Trois pas en arrière
Après la crise ? Le beau temps et la sérénité. Dans les contes de fées peut-être, mais pas dans la réalité et encore moins dans les établissements sociaux et médico-sociaux. C’est même tout le contraire que vivent au quotidien les professionnels. Et si le président de la République évoquait une guerre à mener au début de la pandémie, les équipes de terrain pourraient aujourd’hui lui répondre qu’ils évoluent sur un champ de ruine où les pratiques professionnelles ont fait un bond en arrière. Après avoir construit les premières bases de lieux de vie ouverts sur l’extérieur (certes, pas partout), à travailler sans blouse, à écouter de plus en plus la voix des usagers, le Covid a refermé à double tour les portes des établissements… Et pas pour six mois ou un an, mais dans la durée. À l’heure où toute la population sortait de nouveau, reprenait le cours de sa vie, seuls les personnes vulnérables et notamment les résidents en Ehpad restaient cloîtrés avec des droits limités. D’ailleurs, il aura fallu attendre trois ans pour que le ministre de la Santé fasse des déclarations autour du retour au droit commun. Et force est de constater que les nouvelles (mauvaises) habitudes ont du mal à être perdues avec comme conséquences une surprotection et une quête du risque zéro toutefois vaine… Entre-temps, le virus du Covid n’aura pas été le seul à tuer, la solitude aura aussi laissé des victimes, nombreuses, derrière elle.
Une seule avancée et encore beaucoup d’attentes
Face à cette situation, nombreux sont ceux qui réclament un changement de modèle tourné vers la qualité de service, vers des lieux de vie plus ouverts (et non des lieux de soins) tout en refusant le rapprochement vers les protocoles sanitaires. Si les professionnels mais aussi les membres de direction souhaitent gommer l’organisation totalitaire qu’ils ont vécue pendant le Covid, beaucoup militent pour un virage où l’usager deviendrait un habitant à part entière. Le droit de visite récemment consacré est une première victoire. Il en reste de nombreuses à gagner.
Au-delà des dysfonctionnements et des pratiques à faire évoluer, quelle est la situation aujourd’hui ? Des professionnels au bord de la crise de nerfs, en raison d’un manque d’effectifs chronique. Car la crise sanitaire a laissé place à une crise des vocations et une crise du recrutement. Le constat est le même dans tous les secteurs. Chaque absence devient difficile pour ne pas dire impossible à remplacer. L’arrêt provoqué par le Covid s’est accompagné d’une réflexion, d’une quête de sens et de nouveaux comportements. Le contrat à durée indéterminée n’est plus un Saint-Graal attendu et voulu ; les contrats à durée déterminée ou encore les vacations séduisent avec la volonté de retrouver de la liberté, de pouvoir choisir son emploi du temps et de ne plus subir une organisation. Une réalité qui pèse sur les équipes mobilisées dans les établissements, qui interroge et qui épuise. Dans le même temps, c’est la saturation dans les services et autant de situations dégradées dont le secteur de l’aide sociale à l’enfance en est la principale illustration.
De la désillusion aux bonnes volontés
Finalement tout a changé ou plutôt rien. Un simple nez qui coule, un peu de fièvre et c’est la panique à bord. Car les présents vont devoir tenir et gérer si les contaminations se multiplient. Avec le recul, les experts comme les professionnels ont conscience que le Covid a été un accélérateur d’un secteur déjà abîmé.
Après les applaudissements, les grands discours, les augmentations du Ségur qui ont créé des différences de traitement et laissé sur le bord de la route 120.800 professionnels oubliés selon le Gouvernement, que reste-t-il ? Des conditions de travail dégradées, des professionnels épuisés et pas de cap donné par le gouvernement… ni de grands textes législatifs reportés aux calendes grecques. Combien de temps va tenir le système ? Telle est la question.
Malgré cette réalité où la désillusion règne en maître, les bonnes volontés subsistent encore. Du côté des ressources humaines, l’énergie et l’imagination se déploient pour tenter de séduire et de recruter coûte que coûte. C’est aussi par la qualité de service et l’innovation que le salut viendra. Démocratie en santé, intelligence collective, éthique, équipe fédérée par des valeurs communes, nouvelles organisations… les pistes sont nombreuses pour imaginer un autre avenir où professionnels et personnes accompagnées pourront évoluer et vivre dans de meilleures conditions. Reste à savoir, c’est pour quand le grand soir ?
Alexandra Marquet, journaliste cheffe de rubrique
>>> Lire notre dossier sur le monde d'après covid en établissements