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SERVICES PUBLICS DANS LES BANLIEUES : « SORTIR DE L'EXPÉRIMENTAL »

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Renforcer la présence des services publics dans les quartiers en difficulté en passant des expériences locales à une politique globale. Une exigence réactualisée par la préparation du programme national d'intégration urbaine.

Politique d'intégration urbaine. Ce nouvel intitulé de l'action menée par la Délégation interministérielle à la ville (DIV), placée sous l'autorité du ministre chargé de l'Intégration et de la Lutte contre l'exclusion, a au moins le mérite de contenir et de poser le problème : l'enjeu de cette politique centrée sur 1 300 quartiers difficiles de 750 communes françaises - quartiers identifiés dans les 214 contrats de ville du XIe Plan - est celui de la cohésion sociale. Arme par excellence de cette cohésion : le service public. Il constitue « la première clé de voûte du pacte républicain », notait Eric Raoult - lors d'un colloque sur les services au public (1)  - avant d'admettre, après beaucoup d'autres, la nécessité d'en « renforcer la présence » dans les quartiers. Effectivement, en dépit des efforts entrepris pour consolider cette présence depuis le lancement de la politique de la ville en 1982, il semble que l'on soit aujourd'hui à un moment charnière : « le système même modernisé reste sans réponse face à l'angoisse des populations et des publics », note l'économiste et sociologue au CNRS Jean-Louis Laville. Traduction : un grand nombre d'actions positives ont été menées mais simultanément la situation, et surtout celle de l'emploi, s'est dégradée. Un constat brutal mais nécessaire pour redéfinir de nouvelles formes d'intervention.

Des évolutions indéniables

Indéniablement, des évolutions positives sont à l'actif de l'action des pouvoirs publics. Ainsi, avancée hautement symbolique, le temps est de moins en moins où l'Education nationale parachutait des débutants dans les banlieues chaudes (2). Marie-France Moraux, adjointe au directeur des lycées et collèges au ministère de l'Education nationale, ne manque pas de le rappeler : « depuis deux ans, les enseignants qui vont dans les quartiers en difficulté sont expérimentés. De plus, se mettent actuellement en place ce que l'on nomme des “postes à profil” dans les zones d'éducation prioritaires (ZEP)  ». Plus généralement, le ministère de la Fonction publique a pour mission d'assurer au cours de l'année 1995 une formation spécifique de six jours à tous les agents publics en poste dans les 1 300 quartiers identifiés. Disposition qui vient s'ajouter à celles déjà prises depuis 1991 : notamment la possibilité pour les jeunes gens d'effectuer leur service national dans ces périphéries urbaines - ils étaient 6 450  « appelés Ville » au 1er mai 1995 - ainsi que les nouvelles bonifications indiciaires et d'ancienneté pour les fonctionnaires d'Etat affectés dans ces zones sensibles. Parmi les mesures les plus récentes : la convention signée le 29 juin 1995 entre l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et la DIV ayant pour objectif de « faciliter l'accès au marché de l'emploi »   (3). Des actions bénéfiques, certes, mais qui ne masquent pas la modicité des moyens consacrés chaque année à l'amélioration des services publics dans les quartiers : 100 millions de francs sur un budget total de la DIV de 1,3 milliard de francs en 1995. Une donnée financière qui renvoie à la notion même de politique d'intégration urbaine qui, selon Daniel Béhar, géographe et chercheur sur la politique de la ville (4), « est une notion qui reste à définir. Sept ans après la création de la DIV en 1988, cette politique oscille toujours entre deux fonctions : soit se substituer aux autres actions gouvernementales (dans les domaines du logement, du social...) soit interpeller les autres ministères sur les enjeux prioritaires. A mon sens, c'est ce second rôle d'alerte des autres politiques qui devrait être favorisé ».

