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ACCOMPAGNER : UNE NOUVELLE EXIGENCE POUR LE TRAVAIL SOCIAL

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La notion d'accompagnement social s'impose de plus en plus comme une réponse face à l'exclusion. Son émergence témoigne également de la volonté des praticiens sociaux à trouver de nouveaux repères éthiques.

La montée de l'exclusion et l'impératif d'insertion amènent les professionnels à s'interroger sur leurs pratiques. Et s'il est une notion qui s'affirme avec force aujourd'hui, c'est bien celle de l'accompagnement social, qui s'est progressivement substituée à celle de « suivi social des clients ». Que signifie cette notion devenue incontournable, tant dans les discours que dans les pratiques des acteurs sociaux ? En quoi ce concept modifie-t-il la place des professionnels ? Et dans quelle mesure oblige-t-il à redéfinir de nouveaux principes d'action ?

Déstabilisés par l'empilement des procédures visant l'insertion des publics en dif-ficulté, et leur relatif échec à assurer une intégration durable, les professionnels sont placés dans l'obligation de trouver des repères nouveaux et communs. Conscient de la nécessité qu'il y a aujourd'hui à s'interroger sur le fondement des pratiques sociales, le Mouvement pour l'accompagnement et l'insertion sociale, le MAIS, avait choisi un thème d'actualité pour son IXe colloque : « Accompagner... vous avez dit déontologie ? »   (1).

Conseiller ou protéger ?

En préambule à cette rencontre, la présidente, Monique Lefevre, s'interrogeait : « qu'en est-il du contenu de la relation accompagnant-accompagné au service de l'insertion ?Avons-nous des valeurs communes ? Que faire de nos éthiques personnelles ? » Le témoignage de Luc Saint-Michel, directeur d'un foyer d'hébergement et d'un service d'accompagnement pour adultes handicapés mentaux, dans les Pyrénées-Orientales, sonnait en écho à ces interrogations. « Quand je suis le référent d'un adulte durant dix ou vingt ans, qui je deviens ? Un conseiller, un ami ? Comment concilier le respect de ses désirs et de son intimité avec ma mission de protection ? Quelle relation instaurer si cette personne vit chez elle avec un conjoint et des enfants, vis-à-vis desquels je n'exerce aucun mandat ? » Outre ces questions sur la frontière relationnelle de sa fonction, ce directeur s'interpellait sur ses limites. « Il ne faut pas se leurrer, ni leurrer, sur la question de l'insertion sociale et professionnelle, surtout dans un département pauvre comme le mien. Le danger est de ne faire que du nursing, sans un réel accompagnement global. »

A cet effet, la définition de l'accompagnement social proposé par le MAIS rend compte d'exigences précises : « accompagner une personne en difficulté, c'est l'aider à réaliser son projet personnel en milieu ordinaire, c'est respecter sa différence, en l'inscrivant dans une réelle citoyenneté. Accompagner, c'est accomplir une action dynamique permanente, allant vers le mieux-faire et le mieux-être de l'usager ». Mais s'il est relativement aisé de s'entendre sur de tels objectifs, fon-dement in fine de l'action sociale, il est plus difficile de les atteindre sans dérapage. « Qui définit ce mieux ? », demande en effet Martine Abdallah-Preitcelle, professeur des universités. Selon elle, la relation d'aide ne peut s'établir sans exercice d'explicitation mutuelle, afin d'éviter toute influence à sens unique. « Le non-dit peut aller jusqu'à la négation de l'autre, prévient-elle. Ce n'est pas la qualité des actes qui fonde l'éthi- que, mais la qualité de la communication. C'est elle qui permet l'action avec autrui, et non plus l'action sur autrui, qui demeure, dans ce cas de figure, un objet. »

Un code de déontologie ?

