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« Le changement de paradigme de la performance à la santé ne va pas de soi »

« Il est urgent de peaufiner une approche universelle, globale et intégrée », plaide Claire Perrin, sociologue du sport et professeure des universités, Lyon 1.

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[SPORT ADAPTÉ 21/21] A quelques semaines de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, la France se découvre-t-elle une culture sportive ? Si chaque personne dite en bonne santé a la possibilité de pratiquer une activité physique selon ses envies et ses aptitudes, qu’en est-il pour les usagers vivant en établissements sociaux et médico-sociaux ? Eléments de réponses avec la sociologue du sport Claire Perrin.

 

Dans les écoles, les entreprises ou encore les Ehpad, le sport santé s’invite au quotidien et se déploie au cours de séances qui se multiplient avec en ligne de mire la lutte contre la sédentarité ou encore la recherche de bienfaits physiques et psychologiques. Si pour les publics vieillissants, l’enjeu est de retarder la perte d’autonomie pour d’autres, la pratique vise à mieux connaître son corps, s’en affranchir, s’adapter ou encore à sortir de son isolement. A l’heure où le sport a toujours été synonyme de performance, reste à imaginer collectivement une autre approche tournée vers la santé des populations plus fragilisées. C’est en tout cas l’analyse de Claire Perrin, professeure des universités à Lyon 1, sociologue du sport et présidente de l’institut de recherche collaborative sur l’activité physique et la promotion de la santé (RECAPPS). Depuis trois décennies, la spécialiste se penche sur les usages des activités physiques ou sportives dans une visée de santé. 

 

Les Actualités Sociales Hebdomadaires : Sport adapté, sport santé, activité physique adaptée. Est-ce seulement une question de vocabulaire ou, au contraire, des spécificités se cachent-elles derrière chaque terme ?

Claire Perrin : Il est possible de croire en une équivalence entre toutes ces dénominations, tant ces termes ont tendance à être employés l’un pour l’autre. D’un point de vue socio-historique, comme du point de vue des pratiques sociales, ils correspondent pourtant à des réalités bien distinctes.

Le handisport s’adresse aux personnes vivant avec des déficiences physiques, motrices ou sensorielles, tandis que le sport adapté concerne les situations de handicap mental et les maladies psychiques. Ils sont développés au sein de fédérations spécialisées et multisport créées au milieu du XXe siècle pour la première et vingt ans plus tard pour la seconde.

Le sport santé est une notion plus récente qui a commencé à se concrétiser dans le mouvement sportif à partir des années 2000. Il ne s’agit plus seulement pour les clubs sportifs de produire de la performance, mais d’offrir des possibilités de pratiques à visée de santé. Or ce changement de paradigme de la performance à la santé ne va pas de soi pour le mouvement sportif, il s’agit d’un véritable défi (Perrin, Perrier, 2022) (1).

Quant à l’Activité Physique Adaptée, il s’agit d’un concept né au Québec dans les années 1970 avec la volonté de rendre accessibles des activités sportives aux personnes qui en sont empêchées du fait d’un handicap, d’une maladie chronique, du vieillissement. Ce concept a été déposé au niveau international à l’occasion de la fondation de l’IFAPA (International Federation au Adapted Physical Activity) et structure les formations universitaires développées dans les UFR STAPS qui débouchent sur les diplômes de licence et de master Staps, mention Activité Physique Adaptée et Santé qui s’appuient sur le champ de recherche pluridisciplinaire des Staps (Section CNU 74 depuis 1982).

Au-delà des éducateurs sportifs qui ont une formation courte sur la santé (en général une quarantaine d’heures), les fédérations sportives recrutent des titulaires diplômes universitaires en APA-S pour accompagner les publics les plus fragiles et développer leur offre dans le cadre de l’écosystème du sport santé.

Depuis quand le sport santé a-t-il fait son apparition dans les établissements sociaux ou médico-sociaux ?

Les premières formations universitaires en APA ont développé dès les années 1980 une nouvelle professionnalité qui visait l’éducation physique des usagers, mais aussi la participation sociale dans le cadre de rencontres sportives dans et en dehors des établissements, en partenariat ou non avec les fédérations spécialisées (sport adapté et handisport). De nombreux diplômés ont été recrutés sur ces missions dans les IME, MAS ou FAM pour en nommer quelques-uns.

