A la suite de la floraison, cet été, d'arrêtés municipaux interdisant la mendicité dans certaines villes du sud de la France (La Rochelle, Pau, Perpignan, Mende, Valence, Avignon, Tarbes, Banyuls-sur-Mer, Toulon...), une circulaire du ministère de l'Intérieur (1) est venue préciser les pouvoirs des maires à cet égard en se basant sur l'article L. 131-2 du code des communes qui confie aux maires l'exercice de la police municipale. Le texte relatif à « l'interdiction, pendant la période estivale, de certaines activités s'exerçant sur la voie publique, notamment la mendicité » a pour objet de donner « des références juridiques aux maires ». Si le minis- tère reconnaît que la mendicité « est avant tout le révélateur d'une forme de détresse humaine », il considère cependant qu'elle s'avère « une démarche marginale dont le caractère peut, en fonction de circonstances très particulières, constituer une gêne sérieuse voire une menace de troubles localisés à l'ordre public ». Aussi, la circulaire indique : « il y a d'abord lieu de tenir pour légales les décisions qui prohibent son exercice dans les rues où la circulation piétonne est particulièrement intense et difficile car, comme toutes les activités qui s'y déroulent, la mendicité peut être une gêne pour la circulation. Sauf circonstances particulières, de telles décisions ne sont cependant légales que si elles visent l'ensemble des activités susceptibles de gêner la circulation et non la seule mendicité car l'exercice de cette dernière n'est pas a priori plus gênant que le colportage, le commerce ambulant [...].
« Il est encore permis d'interdire la mendicité aux abords des centres commerciaux, des galeries marchandes et plus généralement, dans les lieux de grande attraction commerciale, notamment lorsque s'y réunissent habituellement des individus jeunes et socialement marginalisés dont le comportement ne laisse pas de susciter un sentiment d'exaspération sinon de crainte de la part des clients et des commerçants, auxquels on ne saurait demander de s'accommoder des menaces verbales tenant lieu d'appel à la générosité dont ils font quotidiennement l'objet, du dépôt permanent d'ordures ou de déchets sur la voie publique, et des rixes dont ils sont à l'occasion les victimes. »
« Enfin, il est encore légitime, pour assurer la tranquillité des personnes qui aspirent au repos, à la quiétude ou à la détente dans les parcs et les jardins d'agrément, que les maires prennent les dispositions qui s'imposent pour garantir cette tranquillité. De telles dispositions sont a fortiori légitimes pour prévenir les troubles que suscite, là où elle est apparue depuis peu, certes de manière marginale mais cependant inadmissible, la mendicité pratiquée avec une insistance toute particulière aux terrasses des cafés et des restaurants : insultes envers les personnes insensibles aux demandes des quémandeurs, vols des pourboires sur les tables, etc. »
« [...] Une mesure provisoire, justifiée par des circonstances de temps et de lieu, voire une mesure périodique, sont moins vulnérables en droit dès lors que s'établit une exacte proportionnalité entre celles-ci et la nécessité d'ordre public qui les motive. »
« En revanche, des mesures portant interdiction de la mendicité dans la plus grande partie de la ville et pendant toute la période estivale ne peuvent être qu'illégales. »
Un texte qui n'a pas manqué d'embarrasser le Premier ministre dont les services ont dû indiquer « qu'on ne peut mettre fin par arrêté aux multiples causes de la mendicité qui est une des faces de l'exclusion... ». D'autant qu'il est intervenu alors même que Xavier Emmanuelli, secrétaire d'Etat à l'action humanitaire d'urgence, venait de nommer un médiateur chargé d'étudier les problèmes posés par les premiers arrêtés d'interdiction de la mendicité.
Celui-ci, Bernard Quaretta, directeur d'une association d'accueil d'urgence et de réinsertion et vice-président de la FNARS, devait, dans un premier temps, aider les maires des communes concernées à concevoir et à mettre en œuvre des actions afin d'accueillir les personnes en situation d'errance ou de détresse. Et ce « dans une optique d'insertion et non d'exclusion », indiquait-on au secrétariat d'Etat. Assisté de Danielle Hueges, responsable de la halte de la gare de Lyon à Paris, il devait également, par la suite, animer un groupe de travail en vue de « promouvoir des solutions alternatives à l'interdiction de la mendicité » dans les villes connaissant de fortes concentrations de personnes sans abri.
Arrêtés et circulaire avaient, il est vrai, provoqué l'indignation de nombreuses organisations caritatives et de défense des droits de l'Homme, telles la Fondation abbé Pierre pour le logement des défavorisés et la Ligue des droits de l'Homme. Ainsi, déjà intervenue le 3 août, afin de réclamer l'abrogation des arrêtés municipaux, la révision de la circulaire Debré et la convocation rapide d'une table ronde réunissant les associations, les maires et l'Etat, l'association Droits devant, associée à Droit au logement et au Comité des sans-logis, devait lancer, le 23 août à Aurillac, un appel national « pour mettre fin à la chasse aux gens de la rue ».
La nomination d'un médiateur a donc été accueillie plutôt favorablement du côté associatif, et évidemment par la FNARS qui, dès le 9 août, approuvait et soutenait cette initiative. « La réponse au développement de la mendicité est d'une importance capitale », précisait la Fédération, estimant que « face à certains excès, il nous paraît essentiel et prioritaire de faire mieux comprendre les causes, les remèdes et les enjeux sociaux ».
« La nomination d'un médiateur constitue un premier pas, mais tant que l'on ne donnera pas accès à chacun à ses droits fondamentaux - ce qui implique une modification radicale des choix politiques et économiques actuels - on ne fera que mettre un cautère sur une jambe de bois », indiquait, de son côté, Bernard Rodenstein, président de l'association Espoir à Strasbourg (2). Pour ce dernier, « ni la multiplication des secours, ni la mauvaise conscience, ni la manche à laquelle beaucoup sont condamnés et que d'autres exploitent à merveille ne donnent de bonnes clefs. Nous ne pouvons tout simplement pas faire l'économie d'un combat dont l'objectif est clair : la dignité de tout homme n'étant pas reconnue et respectée, il importe de la replacer au centre de toutes les préoccupations et de tous les projets des hommes ». »
(1) Circulaire du ministère de l'Intérieur du 20 juillet 1995, non publiée.
(2) Laquelle accueille plus de 150 personnes dans différentes structures de réinsertion sociale.