'adresser. Il s'agissait donc, pour nous, de réunir, dans un même lieu, le plus grand nombre possible d'auteurs, d'éditeurs et d'organismes intervenant dans le champ du social et de permettre, ainsi, aux travailleurs sociaux de se tenir au courant des dernières publications, des nouvelles idées... en bref de tout ce qui bouge dans le social. D'autre part, dans un domaine où l'information est très dispersée et où il existe un certain déficit d'analyse dans les médias, il nous paraît important de mettre en lumière une certaine cohérence du savoir. En outre, nous espérons ainsi visibiliser ce secteur, par nature éclaté, et montrer aux pouvoirs publics que le social vaut la peine que l'on s'y intéresse.

ASH  : Le secteur social constitue-t-il vraiment un marché éditorial spécifique ?

B.B. : Les éditeurs disent que les travailleurs sociaux ne lisent pas. Et, dans le même temps, ils veulent tous lancer une collection sur le social. Je crois que cette attitude paradoxale est liée à l'omniprésence actuelle du thème de la fracture sociale. Les éditeurs souhaitent contribuer à la réflexion mais, outre la difficulté consistant à trouver des manuscrits publiables, ils craignent de ne pas vendre leurs livres. Par exemple, nous avons proposé l'idée d'un dictionnaire critique de l'action sociale à huit maisons d'édition. Toutes étaient intéressées mais, finalement, deux seulement étaient prêtes à mener le projet à terme. La question financière se révèle donc un frein puissant à la constitution d'un pôle éditorial fort autour du social.

ASH  : Ne souffre-t-on pas également d'une certaine pénurie d'auteurs ?

B.B. : Il est vrai que même si les travailleurs sociaux écrivent beaucoup plus qu'il y a quelques années, notamment grâce au DSTS, le cercle des auteurs potentiels demeure effectivement assez restreint. D'autant qu'on ne voit pas, actuellement, émerger une véritable relève parmi les chercheurs du social qui sont les premiers concernés. Il y a sans doute moins d'étudiants qui se consacrent à ce domaine. En outre, les rares équipes existantes tendent à se disperser, certains chercheurs quittant le secteur. Quant aux travailleurs sociaux qui parviennent à rédiger une thèse tout en travaillant, ils ne peuvent guère compter vivre de la recherche et de l'écriture. Ce qui fait que les éditeurs qui s'en tiennent au label universitaire, essentiellement pour des raisons de qualité et de rentabilité, se rabattent toujours sur les mêmes signatures. Et ceux qui font le choix d'une politique éditoriale plus souple, reçoivent des manuscrits de qualité très inégale, sachant qu'il n'existe pas, dans le travail social, de filtre comparable à celui de l'université. Dans ces conditions, ce qui marche bien aujourd'hui, sur le plan commercial, c'est le témoignage . Mais un grand vide demeure entre le récit professionnel vécu et la réflexion conceptuelle de haut niveau. En outre, dans ce domaine, à part quelques exceptions comme Robert Castel, on ne voit pas émerger de pensées réellement novatrices sur le social. On écrit beaucoup sur l'insertion et l'exclusion mais on n'a pas encore débouché sur quelque chose de vraiment mobilisateur. Propos recueillis par Jérôme Vachon

Ce premier salon du livre social, dont le thème est « La question sociale hier et aujourd'hui », est organisé par le CEDIAS-Musée social avec la Maison des sciences de l'Homme et une unité du CNRS dirigée par l'historien Antoine Prost. L'ensemble des publications récentes théoriques ou pratiques, permettant d'aborder l'une ou l'autre des facettes du social, sera mis à la disposition du public. La plupart des éditeurs concernés seront présents ainsi que de nombreuses organisations du secteur et la presse spécialisée. Plusieurs tables rondes auront également lieu, réunissant des auteurs et des responsables de revues sur différents thèmes. Une exposition est également prévue où seront présentés différents documents historiques : manuscrits, affiches, questionnaires des premières enquêtes sociales, almanach de la question sociale... Le CEDIAS-Musée social est né en 1963 de la fusion du Musée social, fondé en 1894 par le Comte de Chambrun, et de l'Office central des œuvres de bienfaisance, créé en 1890. Outre des activités d'édition, de formation et d'organisation de conférences, il gère un fonds documentaire comportant quelque 100 000 ouvrages et périodiques sur le social. Salon du livre social :CEDIAS-Musée social - 5, rue Las-Cases - 75007 Paris - Tél. 1 45.51.66.10 -Entrée libre.

Pour la première fois une maison d'édition, en l'occurrence Erès, lance une collection consacrée spécialement à l'éducation spécialisée. Son responsable, Joseph Rouzel, lui-même éducateur et formateur, s'explique.

Actualités sociales hebdomadaires : Qu'est-ce qui vous a incité à lancer cette collection : « L'éducation spécialisée au quotidien »  ?

