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ACTIONS PASSERELLES : POUR DÉDRAMATISER LA PREMIÈRE SCOLARISATION

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Traits d'union entre les familles et l'école maternelle, les lieux passerelles préparent à aborder la première scolarisation des enfants de milieux défavorisés. Ils fonctionnent comme des outils d'intégration sociale et de prévention précoce.

Même dans la chaleur de l'été 1995, même avec ses glycines en fleurs et ses espaces verts parfaitement verts, la cité des Tertres de Bagneux, au sud de la région parisienne, conserve ses allures de quartier défavorisé. Une banlieue difficile, comme on dit, avec ses deux barres d'immeubles gris d'une longueur interminable abritant une population frappée par le chômage et sa cohorte de conséquences matérielles et psychologiques. Au pied des HLM, l'école Paul Eluard a été investie de la significative mention ZEP (zone d'éducation prioritaire).60 % de ses élèves sont originaires du Maghreb et de l'Afrique noire tandis que les 2 à 3 ans représentent la moitié des effectifs. De jeunes enfants dont l'avenir semble déjà assombri par le béton de la cité.

C'est justement pour contrer ce déterminisme social et faciliter l'intégration des enfants que la directrice de l'école Paul Eluard, Nicole Calvez, et une enseignante, Nathalie Hayi, ont décidé de créer un lieu passerelle entre l'école et les familles. Leur projet voit le jour en mars 1992 : c'est l'association Oasis de Bagneux (1), située dans un local de l'école elle-même et accueillant les enfants de 0 à 6 ans. Un espace dont le financement est assuré par un partenariat local et national (il réunit l'Education nationale, la mairie de Bagneux, la Fondation de France, le contrat ville et le Fonds d'action sociale (FAS) ).

Préparer l'entrée à l'école

Comme pour toutes les actions passerelles existant en France - on en recense une vingtaine -, l'Oasis est d'accès gratuit et s'efforce de préparer à aborder la première scolarisation, notamment l'école maternelle, dans de bonnes conditions. Il s'agit, pour des enfants qui n'ont pas eu la chance de connaître les systèmes classiques de crèche et de halte-garderie, d'éviter un trop grand choc culturel et affectif quand ils passent brutalement du milieu familial, parfois très éloigné de l'institution scolaire, à la petite école. Deux fois par semaine (le mardi de 16 h 30 à 18 h et le mercredi de 16 h à 18 h), deux enseignantes et un animateur socioculturel ouvrent les portes de l'Oasis où les enfants peuvent, en douceur, se familiariser avec la vie en collectivité.

Une initiative dont le quartier avait besoin car, avant sa mise en place, les relations étaient extrêmement tendues : « il y avait une barrière entre l'école et les parents qui avaient une grande méfiance à notre égard car beaucoup d'entre eux n'ont pas été scolarisés ou ont connu l'échec scolaire », explique Nicole Calvez. Des parents rejetant l'établissement Paul Eluard, un climat alourdi par la suspicion permanente alimentée par la rumeur à la clochemerle : la situation était réellement catastrophique traversée de malentendus voire de véritables conflits. Dans ce contexte, le faible investissement des parents dans la scolarité de leurs enfants pouvait avoir des répercussions alarmantes sur ces derniers : « on voyait des enfants de 4 ans qui refusaient de parler ou qui ne s'exprimaient que par de la violence », se souvient Anne Morel, l'une des enseignantes de l'école participant à la passerelle.

La présence des mères

Aujourd'hui, grâce à ce lieu d'accueil Oasis, « la vapeur s'est tout simplement inversée : les accrochages école/familles qui étaient la règle sont devenus exceptionnels », raconte avec soulagement Anne Morel. Une quinzaine d'enfants en moyenne se retrouvent dans ce lieu agrémenté d'une petite cour aménagée. L'ambiance est détendue, les mères discutent avec les institutrices tout en gardant un œil sur leurs bambins. La présence des mères est d'ailleurs l'une des règles d'or des lieux passerelles. En effet, les enfants doivent être accompagnés d'un adulte majeur - qui se trouve le plus souvent être leur mère mais peut aussi parfois être une grand-mère, une nounou ou, plus rarement, le père - de façon à ce que la transition vers l'école soit la plus sereine possible. Une exception cependant à Bagneux : la directrice accepte, pour les enfants issus de familles venant d'Afrique noire, que les grandes sœurs - d'à peine 10 ans - surveillent leurs cadets car elles sont habituées à suppléer la mère dans les tâches quotidiennes.

Dans l'ensemble, enfants et parents ont progressivement été conquis. Le mercredi, on peut même voir une ribambelle d'enfants arriver près d'une heure avant l'ouverture et attendre patiemment sur le trottoir que le centre les accueille. « Mes fils sont tous deux entrés à la maternelle via l'Oasis. Grâce à cela, il n'y a pas eu de drame. Cela a surtout aidé pour Ludovic, un enfant handicapé (hémiplégique), que j'ai emmené dès l'âge de 6 mois », confie une maman, Evelyne Thein, qui profite du cadre apaisé pour s'entretenir avec une institutrice des résultats scolaires de son aîné, Guillaume. « Dès qu'il y a un nœud avec un parent d'élève, on propose une rencontre à l'Oasis, souligne Anne Morel. On peut s'affronter avec une maman à l'entrée de l'école et se voir là-bas le lendemain complètement assagies ».