Un foisonnement d'initiatives

En dehors de cet arsenal de dispositifs visant à rendre plus accessibles les services publics aux habitants des cités, d'autres actions ont également proliféré au cours de la dernière décennie impulsées par le « terrain » (entreprises privées, associations, fonctionnaires locaux...), se concrétisant généralement grâce à des partenariats financiers (mairie, DIV, institutionnels...) et rangées sous le terme générique de « services au public », autrement dit ce qu'on appelle couramment les « initiatives ». Pour Daniel Béhar, ces expériences révèlent quatre lignes de transformation face à « la nouvelle question sociale ». En premier lieu, se manifeste la volonté d'individualiser les services, illustrée par l'apparition des maisons de justice aux côtés des tribunaux traditionnels. Second changement : le désir de rompre avec la spécialisation des services. Ce qui, selon un élu local, peut aller jusqu'à l'extrême confusion : « on voit l'assistante sociale jouer au flic, le flic jouer à l'animateur et l'animateur à l'instituteur ». Troisième évolution : le besoin de mettre en place des médiations. Exemple type : l'ouverture prévue pour le second semestre 1996 d'une « maison des services publics » dans les faubourgs de Roubaix, lieu devant permettre une meilleure coordination des tâches. Enfin, dernière tendance remarquée : le passage d'un « service guichet » à un « service projet ». Ici, on peut citer le cas des Bus Océane, entreprise privée qui, au Havre, participe au désenclavement de certains quartiers en créant de nouvelles lignes d'autobus et en impliquant les conducteurs dans l'opération par des cycles de formation.

Des actions et des initiatives existent donc et se multiplient mais « la dégradation des conditions de vie liée au chômage entraîne de nouvelles difficultés dans les quartiers. Paradoxalement, les agents concentrent des efforts de plus en plus grands tandis que le public estime que le service se dégrade », estime Jean-Louis Laville qui considère comme primordial pour faire face à ces « nouvelles difficultés » de « sortir de l'expérimental et d'établir des normes de l'économie solidaire ». Un point de vue partagé par le vice-président du Conseil national des villes, François Geindre : « on a fait toutes les expériences dans les banlieues. On sait ce qu'il faut faire mais on ne le fait pas. On ne sait pas passer de l'expérimental à une politique générale. Il n'y a que 38 maisons de justice en France. Pourquoi ? ». Question qui renvoie à la répartition des responsabilités entre l'Etat et les villes. François Geindre déplore le désengagement de l'Etat dont il attend qu'il généralise les initiatives à l'ensemble de la France et dégage un message clair sur son action : « on est passé d'une trop grande présence de l'Etat à l'absence totale ». Critique à laquelle le délégué interministériel à la ville, Francis Idrac, rétorque : « on ne peut pas reprocher à l'Etat son absence. Il donne des impulsions mais de façon différente qu'autrefois. Il s'adapte ». Pas suffisamment selon Jean-Louis Laville qui considère que l'objectif de la politique d'intégration urbaine menée par l'Etat devrait être « d'articuler l'action publique avec les milliers d'initiatives locales considérées aujourd'hui comme particulières et sympathiques alors qu'il faudrait les comprendre comme le révélateur d'un mouvement général ».

DÉSENCLAVER LES CITÉS : LE PARI DES BUS OCÉANE

Désenclaver les zones périphériques du Havre, notamment les cités-dortoirs du quartier des Neiges et du plateau, telle est la tâche menée depuis quatre ans par les Bus Océane, le réseau local d'autobus. En 1991, cette entreprise privée, investie d'une mission de service public, fait face à une crise : ses conducteurs ne supportent plus les agressions répétées dont ils sont les victimes dans ces quartiers difficiles. Renoncer à desservir la banlieue ou tenter de s'y faire admettre en proposant un service plus adapté, c'est finalement la seconde option qui est choisie. Ce qui se traduit par la création de nouvelles lignes : une rocade interquartiers ; une ligne express reliant ces zones au centre-ville en 20 minutes ; un service nocturne s'étendant jusqu'à 23 h 45 au lieu de 21 h 30. Par ailleurs, la compagnie institue un tarif préférentiel pour les Rmistes et les chômeurs et propose une formation à son personnel : conducteurs et contrôleurs sont préparés avec un médecin psychiatre à mieux gérer les situations conflictuelles. Résultat : « on a observé une stagnation des agressions et nos employés “vivent mieux” les phénomènes d'insécurité », remarque un responsable des Bus Océane, Dominique Delis. Mais reconnaît-il : « ce ne sont pas les transports publics qui vont résoudre, à eux seuls, le mal-être des habitants ». Un constat qui amène la société à réfléchir aujourd'hui à la mise en place « d'agents de citoyenneté », des médiateurs qui aideraient les familles à résoudre leurs problèmes quotidiens avec l'ensemble des administrations. Bus Océane - Compagnie de transports de la Porte Océane : 115, rue Jules-Lecesne -BP 83 - 76050 Le Havre cedex -Tél. 35.19.75.75.

