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Précarité menstruelle : le lent combat des acteurs de terrain

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Menstrual tampons and pads in cosmetic bag. Menstruation time. Hygiene and protection

En France, 1,7 million de femmes sont victimes de précarité menstruelle.

Crédit photo masanyanka - stock.adobe.com
Méconnue il y a quelques années, l’expression « précarité menstruelle » a pour la première fois été employée par un président de la République en interview. Une mention symbolique qui témoigne du chemin parcouru tant par les acteurs politiques que par les structures associatives. Mais si les actions des professionnels se multiplient sur le sujet, la route reste encore longue pour accompagner au mieux les nombreuses femmes qui manquent chaque mois de protections périodiques.

« Débrouille », « stress », « gêne », « honte », « inconfort »… Autant de mots qui servent à qualifier le moment des règles pour les femmes en situation de précarité. En France, elles sont 1,7 million à manquer de protections hygiéniques chaque mois, selon une étude Ifop (1) réalisée pour Dons solidaires. Et près de 40 % des femmes bénéficiaires d’actions associatives sont concernées, avec pour conséquence qu’un tiers d’entre elles ne se changent pas suffisamment ou utilisent des protections de fortune. « Ces produits, pourtant indispensables à la vie de chaque femme, représentent une somme extrêmement importante pour certaines qui se retrouvent à devoir faire des choix budgétaires », souligne Laurence Champier, directrice générale de la Fédération française des banques alimentaires. A la difficulté financière de trouver ces protections intimes (le journal Le Monde estime le coût moyen à 10 € par cycle) s’ajoutent les problématiques d’accès à des sanitaires et points d’eau propres et gratuits. « Beaucoup nous disent que, pendant leurs règles, elles aimeraient pouvoir se doucher tous les jours, et peut-être même deux fois par jour », explique Maïwenn Abjean, directrice de l’association grenobloise Femmes SDF, qui rappelle que les temps mixtes dans les douches n’offrent pas nécessairement un cadre idéal.

Ce manque d’hygiène générale conduit parfois à des accidents graves, comme des septicémies, et s’accompagne très souvent d’une atteinte à la dignité. « Les femmes que nous rencontrons évoquent leur dépendance aux structures pour ces questions-là, pointe Maïwenn Abjean. Et il s’agit d’un sujet relevant de l’intimité, qu’il n’est pas toujours évident d’évoquer. »

Une précarité aux multiples facettes

Loin de toucher uniquement les femmes sans abri, la précarité menstruelle est également une dure réalité pour les travailleuses pauvres, les détenues ou encore les étudiantes. « Cela a toujours été un sujet de fond pour nous », soutient Anna Prado De Oliveira, vice-présidente en charge de la lutte contre les discriminations à la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). Une enquête Ipsos commandée par la fédération montre que plus de 30 % des étudiantes ont eu des difficultés à s’acheter des protections périodiques lors du premier confinement. Mais, malgré ce chiffre significatif, le sujet reste à ce jour très peu étudié. Pour pallier ce manque de données, la Fage, en partenariat avec deux autres associations, a récemment lancé une étude qui a recueilli plus de 6 000 réponses. Les résultats, qui seront prochainement dévoilés, doivent permettre au réseau d’adapter son aide et d’appuyer ses revendications auprès de différentes instances. En filigrane, ce combat vise aussi à réduire l’absentéisme dans les lycées et les universités. « Certaines étudiantes ne se rendent parfois pas en cours ou à un rendez-vous car elles ne peuvent pas se payer des protections, note Laurence Champier. Nous voulons leur permettre d’être complètement à égalité avec d’autres jeunes femmes qui, elles, ont les moyens de s’acheter ces produits. »

 

 

Pour faciliter au maximum l’accès aux protections hygiéniques, les acteurs de terrain ont recours à différents types de distribution. Au Samu social, en fonction des centres, les protections périodiques sont distribuées dans des « kits hygiène », remises sur présentation de « tickets services » ou mises à disposition dans des boîtes régulièrement approvisionnées. « Dans certaines structures, les travailleurs sociaux mettent également un panier contenant des serviettes sur leur bureau. Quand les personnes partent, ils s’aperçoivent que les protections ont été prises, détaille Marie Lazzaroni, chargée de mission “projet femmes” au Samu social. L’idée est que les femmes puissent se servir si elles n’osent pas demander. » Chez Femmes SDF, après avoir stocké les protections dans les placards de l’établissement et les avoir distribuées sur demande, le personnel opte désormais pour le libre accès. « Il y en a dans les toilettes et les salles de bains. Nous voulions qu’elles soient accessibles le plus facilement possible », rapporte Maïwenn Abjean.

Serviettes, tampons ou cup ?

