Des décisions qui impactent le présent
Dans l’urgence de la crise, les établissements ont pris des décisions (continuité ou suspension d’activité : certains spécialisés dans l’accueil d’enfants ont fermé, d’autres non), se sont confrontés à la difficulté d’accès aux soins (appel au 15) et ont souvent dû et su organiser une solidarité nouvelle pour avoir le nécessaire pour travailler (équipements de protection, mise à disposition de professionnels malgré la quasi inexistence d’une réserve sanitaire et médico-sociale rattachée aux régions qui reste à structurer). Les choix faits à cette occasion ont impacté la relation établie avec les usagers qui en gardent la mémoire. Une tension entre initiative versus responsabilité et enjeu de santé publique versus consignes nationales était palpable. Une relecture partagée de ce qui a été fait, vécu, perçu s’impose.
L’expérience a montré l’utilité des réseaux personnels et l’intérêt des partenariats préalables. Quand les gens se connaissent, il est plus facile de trouver des solutions. La présence d’un médecin dans les organigrammes et plus particulièrement l’exercice médical partagé entre hôpital et secteur médico-social et/ou ville ont été gage de qualité dans l’accès aux soins des personnes handicapées dans cette période. À retenir.
Les tensions et questions éthiques ont émergé (1). La vulnérabilité ne se situait pas uniquement du côté des usagers. Professionnels, usagers et proches ont appris ensemble à faire face, avec la nécessité de ne rien céder, même dans l’urgence, à l’exigence de la réflexion éthique.
Il faut enfin souligner le développement très important des technologies et du numérique (visio) qui ont modifié les organisations de travail et son corollaire, le télétravail qui formate désormais autrement les agendas.
Un effet « révélateur »
Les mesure d’accompagnement de la crise du côté des pouvoirs publics mettent en lumière de façon inédite la non prise en compte du domicile dans les mesures d’urgence. Tout reste pensé à partir des structures. Comment comprendre autrement que les auxiliaires de vie n’aient pas été éligibles à l’attribution d’équipements de protection ? Oubliés, invisibilisés... Les qualificatifs ne manquent pas dans les témoignages. Cela se confirmera dans les mesures post-Covid avec la bagarre qu’il a fallu mener pour la prise en compte des auxiliaires de vie pour l’attribution de primes. De quoi s’interroger et interroger aujourd’hui les pouvoirs publics : virage ambulatoire, autonomie, prévention... ne seraient-elles des injonctions de transformation qu’à notre seul égard ?
Des mesures de reconnaissance « à la découpe » : alors que l’on sait l’importance de la reconnaissance dans les enjeux d’attractivité du secteur, il a fallu, dans l’après crise, travailler à rebours de ce que nous prônons dans nos organisations en termes de travail d’équipe, de coopération, sur la base de mesures administrées non ajustées à la réalité de nos fonctionnements. Nous avons retrouvé les cloisonnements que nous cherchons à dépasser (sanitaire/médico-social, public/privé et privé non lucratif, diplômes…). Malgré les « Ségur » 1 et 2, puis les « Laforcade 1 et 2 », des professionnels restent sur le bord de la route : les personnels en charge de la logistique, les administratifs… avec un sentiment d’injustice au sein des équipes de travail. Sans compter que la réalité budgétaire en 2023 ne traduit pas encore aujourd’hui la totalité de la mise en œuvre effective de ces mesures. Le secteur attend encore des assurances sur ce point pour les années à venir. Comment dès lors avoir un discours authentique et crédible sur ce qui fonde les valeurs collectives qui permettront demain d’aborder les enjeux d’adaptation de l’offre ?
La crise du recrutement
La crise Covid en a précédé une autre, celle du recrutement dans nos équipes de travail. Nous connaissions déjà des difficultés, mais cela s’est accentué fortement depuis. Les mobilités professionnelles, les reconversions sont en hausse. S’ajoute à cela une crise des vocations puisque les instituts de formation des métiers du social et du sanitaire peinent à intéresser les jeunes générations. Alors que tout le monde est en quête d’un travail qui ait un sens, de pouvoir apporter une contribution personnelle dans un collectif mis à mal, les écoles sont loin de faire le plein. Un paradoxe de plus ? Les taux de fuite en cours de formation semblent aussi augmenter. Les effets en seront probablement palpables dès l’automne 2024.
La question de l’organisation de l’offre de service est également impactée par le vécu de cette crise et la façon dont les usagers ont pu recomposer leur vie quotidienne, leurs relations sociales… Les demandes en accueil de jour, en Ephad ont baissé de façon significative. Une inflexion à prendre en compte dans les transformations en cours.
Des organisations plus réflexives à promouvoir
Plus grave encore, la crise a montré comment les droits fondamentaux des personnes n’ont pas fait socle dans les prises de décision. Pour autant, des professionnels ont su de façon inventive adapter leurs pratiques pour moins d’inhumanité dans les situations critiques, au risque d’une transgression des consignes gouvernementales et ont, en cela, fait preuve d’une grande responsabilité. Outre les mesures législatives annoncées à la suite du rapport de Laurent Frémont (2), et avant une prochaine crise (3), c’est dans la promotion d’organisations plus réflexives, associant les parties prenantes dans les décisions que nous avons collectivement probablement le plus à gagner. À nous de jouer !
Notes de fin de page
(1) « Quels enjeux éthiques pour le secteur médico-social dans la période pandémique ? », Evelyne MARION ADSP n° 117 mars 2022 pp39-42
(3) https://doi.org/10.3917/seve.022.0019
Evelyne Marion, responsable régionale de l’offre de service en Bourgogne Franche-Comté, APF France Handicap