 L’importance prise par la lutte contre la sédentarité dans les politiques publiques va marquer une nouvelle étape dans les années 2010 dans les mondes du sport comme de la santé. Ce tournant concernait initialement les patients en affection longue durée (ALD), puis plus largement les malades chroniques (2). Il y avait alors d’un côté les politiques inclusives concernant les personnes en situation de handicap et de l’autre les politiques de promotion de la santé par l’APA qui concernaient les malades chroniques, sans prendre en compte les personnes en situation de handicap (PSH) qui vivaient avec une maladie chronique.

Les PSH ont cependant revendiqué leur droit d’accès à la santé, et donc à la prévention en particulier dans le cadre de la charte Romain Jacob en 2014 (3). Mais il a tout de même fallu attendre la stratégie nationale sport et handicap (2020-2024) pour que la perspective de promotion de la santé soit intégrée pour les PSH. En affirmant que les activités physiques adaptées constituent des thérapeutiques non-médicamenteuses également pour les personnes en situation de handicap, cette stratégie les reconnaît enfin non plus comme une catégorie à part, mais comme des citoyens comme les autres, qui rencontrent les problématiques liées au vieillissement, comme à la sédentarité, les établissements spécialisés pouvant être à l’origine d’une augmentation des temps d’inactivité physique. Pour autant, ils sont encore très rarement orientés et surtout accueillis dans les dispositifs municipaux de prescription d’AP, comme dans les Maisons sport santé développées dans les territoires. Ou quand ils le sont, ce sont des intervenants qui sont envoyés en prestation de service spécialisée dans les établissements, sans lien avec un projet global interdisciplinaire.

La loi de démocratisation du sport de mars 2022 et la note d’information du 29 février 2024 relative au déploiement de l’activité physique et sportive dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) du champ de l’autonomie suggèrent cette articulation. Elles préconisent la mise en œuvre de trente minutes d’activités physiques quotidiennes pour les enfants en situation de handicap, sans pour autant créer les conditions que cette intervention puisse prendre un sens pour les enfants dans le cadre d’un projet de promotion de la santé par l’activité physique. Sans articulation avec une démarche éducative ancrée dans un projet existant, sans encadrement qualifié, le dispositif risque de se réduire à un effet de communication en année olympique.

Est-ce que la loi du 11 février 2005 qui fixait l’obligation de mesures d’adaptation et d’aménagement s’est traduite sur le terrain sportif ?

La loi de 2005 est à l’origine d’une avancée sociétale majeure puisqu’elle a favorisé l’accès au droit commun. Concernant les activités physiques adaptées, elle a développé l’accueil des personnes en situation de handicap dans les clubs sportifs non spécialisés, dans une perspective de compétition, mais aussi d’éducation et de loisir. Mais comme toute révolution, elle s’est accompagnée de certains effets pervers. Les établissements ont en effet misé sur l’accompagnement d’une participation sociale dans des dispositifs de droit commun, aux dépens d’une éducation physique adaptée de qualité, assurée en interne par des enseignants en activité physique adaptée, formés au traitement des situations de handicap et au développement de l’autonomie. Les structures ont progressivement délégué aux clubs, et donc à des salariés non spécialistes des activités physiques adaptées, la mission d’accompagner des projets individuels de consommation de pratiques sportives à partir de partenariats disponibles, sans que l’usager ait pu goûter à différentes pratiques pour choisir celles qui correspondent à sa personnalité, ses possibilités, ses désirs et son projet de vie.

Ma proposition serait de penser en termes de parcours d’éducation physique : développer préalablement des capabilités (pouvoirs de ressentir, d’exprimer, de décider et d’agir) en activité physique adaptée afin d’être en mesure de s’exprimer pleinement dans les clubs au sein desquels les personnes en situation de handicap pourront alors être considérées comme des licenciées et non comme des bénéficiaires, au risque sinon de se retrouver à nouveau dans un encadrement spécialisé à l’intérieur des clubs sportifs, dispositifs de droit commun.