Selon le public visé, le type de protections proposé par les associations diffère. Les établissements venant en aide aux femmes à la rue ont presque toujours recours à des serviettes jetables. « Nous ne commandons pas de tampons car ils sont très peu demandés », rapporte la chargée de mission au Samu social. Cette préférence s’explique en partie par le fait que les serviettes peuvent être changées plus facilement, sans nécessairement avoir accès à un point d’eau. Mais l’hygiène n’est pas le seul facteur. « Certaines femmes ayant vécu des violences traumatiques peuvent avoir un rapport compliqué à leur corps. Et, dans certaines cultures, les tampons ne sont presque pas utilisés. »

Ces structures sont par ailleurs demandeuses de culottes menstruelles jetables, du type de celles qu’utilisent les personnes âgées. « Pour des raisons pratiques, beaucoup considèrent que ce serait pour elles le produit idéal », poursuit Marie Lazzaroni. Les protections réutilisables telles que les cups, les serviettes ou les culottes menstruelles lavables sont, elles, davantage plébiscitées par le public étudiant. « Nous faisons en sorte d’avoir de plus en plus de produits bio ou lavables, confie Anna Prado De Oliveira. Nous avons affaire à une génération étudiante concernée à la fois par les enjeux féministes et par ceux planétaires, qui a envie de jeter moins, de faire attention à sa consommation. Cela se retrouve également dans le sujet des règles. »

De plus en plus de dons

L’approvisionnement des structures repose en grande partie sur les dons et les collectes. Fondée en 2015, l’association Règles élémentaires, pionnière dans la lutte contre la précarité menstruelle, a pour rôle de repartir les produits issus de collectes à ses centaines de partenaires. Depuis cinq ans, la structure a ainsi recueilli et distribué plus de 4 millions de protections hygiéniques qui ont aidé plus de 100 000 femmes, assure Tara Heuzé-Sarmini, la fondatrice de Règles élémentaires. « Nous fonctionnons de cette manière entre autres pour nous assurer que les femmes n’aient pas de points de contacts démultipliés, analyse-telle. Cela n’avait pas de sens à nos yeux qu’elles aillent chercher de la nourriture à la Croix-Rouge et des tampons chez Règles élémentaires. »

Au fil des ans, à mesure que le sujet de la précarité menstruelle a gagné du terrain médiatique, les dons sont devenus plus importants. « Nous avons reçu de plus en plus de produits, confie Maïwenn Abjean. Aujourd’hui, nous sommes très fournis et lorsque nous arrivons au bout de notre stock, il nous suffit de lancer un appel sur Facebook pour relancer la machine. » Preuve que le sujet mobilise, le réseau des banques alimentaires a bénéficié en septembre dernier d’une subvention de plus de 100 000 € pour lutter contre la précarité menstruelle. Une centaine d’associations partenaires de 16 banques alimentaires, essentiellement des épiceries sociales et solidaires et des dispositifs d’aide alimentaire pour les étudiants, ont été sélectionnées pour fournir des protections à plus de 40 000 femmes.

« Cette subvention change clairement la donne, affirme Laurence Champier. Elle nous permet de nous structurer et d’élargir notre gamme de produits aux protège-slips, lingettes, gels nettoyants… » Un « test grandeur nature » que le réseau espère pouvoir renouveler l’an prochain. Et pour cause : le 15 décembre, Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, a annoncé conjointement avec la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, une hausse du budget 2021 consacré à la lutte contre la précarité menstruelle. Celui-ci est porté à 5 millions d’euros, contre 1 million en 2020. Un changement d’échelle qu’Emmanuel Macron avait signifié le 4 décembre, lors de son interview au média en ligne Brut. Il avait alors promis une « réponse très concrète » sur le sujet, devenant à cette occasion le premier président de la République à employer l’expression « précarité menstruelle ».

 

 

Un accompagnement global

Malgré l’évolution des mentalités, la route reste encore longue pour en finir avec ce tabou millénaire. « Malheureusement, sur le terrain, certains acteurs associatifs habitués au travail d’urgence ne vont pas nécessairement considérer ces produits comme étant de première nécessité tant qu’on ne leur a pas expliqué et démontré que c’était essentiel », relève Tara Heuzé-Sarmini. Cette spécialiste observe parallèlement que les besoins exprimés par les femmes sont parfois « loin » et « décorrélés » des besoins réels. Et même lorsque ces besoins sont perçus par les professionnels, ils ne sont pas forcément bien calculés. « Nous nous basons sur un minimum de 20 produits par femme et par mois pour les protections jetables, continue la fondatrice de Règles élémentaires. En face, on nous oppose parfois des choses, comme “nous, on compte en paquets”, ou “on a l’habitude de faire ainsi pour d’autres produits”, ce qui n’a pas nécessairement de sens. » De son côté, la chargée de mission « projet femmes » du Samu social remarque que, dans les structures qui accueillent principalement des hommes, des questionnements persistent. « Certains membres de l’équipe ne savent pas encore forcément quelle protection amener et en quelle quantité. »

Pour continuer de faire bouger les lignes, un accompagnement plus global est souvent mis en place. « Nous essayons d’organiser des groupes de paroles, de sensibiliser les équipes, d’amener des intervenants extérieurs pour parler de ce sujet à travers des problématiques plus larges de santé sexuelle et reproductive », poursuit Marie Lazzaroni. Ces questions peuvent également être abordées avec les femmes lors de rendez-vous organisés avec un gynécologue, remarque, quant à elle, Maïwenn Abjean. Mais une question subsiste pour la directrice de femmes SDF : qu’en est-il de celles qui ne fréquentent pas toutes ces structures ? « Cela devient tout de suite plus compliqué lorsqu’on essaie de donner aux femmes les moyens d’accéder à ces produits en autonomie sans forcément passer par nous », analyse-t-elle.

 


(1) Etude publiée en mars 2019 et réalisée auprès d’un échantillon représentatif de la population française de 1 500 personnes âgées de 18 ans et plus ainsi que d’un échantillon de plus de 700 personnes bénéficiaires d’associations caritatives du réseau Dons solidaires.

 

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