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L’habitant citoyen en Ehpad : vers une inversion de modèle ?

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« Les prospectives amènent à redessiner le modèle Ehpad plutôt que sa suppression car il demeure la réponse pour accompagner les plus fragilisés », selon Laurence Hardy, sociologue et anthropologue.

Crédit photo DR

[POST-COVID 1/21]

La gestion de la crise du Covid-19 vient interroger l’avenir de ces lieux sécuritaires et sanitaires qui enfreignent la citoyenneté. Le « nouveau virage domiciliaire », prôné par les politiques publiques récentes, doit s’appliquer aux établissements qui accueillent environ 20% des personnes âgées vulnérables qui ne peuvent rester à leur domicile, tout en faisant d’eux des lieux de vie pour leurs habitants.  

 

 

 

L'institutionnalisation de la vieillesse

C’est au cours du XIXe siècle que se spécialisent des hospices dans l’accueil des personnes âgées pauvres et/ou sans famille. Et c’est la loi de 1975 qui impose, dans un délai de dix ans, leur transformation en maisons de retraite qui vont se médicaliser avec le temps (1). Cet objectif est réalisé trente ans plus tard avec la création des Ehpad – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – en 2002.  Dès 1997, une loi stipule qu’une maison de retraite, pour devenir « Ehpad », doit signer une convention tripartite où différents objectifs de qualité doivent être atteints dans une période de cinq ans : qualité architecturale – la chambre doit alors mesurer 15 m2 –, qualité des relations avec les proches, qualité des personnels exerçant dans l’établissement… La loi du 2 janvier 2002 va réaffirmer la place prépondérante des usagers, promouvoir l’autonomie, la protection des personnes et l’exercice de leur citoyenneté. Et pourtant ? 

La pandémie démontre une logique institutionnelle centrée sur la recherche vaine du « 0 risque », la montée en puissance du sanitaire sur le social et l’accentuation de la médicalisation qui en découle. Elle montre aussi l’insuffisance de personnels au regard de l’évolution des profils des résidents qui entrent de plus en plus tard en Ehpad avec, le plus souvent, des maladies psy et neuro-évolutives qui alimentent l’isolement social et freinent la participation.  

Transformer le « droit de visite » en « choix de recevoir »

C’est sur les proches, reconnus par la loi ASV – Adaptation de la société au vieillissement – de 2015 comme « aidants proches » que repose le lien social, pression accentuée par un manque de professionnels qui conduit à une priorisation des soins médicaux sur l’accompagnement.

Mais quand les proches sont « interdits » de visite – terme utilisé pour qualifier les institutions totales que sont la prison et l’hôpital psy –, les représentations sociales négatives de l’Ehpad comme lieu de privation de liberté, comme mouroir, se renforcent jusqu’au choix de familles d’en retirer leur proche. L’enjeu est de transformer ces habitats en nouvelle alternative au domicile qui permet, entre autres, de transformer le « droit de visite » en « choix de recevoir » propre à chaque habitant citoyen dans des habitats – et non des résidences – qui gomment l’organisation totalitaire. C’est repositionner des professionnels vers le care ; leurs missions transformées peuvent agir sur leurs conditions de travail et ouvrir à l’attractivité de ces métiers.

Rompre la dichotomie domicile/Ehpad

Les prospectives amènent à redessiner le modèle Ehpad plutôt que sa suppression car il demeure la réponse pour accompagner les plus fragilisés. En revanche, le changement est nécessaire et intègre les caractéristiques sociologiques des « baby-boomers » bien différentes de la génération des « très âgés » d’aujourd’hui. C’est une inversion qui redistribue la place de tous les acteurs dont le principal est la « personne citoyenne ». La logique institutionnelle doit basculer en logique domiciliaire car elle facilite le respect les libertés, des rythmes, des choix et reconnaît la prise de risques « de vivre » et non une sécurisation enfermante jusqu’à l’infantilisation. Par ricochet, c’est une autre posture que les équipes doivent adopter : leur objectif consiste à satisfaire au mieux les désirs de la personne et non plus à accomplir une série de tâches minutées et répétitives où l’hygiène et les normes sanitaires effacent l’accompagnement global. C’est le pouvoir des aidants qu’il va falloir transformer afin que les liens, le choix et les plaisirs priment sur la sécurité. Ce sera peut-être facilité par les « nouveaux proches aidants » qui ont vécu d’autres expériences et pour qui ces notions de choix seront plus prégnantes. 

Une évolution de l’organisation et de la conception même des Ehpad est désormais nécessaire. Elle va transformer – jusqu’à l’attractivité ? – les conditions d’exercice des métiers du grand âge déployées dans les 7.500 Ehpad par plus de 350.000 professionnels, qui ont été particulièrement mobilisés jusqu’à l’épuisement et à la démission parfois (2). Cette crise du Covid-19 a montré la quête illusoire de protéger la vie « biologique » au détriment de la vie sociale par une augmentation du nombre de lois, de protocoles, de recommandations, d’injonctions déjà très nombreux avant cet épisode. 

Notes de fin de page

(1) Le rapport Laroque publié en 1962 vise à intégrer pleinement dans les politiques publiques les personnes âgées et l'allongement de l'espérance de vie. 

(2) L. Broussy, J. Guedj, A. Kuhn-Lafont, L’Ehpad du futur commence aujourd’hui. Propositions pour un changement de modèle, Matières grises, mai 2021, p.4 

 

Laurence Hardy, sociologue et anthropologue

 

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