Le combat de l’inclusion a été lancée à partir de la loi du 11 février 2005, aujourd’hui quelle est la place des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées dépendantes qui souhaitent pratiquer une activité sportive adaptée ?

Avec le tournant inclusif impulsé en 2005, toute l’attention a été portée sur les projets hors des murs des institutions. Mais l’accès aux clubs ne garantit aucunement la pratique inclusive. Une personne qui a des besoins spécifiques et qui arrive dans un club avec un déficit de ressources en termes d’autonomie, de culture physique et de culture sportive sera en difficulté pour partager une pratique avec des personnes qui ont bénéficié d’une éducation physique et/ou qui sont sportives. Des articulations entre le monde médico-social, le monde de la santé et le monde du sport nécessitent des acteurs frontières comme l’ont montré les travaux de Hugues Lhopital (4) à propos de l’émergence de l’handi-escalade.

Aujourd’hui, le chaînon manquant est clairement identifié : ce sont les enseignants en APA titulaires d’une licence Staps mention APA-Santé, voire d’un master qui leur permet de mettre en place, de coordonner et d’évaluer des parcours complexes dans les territoires. Cette approche en termes de parcours est certainement celle qui a le plus de chance d’aboutir à une pratique régulière, durable et si possible inclusive.

L’approche des Jeux olympiques va-t-elle se traduire par une montée en puissance du sport santé auprès des personnes âgées ou en situation de handicap ?

Paris 2024 vise la promotion du sport santé, en anticipant sur l’héritage des jeux. Mais la visée de santé ne consiste pas à faire bouger pour bouger, ce qui reviendrait à s’agiter. Le mouvement prend son sens dans des pratiques culturelles qui ont leurs significations (les activités physiques sportives ou artistiques), qui sont rendues accessibles par des compensations, mais aussi par une éducation physique des usagers qui permette de développer un goût pour une pratique. Ainsi cette pratique aura d’autant plus d’effet qu’elle est articulée à un projet plus large de promotion de la santé par l’activité physique qui intègre le développement des pouvoirs des usagers d’agir, de ressentir, de choisir et d’entrer en projet pour favoriser une activité qui ait du sens pour l’usager et qui soit suffisamment régulière et fréquente pour obtenir des bénéfices de santé. Cet héritage suppose de pouvoir s’appuyer sur des compétences et des qualifications professionnelles pérennes pour favoriser les collaborations et coordinations.

Je trouve dommageable que dans la loi de démocratisation du sport comme dans le décret de février 2024, on ne parle pas des compétences en activité physique adaptée. Il ne s’agit pas de créer un monopole des compétences en APA. En revanche, invisibiliser ces compétences et donner la priorité au volontariat sur les compétences pour un référent sport dont les missions sont assez pointues, interroge sur la solidité du dispositif. Il ne suffit pas de parler de santé pour que la promotion de la santé advienne.

Enfin, l’organisation en silos des politiques sportives du handicap d’un côté et de la santé de l’autre, crée une situation paradoxale : ce qu’on gagne d’un côté, est perdu de l’autre. Il est urgent de peaufiner une approche universelle, globale et intégrée.

Propos recueillis par Alexandra Marquet, journaliste et chef de rubrique

Notes de bas de page

(1) Carré F., Freyssennet D., Ninot G., Perrin C. (2020) Bénéfices de l’activité physique dans les pathologies chroniques en prévention secondaire et tertiaire, : quelles recherches complémentaires sont attendues ? Bull EpidémiolHebd. 2020;(HS):29-33.

(2) Perrin C (2019) Logiques et modalités d’intervention en activité physique auprès des malades chroniques : approches sociologiques, Expertise collective Inserm « Activité Physique. Prévention et traitement des maladies chroniques », Paris, Ed. inserm : 49-100.

(3) https://www.handidactique.org/charte-romain-jacob/

(4) Lhopital H., Boutroy E. et Perrin C. (2023) The emergence of handi-climbing consumption. A sociological analysis of the evolution of a service innovation, Alter, 17-4, 85-100.

 

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