S'entendre sur des valeurs communes semble donc s'imposer entre « accompagnant » et « accompagné » (ces deux concepts, et c'est loin d'être neutre, tendent à remplacer ceux d'aidant et d'aidé). Mais, les praticiens doivent-ils eux aussi partager des principes éthiques semblables, explicitement énoncés ? Autrement dit, doivent-ils définir et baliser leurs pratiques autour de repères précis ? Au cours de la rencontre du MAIS, un débat s'est instauré entre partisans et détracteurs d'un code de déontologie. A la question « faut-il souhaiter un code de déontologie du travail social et de l'accompagnement ? », Jean-Pierre Rosenczveig répond par l'affirmative. Pour le président du tribunal pour enfants de Bobigny, par ailleurs président de l'Association nationale des communautés éducatives (ANCE), peu importe le « document final ». « L'essentiel, c'est la démarche de réflexion préalable à sa rédaction. » Il s'agirait donc de satisfaire avant tout le besoin des acteurs sociaux à réfléchir et à clarifier le fondement de leur action. La voie qu'il suggère étant centrée, non pas sur des stratégies ou sur des dispositifs, mais bien sur l'individu. Afin de pouvoir définir des repères déontologiques, Jean-Pierre Rosenczveig propose comme référence, pour les professions sociales, le droit des usagers. « Nous sommes au service du respect du droit des individus et de la restauration de leur dignité, quels que soient leur état de santé, leur âge, leur situation », a-t-il insisté. On le sait, l'ANCE travaille à un projet de code de déontologie commun aux professions sociales (définies dans une assertion large : éducateurs, psychologues, psychiatres, enseignants...)   (1).

Cependant, face à la mise en place d'un tel document, Jacques Ladsous, éducateur et vice-président du Conseil supérieur du travail social, se montre très réservé. « J'ai peur des parapluies qui protègent, alors que d'autres se mouillent. Il est vrai que dans notre métier, on prend des risques et on en fait prendre. Mais méfions-nous d'une démarche qui représenterait une défense corporatiste. » Reste que pour lui aussi, la relation doit s'établir sur une base éthique claire. Il opte pour sa part pour une plate-forme à l'intérieur de chaque institution. « Nous devons gérer à la fois les commandes publiques et la demande de l'usager. Notre premier objectif doit être de ne pas continuer à bluffer. » Il faut enfin, dit encore Jacques Ladsous, trouver les moyens d'une rencontre qui permette d'aller « au-delà des limites apparentes ». Les échanges de Metz ont ainsi rendu compte d'une double urgence pour le travail social :d'une part s'interroger sur les valeurs éthiques fondant la pratique (on a parlé de confiance, de respect, de solidarité, et même d'honnêteté)   d'autre part réfléchir à des principes communs pour orienter l'action (ces principes étant définis ou non dans un code de déontologie).

Les principes éthiques

C'est bien dans ces deux mêmes perspectives que l'Uniopss a récemment mené un travail de fond autour de la notion d'accompagnement. A la suite de cette réflexion qui s'appuie sur une étude du Copas réalisée auprès d'une vingtaine d'associations pratiquant l'accompagnement, un ouvrage a été publié : Accompagnement social et insertion   (2). Celui-ci tente de cerner les pratiques diversifiées auxquelles le concept d'accompagnement social renvoie... à défaut de pouvoir le définir de façon univoque. En effet, ce terme ne « repose jusqu'à présent sur aucune définition précise, bien que reconnu comme une nécessité absolue lors de la mise en œuvre de la loi sur le revenu minimum d'insertion, et comme une condition d'efficacité des dispositifs prévus par la loi Besson sur le droit au logement ». Plus récemment d'ailleurs, une nouvelle mesure vient de rendre honneur à ce même concept. Les finalités de l'appui social individualisé ont été, en effet, élargies depuis peu à un « accompagnement global à l'insertion », en recommandant des interventions qui permettent de régler à la fois des problèmes d'emploi, d'argent, de logement, de santé, etc. (3).

