Actualités sociales hebdomadaire s : Comment réagissez-vous aux propos tenus par Eric Raoult sur la nécessité d'éloigner les familles « indésirables » des cités où elles vivent ?
Pierre Cardo (1) : En novembre 1993, le groupe de travail parlementaire « Justice-Ville », auquel je participais avec, notamment, Françoise de Veyrinas et Eric Raoult -je pense qu'ils s'en souviendront -, avait rendu un rapport au garde des Sceaux de l'époque, Pierre Méhaignerie. Nous proposions alors d'instaurer une mesure d'éloignement des mineurs qui, par leur comportement, finissent par saccager tout le travail social qui se fait dans les quartiers. Cette mise à distance ne devait évidemment pas être définitive et devait se faire dans un contexte éducatif. Nous préconisions également la création de pôles d'accueil dans les quartiers, avec des équipes éducatives travaillant en alternance au sein de ces pôles et dans les internats chargés d'accueillir les jeunes. En effet, actuellement, les éducateurs d'internat sont un petit peu trop à distance de l'ambiance qui règne dans les quartiers. De même que l'état d'esprit des éducateurs de milieu ouvert est assez différent de celui des équipes éducatives d'internat.
ASH : Les propos du ministre concernaient cependant l'ensemble de la famille.
P.C. : Pour ma part, je n'ai pas proposé l'exclusion des familles qui posent problème. C'est vrai qu'on en a. Et je reconnais que cela me ferait plaisir d'en voir quelques-unes partir ailleurs. Mais chez qui ?Chanteloup-les-Vignes a été trop longtemps l'exutoire d'autres villes et je n'ai pas envie que cela recommence ailleurs, même si cela devait me soulager. D'autant que les maires qui n'ont pas ce type de difficultés diront : « je n'en veux pas » et les autres, ceux qui vivent déjà ces problèmes au quotidien, s'écrieront : « je n'en veux plus ». Même s'il faut s'interroger sur ce que l'on peut faire au sujet de ces familles, on ne peut pas lancer des réponses aussi faciles sans en avoir discuté avec ses partenaires. Si le ministre a tenu ces propos pour ouvrir le débat sur la question et tenter de trouver des solutions, d'accord. Mais s'il s'agit uniquement « d'éjecter » ces familles pour les mettre ailleurs, ça ne marchera pas.
ASH : L'un des inconvénients de la proposition d'Eric Raoult ne consiste-t-il pas à pénaliser toute la famille, au risque d'être injuste avec l'un ou l'autre de ses membres ?
P.C. : C'est l'un des arguments que l'on peut opposer à l'éloignement en bloc des familles indésirables. Mais il ne faut pas se raconter des histoires. Dans une ville, on trouve toujours deux ou trois familles posant globalement un problème massif. Car il est évident que si les enfants se permettent des comportements inadmissibles, c'est aussi parce que les parents ne font pas ce qu'il faut pour que ça ne se produise pas. Il y a donc, d'une certaine façon, une responsabilité collective. Ce qui choque les maires et les citoyens, c'est qu'il y ait, dans une cage d'escalier ou un immeuble, des gens qui n'arrêtent pas de semer le trouble (trafics, racket, agressions, destructions...) alors que tous les voisins nous demandent d'intervenir sans que nous puissions faire grand-chose du fait de la longueur des procédures. Et il est logique que la société se demande comment sanctionner l'auteur du trouble et non celui qui le subit.
ASH : Quelles solutions proposez-vous ?
P.C. : Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des procédures judiciaires longues, lourdes, complexes et qui n'aboutissent pas toujours. Je crois qu'il faut nous doter, dans les cités, d'un plus grand nombre de policiers en civil capables d'enquêter, de recueillir des témoignages et d'intervenir correctement sur le plan du droit. Ce qui réglera ces problèmes... et d'autres. Mais je crois qu'il faut éviter de judiciariser systématiquement tout ce qui se produit dans les villes. Ou alors il serait nécessaire de développer la justice de proximité, à condition de lui donner des moyens, notamment en termes de rapidité. Pour ce genre d'affaires, il faudrait des procédures simplifiées et un magistrat qui serait présent de temps en temps dans nos communes. Il existe évidemment des maisons de la justice et du droit, mais ce ne sont encore que des expériences. J'avais également proposé de supprimer les allocations familiales aux familles qui laissent leurs enfants faire n'importe quoi. En effet, alors que les mineurs ne sont pas responsables pénalement avant l'âge de 13 ans, une bonne part des troubles visibles est justement l'œuvre d'enfants, parfois très jeunes, lâchés dans la nature à des heures assez tardives. Et les signalements, qu'ils soient éducatifs ou policiers, se font au-delà de l'âge de 13 ans. Avant, il ne se passe rien et ça n'est pas normal. Je considère que les policiers n'ont pas à être des éducateurs et qu'il faut, de temps en temps, rappeler aux parents leurs responsabilités. Ils réagiront quand le juge pour enfants leur aura expliqué que si l'on trouve encore leur enfant dehors à 2 heures du matin en train de faire des bêtises, on leur suspendra les allocations familiales. Et pour ceux qui sont effectivement débordés par leurs enfants, il existe des dispositifs sociaux. Mais il faut que la société se donne les moyens d'agir. Personnellement, je regrette le blocage de cette société où, plutôt que d'en arriver tout de suite aux extrêmes, on ne consulte pas les différents partenaires pour envisager d'autres solutions. Et je déplore que l'on ne prenne pas le risque de tenter des choses, là où les gens sont d'accord pour le faire. Propos recueillis par Jérôme Vachon
(1) Pierre Cardo, député-maire (UDF-PR) de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines) est l'auteur de plusieurs rapports sur la politique de la ville.