Du quartier à la société en difficulté

« Un mouvement général », c'est également le diagnostic de Daniel Béhar qui parle, pour sa part, d'un « changement de modèle urbain ». Il y a, explique-t-il, « une montée de la vulnérabilité de la société française dans son ensemble et pas seulement dans les quartiers en difficulté ». A l'appui de cette approche, Daniel Béhar apporte deux indices : plus de trois chômeurs de longue durée sur quatre habitent ailleurs que dans les 1 300 quartiers  les bénéficiaires du RMI sont deux fois plus nombreux dans les logements privés que dans le parc HLM. Conclusion du chercheur : « l'enjeu n'est plus de ramener la marge (la banlieue) à la norme (le centre-ville) mais de faire de la marge le levier de recomposition de la norme ». Analyse qui trouve un écho chez les élus locaux tel Jean-Pierre Delalande, vice-président du Conseil national des villes : « cessons de parler des quartiers. Nous voulons banaliser ces quartiers pour ne pas opposer “en difficulté” et “sans difficulté”. Il faut une conception globale pour toute la population française ». Une préoccupation déjà présente en 1992 dans le rapport Floch (5) qui recommandait de penser l'insertion des exclus à l'échelle de la ville dans son ensemble. Cette position se démarque de celle de l'institut Banlieuescopies qui, dans un rapport rendu public en mars 1995 (6), pointait notamment le fait que les banlieues sont prioritairement frappées par la crise économique et vivent un risque de ghettoïsation grandissant. Le directeur de cet institut, Adil Jazouli, évoquait alors « les lignes de rupture » en germe dans un état des lieux très sombre. « Tableau tragique » contre lequel Daniel Béhar s'insurge : « c'est jouer avec le feu que de prophétiser l'explosion des banlieues. C'est une façon d'assimiler exclusion sociale et exclusion spatiale alors que la perte des repères touche l'ensemble de la société urbaine ».

Un débat auquel n'aura pas échappé le groupe de travail, présidé par Francis Idrac, chargé de préparer le programme national d'intégration urbaine (PNIU). Celui-ci devrait prévoir, selon le gouvernement (7), une place accrue des services publics dans les quartiers. Outre les questions urbaines et de logement, le PNIU devrait également aborder celles relatives à la sécurité, notamment à l'égard des mineurs multirécidivistes comme l'a encore rappelé Eric Raoult, le 4 septembre à Lyon. Et permettre de créer des emplois d'utilité sociale chers à Françoise de Veyrinas, secrétaire d'Etat aux quartiers en difficulté.

Emmanuelle Heidsieck

Notes

(1)   « Politique de la ville : les services au public dans les quartiers, synthèse des journées thématiques de la DIV, cycle 1994-1995 »  - Colloque organisé le 29 juin 1995 à Maisons-Alfort par la DIV - Tél. 1 49.17.46.18.

(2)  Voir ASH n° 1729 du 15-03-91.

(3)  Voir ASH n° 1934 du 7-07-95.

(4)  Directeur de la coopérative Acadie, il a été responsable du groupe de travail « Quartiers et prévention de l'exclusion » lors des travaux préparatoires au Xe Plan.

(5)  Voir ASH n° 1778 du 27-03-92.

(6)  Voir ASH n° 1917 du 10-03-95.

(7)  Voir ASH n°1934 du 7-07-95.

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