Joseph Rouzel : On dit que les éducateurs n'écrivent pas. C'est faux. Ils écrivent, ne serait-ce que pour tenir à jour les cahiers de liaison ou rédiger des notes de synthèses et des rapports. En outre, je me suis aperçu que beaucoup d'entre eux tentent, à titre personnel, de mettre en mots leur pratique professionnelle. Parfois sous des formes assez originales. Je pense à une éducatrice qui écrit de la poésie à partir de son travail ou à un éducateur qui évoque son métier au travers d'un roman policier. Mais, curieusement, cette matière première demeure le plus souvent inexploitée par les éducateurs eux-mêmes. Que font les éducateurs ? Ceux qui répondent à ce type de question ne sont pas ceux qui exercent le métier. Passé le temps des pionniers, comme Joubrel ou Deligny, la profession est devenue presque muette. Les éducateurs n'interviennent pas dans les colloques où l'on évoque les questions cruciales du social. Et quand ils écrivent, c'est le plus souvent sous couvert : ils sont formateurs, gestionnaires, ou parés de diplômes universitaires. Il m'a donc semblé nécessaire d'ouvrir un espace dans lequel leur expression puisse être reconnue. Car si les éducateurs ne parlent pas eux-mêmes de leur métier, personne ne le fera à leur place. Ce n'est pas la peine de réclamer une identité si on n'en passe pas d'abord par là. D'ailleurs, me semble-t-il, et c'est un peu nouveau, ceux qui écrivent ont aujourd'hui davantage le désir de faire connaître leurs travaux. C'est un effort qui mérite d'être soutenu.

ASH  : L'écriture représente tout de même une certaine difficulté pour les éducateurs. A quoi cela tient-il ?

J.R. : D'une part, c'est une banalité de le dire, les modèles, en formation et sur le terrain, sont importés d'autres champs de connaissance. Et il est relativement malaisé d'articuler ces miettes de savoirs avec la pratique éducative proprement dite. D'autre part, une grande partie du problème tient au fait que, sous des dehors assez simples, le travail éducatif est en réalité très compliqué. Expliquer ce qui se passe au cœur de la relation éducative est une tâche extrêmement complexe. Au demeurant, ce travail d'élaboration de la pratique existe dans les institutions. Mais la mise en forme de cette réflexion, par l'écriture, ne fonctionne pas bien.

ASH  : Quelles sont les limites de votre projet ?

J.R. : Un éditeur m'avait demandé d'écrire un « manuel de l'éducateur ». J'ai refusé. Si ce type d'ouvrage peut éventuellement se vendre, ça n'a pas de sens en termes méthodologique et déontologique. En effet, on ne peut pas fabriquer un manuel de l'éducateur. On ne peut que montrer comment se construit progressivement la pratique, avec les moyens du bord et des savoirs disparates. C'est ce que j'appelle, au sens noble du terme, faire un travail de « bricoleur du quotidien ». La question de l'élaboration de la pratique, de la clinique, constitue d'ailleurs le cœur de la collection. Concrètement, celle-ci n'en est qu'à ses débuts avec deux ouvrages à paraître (1). Mais, déjà, quelques manuscrits nous sont parvenus avec parfois des choses étonnantes. Par exemple, le journal de bord d'un ancien ouvrier du Nord qui raconte comment il a rencontré, par hasard, Fernand Deligny et est resté avec lui pendant 20 ans pour s'occuper d'enfants autistes. Pour le moment, notre objectif est de publier deux ou trois ouvrages par an et de les vendre chacun à 1 000/1 500 exemplaires. Ce serait déjà un résultat honorable. Propos recueillis par J.V.

Dans Itinéraire d'un éducateur de la première génération (2), Paul Bertrand, directeur jusqu'en 1980 de la Sauvegarde de l'enfance du Pays Basque, retrace, au travers de son parcours professionnel, la naissance de la profession d'éducateur spécialisé. Né en 1920, il appartient en effet à cette génération de pionniers qui, sortant des chantiers de jeunesse en 1944, s'engage presque par hasard, au service de ce que l'on appelait encore l'enfance inadaptée. Jeunes, enthousiastes, peu formés, ils doivent se débrouiller avec des moyens matériels souvent dérisoires. Et, s'appuyant sur une pédagogie parfois assez sommaire, ils imaginent au quotidien une nouvelle façon de prendre en charge les jeunes en difficulté. Une génération qui, en seulement 20 ans, a inventé l'éducation spécialisée, pour aboutir, à la fin des années 60, à la signature des accords UNAR-ANEJI et à la création du diplôme d'Etat d'éducateur spécialisé. Un ouvrage passionnant, même s'il se perd parfois dans les détails, né de la rencontre de l'auteur avec l'historienne Françoise Tétard. C'est la dure réalité du travail social d'aujourd'hui que décrit, pour sa part, dans son Journal d'une assistante sociale  (2), Colette Dusquesne, assistante sociale de secteur en banlieue parisienne. Réaliste, amère, souvent révoltée et parfois désabusée, elle raconte, au fil des pages, l'entassement des familles défavorisées dans des appartements-taudis, la brutalité de plus en plus grande des situations sur le terrain, l'absence de réelles solutions dont souffrent les travailleurs sociaux, la féroce indifférence, voire le mépris manifesté par les organismes officiels, et parfois par les élus, à l'égard des plus pauvres. Et elle dénonce l'hypocrisie du discours sur la maltraitance qui stigmatise les parents, oubliant les violences que la société fait subir aux familles. Un ouvrage qui est à la fois un aveu d'impuissance et un cri de révolte. « Resterons-nous enfermées dans le silence et l'impuissance tout en revendiquant une reconnaissance sociale à la hauteur de nos compétences ou saurons-nous nous mettre au service de ceux qui ont le plus besoin de notre aide ? », s'indigne l'auteur, rompant ainsi le silence pesant que s'imposent trop souvent les travailleurs sociaux. Car, sans apporter de solution, il est urgent, estime-t-elle, de tirer le signal d'alarme.