Le rôle des intervenants est, bien entendu, crucial et appelle de nouvelles approches professionnelles. Toute la question est de parvenir à établir une relation de confiance avec les parents de telle sorte qu'ils ne ressentent pas le lieu passerelle comme la manifestation de leurs carences éducatives. Construire ce lien avec les parents est un travail long et délicat qui engage tous les personnels impliqués dans l'action. « Ce qui est à l'œuvre, c'est l'instauration d'une coresponsabilité éducative dans un quartier. Il faut signifier aux parents : “nous sommes là pour le bien-être de votre enfant, nous allons faire cela ensemble” », insiste la sociologue, Luce Dupraz, auteur d'une étude intitulée Le temps d'apprivoiser l'école   (1).

L'inertie administrative

En trois ans, la formule a fait ses preuves. Passés par l'Oasis, les enfants redoutent moins l'école, les mères aussi, et la communication se débloque. Pour les enfants comme pour les parents, la passerelle a permis de « dédramatiser l'école et de faire le lien avec le quartier », résume Nicole Calvez dont la priorité consiste, désormais, à faire connaître le centre aux trop nombreuses familles qui ne l'utilisent pas encore.

D'autant que promouvoir le développement de ces lieux intermédiaires se heurte à un certain nombre d'obstacles. En commençant par l'inévitable inertie administrative. « La prise de conscience de l'aspect primordial de ces lieux pour socialiser les enfants est insuffisamment partagée. Les institutions sont empêtrées dans leurs schémas habituels de modes de garde », se désole Luce Dupraz. Pourtant, un protocole d'accord légitimant les expériences de préscolarisation a bien été signé le 20 septembre 1990 entre le ministère de l'Education nationale, de la Jeunesse et des Sports et le secrétariat d'Etat chargé de la famille. Un texte qui constitue un véritable cadre réglementaire aux actions passerelles. Mais, « il n'y a pas de volonté politique pour le mettre en œuvre. Le protocole n'est pas diffusé aux professionnels (instituteurs, éducateurs...) qui, dès lors, ne sont pas encouragés à innover », continue de déplorer la sociologue qui attend que la direction des écoles du ministère de l'Education nationale donne un « dynamisme » au dispositif théorique. Le protocole a beau prévoir la possibilité de mises à disposition d'enseignants dans ces structures, « un inspecteur d'académie n'est pas forcément enclin à admettre le détachement d'une institutrice », renchérit Sylvie Guichard, responsable du pôle solidarité à la Fondation de France (voir encadré).

Seconde difficulté : chaque passerelle doit réunir les instances locale (la ville) et nationale (l'Education nationale). Une combinaison nécessaire pour la bonne marche de l'entreprise mais impliquant de dépasser la « rigidité des procédures » de l'Education nationale qui « ne convient guère aux particularismes du terrain », souligne Luce Dupraz. En outre, comme c'est souvent le cas pour les petites structures novatrices, la pérennité de ces actions repose sur la bonne volonté des acteurs sociaux, essentiellement des fondateurs qui se sont battus pour le projet. « Une directrice d'école part en retraite et cela remet en cause l'existence du lieu », regrette-t-on à la Fondation de France.

Des outils de prévention précoce

En dépit de ces freins à leur mise en œuvre, les lieux passerelles apparaissent comme un outil précieux pour favoriser la réussite scolaire d'enfants défavorisés. Luttant pour l'intégration sociale, ils se placent également dans une perspective de prévention précoce. « Dans les familles en difficulté, on ne saisit pas toujours les enjeux des premières années de scolarité. Les parents ne comprennent pas que la future réussite scolaire de leurs enfants réside dans les jeux effectués à l'école maternelle », affirme encore l'auteur de l'étude qui relève que l'exclusion et la délinquance se jouent, pour une bonne part, dans la petite enfance.

Emmanuelle Heidsieck

DES STRUCTURES POUR LES ENFANTS DES QUARTIERS DÉFAVORISÉS

De 1990 à 1993, le FAS, la Caisse des dépôts et consignations et la Fondation de France ont géré un fonds destiné à soutenir les structures innovantes pour les jeunes enfants des quartiers défavorisés, dans le cadre de l'opération « Des lieux d'accueil nouveaux pour les 0-6 ans ». A la suite d'un concours, 11 lieux passerelles - dont l'Oasis - ont figuré parmi les 105 lauréats (les autres initiatives primées sont des lieux d'accueil enfants-parents et des relais parentaux), bénéficiant ainsi d'un double soutien : d'une part, un prix unique et non renouvelable d'un montant de 30 000 à 60 000 francs, d'autre part, un accompagnement technique dans la recherche d'une reconnaissance et de partenaires locaux, régionaux et nationaux. « Nous avons lancé ce programme après avoir constaté que, dans les quartiers difficiles, des enfants partent avec un handicap culturel avant même d'entrer à l'école. Il y a un fossé entre ce qu'ils vivent chez eux et le cadre scolaire. Parallèlement, nous étions informés de l'éclosion, à la fin des années 80, d'un certain nombre d'associations ayant pour ambition de pallier ce handicap. Nous avons voulu soutenir leurs efforts et donner un écho à leur travail », commente Sylvie Guichard, à la Fondation de France. Jusqu'à présent, les associations passerelles sont nées à l'initiative d'enseignants - telle l'Oasis - et ont chacune leurs spécifi- cités propres liées aux besoins locaux. Pour Sylvie Guichard : « le but, c'est que cette opération suscite d'autres vocations et que ces lieux se multiplient ». La Fondation de France : 40, avenue Hoche - 75008 Paris -Tél. 1 44.21.31.96.

Notes

(1)  L'Oasis - Ecole maternelle Paul Eluard : 3, mail des Tertres -92220 Bagneux - Tél. 1 46.64.68.17.

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