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Tuer le risque, c’est tuer la vie 

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« Depuis des décennies les professionnels de la gérontologie savent que “nos vieux” peuvent mourir d’isolement et de solitude, sans compter les conséquences psychiques pour ceux qui leurs survivent », selon Eric Kariger, gériatre, directeur médical et éthique Maisons de Famille France

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[POST-COVID 5/21] Comment préserver un droit de vivre jusqu’au bout malgré le risque de perdre la vie ? Après avoir vécu et subi une crise sanitaire mondiale, et son lot de conséquences sur la liberté d’aller et venir des publics fragilisés que nous accompagnons au quotidien, nous devrions tous nous interroger sur le fonctionnement de nos établissements. 

Une crise sanitaire mondiale et un risque de contentions généralisées

Le 20 février 2020, les premiers cas de Covid sont recensés hors de Chine, un mois plus tard, l’Europe est la plus touchée avec 165.000 cas et un taux de létalité de près de 4 %. La France objective plus de 6.500 contaminations avec un taux de létalité plus faible de 2,5 % mais néanmoins dramatique.

Les personnes les plus âgées sont apparues rapidement comme les plus vulnérables, comme elles le sont généralement à tout agent infectieux ou environnemental. Le taux de létalité frôle les 20 % ! Le 11 mars 2020, les résidents des Ehpad sont « incarcérés » et les visites sont totalement proscrites sauf exception. Le 30 mars, Le Conseil consultatif national d’éthique (1) alerte sur les risques de mesures de privation de liberté voire de contentions généralisées.

La campagne de vaccination débutée fin décembre 2020 et janvier 2021 auprès des plus vulnérables (personnes âgées vivant en institution et en Ehpad en particulier), donnera des résultats remarquables. On n’oublie pas que les mesures barrières (les 4M : Masque, Minute, Mètre, Mains) sont alors appliquées avec toute la rigueur nécessaire également…. Associées à une interdiction stricte des visites extérieures des professionnels de santé libéraux et familles comprises, parfois supérieures aux recommandations ministérielles.

Quatre vagues vont se succéder en 18 mois. Bien que les pics se soient atténués au fils des vagues, leur durée a augmenté entre la première vague et la troisième vague conduisant à un accroissement du nombre de formes graves et des décès. La quatrième vague, en raison de la vaccination massive mise en place et d’un variant certes plus contagieux mais moins agressif, est plus courte.

Lent retour à la normale

Le retour au droit commun se fera alors en deux étapes, partiellement en juillet 2022 et totalement en mars 2023 seulement... Près de trois ans après le début de la crise sanitaire. Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, annonce que les textes seront amendés : « Aucune personne accueillie en Ehpad ne souffrira plus d’isolement du fait d’un protocole sanitaire, aucune famille ne se verra refuser l’accès à ses proches, je m’y engage personnellement. »

Pour autant, on avait déjà pu mesurer toutes les conséquences de l’excès des mesures de privation de relations humaines, en particulier lors de la première vague du printemps 2020, en réduisant à néant l’accompagnement par les proches, en particulier dans les derniers instants de vie. Depuis des décennies, les professionnels de la gérontologie savent que « nos vieux » peuvent mourir d’isolement et de solitude, sans compter les conséquences psychiques pour ceux qui leurs survivent. Malheureusement, tous les managers ne sont pas formés à la gestion du risque et confondent souvent le risque avec la notion de mise en danger, surestiment le risque pénal théorique et sous-estiment les dangers réels subis par les plus vulnérables de ces excès de mesures. A l’aube de cette année 2024, notre société prend conscience que le risque zéro n’existe pas, dans le champ de la santé bien sûr, mais aussi sur le plan de la sécurité intérieure (terrorisme) ou environnemental.

La démocratie en santé comme solution collective

Le renforcement d’une démarche éthique et de la prise en charge globale des soins palliatifs et d’accompagnement doivent trouver toute leur place dans la formation continue de tous les personnels et pas seulement des professionnels du soin, en n’oubliant pas d’y intégrer les directions administratives. Le principe de subsidiarité doit « donner la main » aux équipes de proximité pour s’appliquer de manière totalement adaptée aux situations locales. L’intelligence collective est au cœur du processus au service de la personne accueillie et de ses proches et pourra s’appuyer sur le Comité de direction, avec concertation collégiale systématique du médecin coordonnateur et des équipes, après sollicitation de l’avis du Conseil de Vie Sociale. Cette démarche est garante des droits de la personne accueillie et de ses proches.

Dans notre secteur d’activité, on est à présent soulagé que les retours d’expérience portent leurs fruits. Les recommandations de la Défenseure des droits (2) ou plus récemment le rapport de Laurent Fremont (3), fort de ses 23 recommandations, viennent consolider ce « droit de recevoir et de visiter » et plus globalement ce droit (et ce devoir) de restaurer les liens et la confiance.

En synthèse, « on avance en marchant » ; ce retour d’expérience vient consolider le droit à l’autonomie, du patient/résident acteur ; il conforte la démarche décisionnelle coconstruite pour mieux stabiliser nos décisions, réduire l’incertitude, et prendre en compte le bénéfice/risque de toute décision, sur le plan individuel comme sur le plan collectif. La démocratie participative en santé est renforcée. Les Conseils de Vie Sociale, ouverts aux personnalités extérieures en constituent une pierre angulaire.

Notes de fin de page

(1) CCNE Bulletin n°1 du 23 mars 2020 : Enjeux éthiques face à la pandémie.

(2) Suivi des recommandations du rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad – Défenseur des droits - janvier 2023.

(3) Mission droit de visite et lien de confiance – Gouvernement - novembre 2023.

 

Eric Kariger, gériatre-directeur médical et éthique- Maisons de famille France

 

Avec trois ans de recul

Près de 800 millions de personnes infectées confirmées ont été recensées avec pour conséquence au moins sept millions de décès. Deux observations doivent être faites :

  • On a pu objectiver souvent un anachronisme entre les recommandations nationales et l’évolution épidémiologique sur le terrain avec souvent beaucoup de retard dans leur actualisation ;
  • On a pu observer des directions de groupes institutionnels ou des comportements individuels qui maintenaient des mesures de précaution au-delà de la réalité du risque épidémique ou d’une analyse tronquée du risque global.

 

 

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