Après avoir tenu des propos provocateurs en évoquant « la culture d'inactivité du RMI » (1) et à la veille de la cacophonie gouvernementale sur les arrêtés antimendicité (2), le ministre de l'Intégration et de la Lutte contre l'exclusion, Eric Raoult, a lancé un nouveau débat, cet été, en préconisant, les 17 et 18 juillet derniers dans des entretiens au Parisien et au Figaro, le déplacement des familles « indésirables ». « Il faut, affirmait-il , d'une façon ou d'une autre, œuvrer par procédure d'éloignement pour rétablir l'ordre public et la sécurité dans certaines banlieues. » Et, poursuivait-il, « nous pouvons faire en sorte qu'une famille qui pose problème dans un quartier soit transplantée dans une autre cité ». Comment ?
En incluant dans les baux une clause prévoyant leur résiliation de plein droit pour trouble de voisinage (à l'instar de ce qui existe pour les impayés de loyers). Pour mettre en place cette procédure d'éloignement, il fallait modifier la loi Malandain du 6 juillet 1989 qui permet au bailleur de demander au tribunal l'expulsion des occupants d'un logement qui n'en usent pas « en bon père de famille ».
Il n'en est pas question, rétorquait le ministre du Logement, Pierre-André Périssol, qui indiquait que « cette loi [de 1989], comme toute loi, est perfectible. Néanmoins, il n'est pas d'actualité de la modifier : il est en effet essentiel de préserver et de développer l'équilibre des rapports entre propriétaires et locataires ». Et pour faire cesser la confusion générée par les propos d'Eric Raoult, il expliquait que si « l'usage paisible des locaux loués est une obligation que doit remplir le locataire, cela n'est cependant pas une clause de résiliation, d'expulsion ou d'assignation à résidence ».
Un fait divers tragique allait, quelques jours plus tard, amener le ministre de l'Intégration à tempérer sa position. En effet, à la suite du meurtre d'un homme, le 22 juillet, à Montataire dans l'Oise, par un jeune dont la famille venait d'être déplacée, il reconnaissait dans un entretien au Monde du 29 juillet que « ce qui s'est passé illustre a contrario [sa] proposition. Mais, poursuivait-il, j'ai peut-être eu le mérite d'ouvrir le débat. Je ne dis pas que c'est la solution unique, je dis que c'est une solution ».
Intervenant à son tour dans le débat, Françoise de Veyrinas, secrétaire d'Etat aux quartiers en difficulté, déclarait à Grenoble le 25 août, qu'il n'était « pas question de déplacer les familles. Eric Raoult a utilisé cette expression à un moment, mais il ne faut pas la prendre au premier degré, a plaidé Mme de Veyrinas. Il est hors de question de prendre des familles et de les déplacer ». Ce à quoi l'intéressé rétorquait ironiquement, dans Libération du 27 août, « Françoise et moi sommes d'accord au quotidien ! Si je ne me trompe pas, elle avait envisagé la semaine dernière une position identique à la mienne. Elle sait qu'il ne s'agit pas de faire un projet de loi, mais de faire de la dissuasion, de rompre l'impunité. [...]Il faut de la générosité et de la fermeté. Et aussi une volonté forte : ramener l'Etat et l'emploi dans nos villes ». L'entourage du ministre de l'Intégration avait du mal à faire la synthèse de ces positions, reconnaissant « l'ambiguïté » et le « caractère nébuleux » des propos des ministres. Expliquant aux ASH qu'il s'agissait surtout de faire peser une « menace », une « épée de Damoclès » sur les familles à problèmes. Et rappelant qu'en tout état de cause, les jugements de résiliation pour trouble de voisinage existent déjà dans l'arsenal législatif.
Un embarras qui confirme qu'Eric Raoult, loin d'envisager comment mettre en œuvre ses propositions, s'emploie surtout à tenir des propos destinés à rassurer, à court terme, tant l'électorat séduit par les thèses de l'extrême droite, que certains habitants des quartiers. Très discret au moment de la présentation des grandes lignes du projet de loi-cadre contre l'exclusion et du programme national d'intégration urbaine, on l'a, pour l'instant, surtout vu dans le rôle de Père Fouettard. Etrange façon pour un ministre de l'Intégration et de la Lutte contre l'exclusion d'occuper le terrain de la réduction de la fracture sociale. Alors que les professionnels qui s'accordent sur le constat - des familles « lourdes » peuvent effectivement mettre à mal le travail accompli et déstabiliser leur entourage - attendent des propositions plus constructives pour que l'action sociale réinvestisse les quartiers. Et s'interrogent sur le sens de la réponse éducative consistant à pénaliser toute une famille quand un seul de ses membres est fauteur de troubles. Sans parler des limites d'une mesure qui, loin d'être la panacée, reviendrait, sans accompagnement social, à seulement déplacer les problèmes.
Hélène Morel
(1) Voir ASH n° 1934 du 7-07-95.
(2) Voir ASH n° 1937 du 25-08-95.