Respecter le rythme de chacun
Et si ces vacances se déroulaient à Djerba, dans un hôtel accueillant des touristes lambda ? J’organise des vacances depuis un peu plus de quinze ans et depuis cinq ans à Djerba. Et je suis toujours stupéfaite de leurs bienfaits sur les personnes vivant en Ehpad et que l’on appelle « résidents ». Tout d’abord, le fait de sortir de l’institution permet de changer de rythme : aller au rythme et tempo de chaque personne, est une liberté qui n’existe pas forcément en structure. Prendre le temps change la vie et l’améliore. J’ai vu des personnes qualifiées de « dépendantes », retrouver des capacités insoupçonnées ou étouffées en structure : je les ai vues reprendre goût à s’habiller et à se maquiller pour aller à la rencontre des autres vacanciers de l’hôtel. Cette envie de plaire encore fait briller cette belle étincelle dans les yeux.
« Est-ce que j’ai le droit d’aller marcher dans l’eau ? Ça me donne tellement envie, et peut être que je pourrais essayer de nager... cela fait si longtemps. » Et ce corps fatigué, abîmé par le temps, se revêt de ce maillot de bain tout neuf, acheté spécifiquement pour les vacances ! Les premiers pas dans l’eau sont hésitants avant de s’affranchir et... les premières brasses font suite. Délicieux moment pour les personnes dont le corps reste emprisonné durant toute l’année. Il se libère enfin. Les yeux pétillent, le sourire illumine le visage : « J’ai réussi... j’ai réussi... mais vous savez, la brasse, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Prenez-moi en photo, il faut immortaliser ce moment qui va épater mes enfants ! »
Ensuite, la douceur du soleil l’invitant, les vacanciers s’offrent le luxe de s’installer sur un transat à l’ombre d’un parasol, après s’être enduit de crème et avoir enfilé une paire de lunettes de soleil. « Comme il est doux de sentir ses rayons de soleil réchauffant mon corps... j’ai l’impression de renaître. C’est tellement délicieux. » Et la journée se déroule tranquillement. « Faire du rien » est bienfaisant, se laisser bercer par le bruit des vagues et de se dire que demain il sera possible de faire la même chose.
Quand la vie reprend
Il est l’heure du repas. Et je constate, que les personnes qui mangeaient habituellement « mixé » se régalent d’un steak tartare (interdit en structure pour raison d’hygiène) et une dame (dite « désorientée ») me donne une leçon de comment ouvrir un œuf à la coque. D’un geste sûr et ferme, sans hésitation, le couteau entaille proprement la coquille de l’œuf : la mémoire du geste enfoui, se réveille, comme par magie. Et chacun se régale des mouillettes. Ces plats ont été choisis par les convives. Et après une sieste bienfaitrice, une visite dans un musée est organisée. Mais monter en voiture pourrait être problématique. Mais quelle est cette étoile qui facilite tous les gestes sur le lieu de vacances ? Chacun s’installe confortablement, avide d’informations auprès du chauffeur de taxi, qui les considère comme des clients et non comme des résidents. Et la conversation s’engage, gaie, pleine d’humour. Et ce sont de francs éclats de rire qui emplissent ce taxi jaune.
La visite du musée commence, elle intéresse chacun : découverte de la culture et des coutumes qui entourent le mariage. « Alors que nous venons ici pour prendre des couleurs, les femmes d’ici cherchent à garder la peau la plus blanche possible pour leur mariage » et de découverte en découverte, la visite s’achève autour d’un jus de fraise bien frais. « Ce jus est sublime. Oh allez, prenez-moi en photo devant cette vue superbe et envoyez-la à mes enfants. Ils ne vont pas en revenir ! » De retour à l’hôtel, certains veulent un peu se reposer d’autres forment toute une table pour jouer au Scrabble.
Et je vois alors, ce monsieur, qui habituellement se déplace en fauteuil roulant, arriver avec une belle chemise blanche, la canne à la main se diriger vers un groupe de touristes. J’hésite à aller lui recommander la prudence... Mais avec bienveillance, je laisse faire. Il s’installe parmi un groupe de vacanciers lambda, fier, heureux. Et commande une « bonne bière bien fraîche ». Et tout en s’assaillant, il se retourne vers moi avec un grand sourire et un clin d’œil, d’un air de dire : « Vous voyez, j’en suis capable ! » Et la conversation s’engage entre eux, rires, échanges sérieux, un regard insistant envers une dame du même âge qui lui rend ce même regard. Et... les numéros de téléphone s’échangent.
Et si Flaubert avait raison : « L’air y est si doux qu’il empêche de mourir... » Et je compléterais par : « Et qu’il réveille les capacités, la fierté, la dignité, la joie de vivre. Et si cet air éveillait tout simplement la vie, endormie depuis quelque temps ? »
Sylvie Lenfant, directrice du développement et de la formation, groupe Orchidées