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L'urgence, ça finit quand?

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« En tant que professionnel, en plus d’apprendre à sourire autant avec les yeux qu’avec la bouche, masque oblige, il fallait faire appliquer des règles sans toujours bien les comprendre », explique Judith Arnoult, infirmière et formatrice en éthique médicale.

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[POST-COVID 8/21] Il est assez vertigineux et parfois difficile de se plonger dans les souvenirs de cette période. L’état d’urgence semblait justifier la remise en cause de nombreux principes fondamentaux. Mais le plus violent, c’est peut-être maintenant. Quelle place pour l’accompagnement et la fragilité dans un système dont on a fait croire qu’il tenait ? 

On tient... 

Je me souviens, quelques instants avant que ça chauffe vraiment, à une réunion de famille, certains avaient refusé de faire la bise : « On ne sait jamais, c’est plus sûr avec ce virus qui traine. » J’étais sortie de là un peu moqueuse, presque furieuse qu’on puisse se laisser dicter sa conduite par un virus. Clairvoyante, l’infirmière. 

Quelques semaines plus tard, les mêmes étaient confinés chez eux et je travaillais comme une folle. Laissez-passer en poche et carte infirmière en avant. Le service de soins palliatifs dans lequel je travaillais alors s’est transformé rapidement en base arrière du service de réanimation de l’hôpital d’à côté. Les mourants pouvaient attendre. Les autres aussi d’ailleurs. Suivis interrompus. Opérations repoussées. Traitements non commencés. Familles et équipes, isolées et chacune à leurs manières, étaient occupées à gérer des crises inédites dans une incertitude déstabilisante. Alors que les demandes explosaient chacun improvisait, inventait. Le système D. Débrouille mais aussi diversité. Quelle créativité. Jardins, écrans, bulles, chacun créait une manière de garder du lien, de donner du sens.  

En tant que professionnel, en plus d’apprendre à sourire autant avec les yeux qu’avec la bouche, masque oblige, il fallait faire appliquer des règles sans toujours bien les comprendre. Participer à la vaccination alors que certains étaient eux-mêmes perdus dans un scepticisme bien peu propice à la confiance. Refuser des visites à des familles dans des situations vitales. Refuser des obsèques aussi. Faire tous les jours des entorses à des droits présentés la veille comme fondamentaux. Il n’est pas une charte qui ait survécu à la situation. Faire avec des injonctions parfois contradictoires, toujours changeantes, et souvent bien éloignées des valeurs d’accompagnement qui sont celles de nos métiers. Cela nourrissait inexorablement une sorte de violence. Faire le choix de la sécurité au-delà de tous les autres principes laissait peu de places au compromis et à l’accompagnement.   

Et après tout : nous ne savions pas à l’époque à quel ennemi nous avions affaire et nous ne savions pas encore si l’ARN messager et les avancées scientifiques allaient nous aider autant qu’ils l’ont fait. Il serait un peu trop simple de réécrire l’histoire à la lumière de ce que nous vivons aujourd’hui. Il ne faut pas céder à la tentation de réduire ce que nous avons vécu. C’était « l’état d’urgence ».  

Mais jusqu’à quand ?  

Qu’en est-il aujourd’hui ? Fermeture de lits et/ou de services. Rendez-vous impossibles à prendre. Le manque de personnel est partout, sanitaire, social, médical, paramédical... Même les médicaments les plus élémentaires manquent sans que cela ne soulève de colère équivalente à la hausse du prix du litre d’essence. Les exemples pullulent de régions en départements et sont plus impressionnants de mois en mois. Mais l’urgence ne doit pas être assez urgente.  

Les familles doivent assurer tous les rôles et prendre une part de plus en plus importante dans l’accompagnement de leurs proches. Assumer. Merci d’aider. 

Les soignants sont invités à faire ce qu’ils ont si bien fait. Assurer.  Merci de continuer. 

Les patients, les résidents, les fragiles. Merci de... de quoi ? D’être moins malades, de moins avoir besoin des autres, d’être moins vulnérables ? D’être moins humains ? 

Car cette crise nous rappelle la vulnérabilité inhérente à notre condition humaine. Nous ne sommes pas tout puissants. Comment accepter cela, comment l’accompagner ?  

La question est dérangeante si on prend le temps de se la poser réellement. Mais il semble plus dérangeant encore d’en faire l’économie. Le terme économie pouvant se lire ici dans toutes ses acceptions.  

Fallait-il être de si bons petits soldats ? Les équipes ont choisi d’assumer leurs responsabilités et de continuer le prendre soin avec beaucoup d’envie, quelques bouts de ficelles et des applaudissements. Pourtant, fallait-il faire croire que le système tenait face à la crise du coronavirus alors qu’il s’effondrait déjà avant celui-ci ?  Le Covid a été un accélérateur plus qu’un révélateur. 

Je n’avais rien vu arriver donc, à cette réunion de famille. Est-ce pour cela que je ne vois pas le renouveau, la Refondation ? Est-ce parce que l’érosion du prendre soin continue plutôt sûrement que lentement ? Est-ce par déception de toutes ces occasions manquées ou simplement par mauvaise volonté ? Malvoyante l’infirmière ?  

Judith Arnoult, infirmière et formatrice en éthique médicale

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