Les auteurs évoquent également le fondement éthique qui structure les actions. « Les personnes qui, sur un plan professionnel ou bénévole, mettent en œuvre des pratiques d'accompagnement social se réfèrent à des principes éthiques... elles les explicitent d'autant plus volontiers qu'elles prétendent se distinguer de ce qui stigmatisait le travail social traditionnel comme une variante du paternalisme ou comme un instrument de contrôle social », notent-ils. Quels sont ces principes éthiques revendiqués par les « accompagnants » interrogés par le Copas ? Ils sont au nombre de quatre : respecter la confidentialité des informations, instaurer une relation interpersonnelle fondée sur la réciprocité, s'appuyer sur une solidarité visible d'entraide, et sur un engagement réciproque.

Neutralité et indépendance

« Les pratiques d'accompagnement, parce qu'elles mettent en question la place de celui qui accompagne et de celui qui est accompagné, réactivent nombre de questions classiques du champ du travail social », est-il encore précisé. Parmi ces interrogations, deux renvoient à la qualité relationnelle de l'accompagnement : en quoi le fait d'être à côté (accompagner) plutôt que derrière (le suivi) ou au-dessus (attitude paternaliste) modifie-t-il la relation que l'on a à l'autre et la relation que l'on va nouer ? Comment gérer le mandat confié dans le cadre de dispositifs tels que le FSL ou le RMI en évitant de lier le bénéfice de certaines mesures à un accompagnement qui serait imposé ? Cette idée de liberté réciproque est l'un des points clés mis en avant dans les témoignages recueillis. « L'accompagnant ne doit détenir aucun pouvoir, à la différence de certains travailleurs sociaux qui gèrent l'accès à une prestation ou qui sont mandatés par la justice, par exemple », commente Bernard Enjolras, coordinateur de l'étude à l'Uniopss. Là se situe une caractéristique fondamentale de l'accompagnement : la neutralité et l'indépendance. Il s'appuie en effet sur une relation librement consentie à laquelle chacun peut mettre fin à tout moment. Le corollaire de ce principe étant de pouvoir rendre à la personne accompagnée une réelle autonomie et dignité. Pour lui permettre d'être « acteur de sa propre vie », on ne fait plus à sa place, mais avec elle. A ce titre, l'accompagnement peut s'exercer avec des groupes porteurs d'un projet commun (SDF, chômeurs, femmes immigrées...), qui s'auto-organisent. Afin de satisfaire les obligations ambitieuses de l'accompagnement (réussir durablement l'insertion de la, ou des personnes), un travail en réseau est alors souvent mis en œuvre avec de nombreux professionnels, associations, institutions. Le but : viser une transversalité permettant de résoudre, non plus un problème isolé, mais des problèmes multiples. Du fait de ce partenariat obligé, l'accompagnement social (ou global) renvoie donc aussi à un questionnement sur la place des professionnels et des bénévoles (qu'il s'agisse de confidentialité, ou de compétences respectives...).

En définitive, ce concept porte en son sein une volonté de modeler un autre type de relation entre tous les protagonistes de l'action sociale : accompagnant et accompagné, professionnels et bénévoles. En cherchant à contourner durablement l'exclusion, les diverses expériences de terrain présentées font fi de l'assistance, au nom de principes éthiques rassemblés par l'Uniopss dans une « charte de l'accompagnement ». Cette charte offre elle aussi de nombreuses pistes pour réfléchir à des repères précis d'action, satisfaisant une exigence nouvelle de la part des acteurs sociaux.

Laure Lasfargues

Notes

(1)  Les 13, 14,15 juin derniers à Metz. MAIS : 18, rue Arago - 67380 Lingolsheim - Tél. 88.77.22.09. Cette association regroupe principalement des services d'accompagnement et de suite, lancés dans les années 80 dans le secteur du handicap, à la suite de la loi d'orientation de 1975.

(2)  Ed. Syros - 160 F. Voir ASH n° 1915 du 23-02-95.

(3)  Voir ASH n° 1929 du 2-06-95.

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