Faire face à l’absentéisme des équipes
Le taux d’absentéisme a régulièrement dépassé les 40 % depuis 2016, devenant un défi majeur pour les entreprises et les organisations (1). Le secteur de la santé (sanitaire et médico-social) se distingue avec le taux le plus élevé, culminant à 53 %. Ces données révèlent une tendance préoccupante, d’autant plus que les troubles psychologiques sont devenus la deuxième cause d’arrêts maladie (2). Dans le secteur hospitalier en particulier, les arrêts maladie sont souvent attribués aux conditions de travail, englobant des contraintes physiques, psychosociales et émotionnelles.
Les écarts dans le recours aux arrêts maladie sont plus significatifs entre les différentes professions exercées à l’hôpital. Les médecins et les professions administratives ont tendance à avoir moins d’arrêts maladie que les infirmiers. Les aides-soignants déplorent des contraintes physiques et d’horaires lourdes alors que les agents d’entretien se plaignent plus du manque de rapports sociaux et d’autonomie.
Après avoir testé différentes actions ponctuelles de sport-entreprise, la directrice des ressources humaines de la polyclinique de Limoges a sollicité la prestation de la S.A.S.Devenir.s, spécialisée dans l’activité physique préventive en milieu professionnel. De mars à octobre 2023, les interventions ont touché 372 personnes, avec un taux de participation régulière d’environ 61 %. Il parait alors intéressant de recueillir les avis des bénéficiaires. C’est ce qu’a réalisé un groupe d’étudiants en 3e année de management du sport en menant une enquête qualitative au cours de l’automne 2023. Trois principaux avantages ressortent des témoignages des pratiquants, mais des limites sont également pointées.
Postures de travail compensées, fatigue soulagée et renforcement de la cohésion d’équipe
Les journées de travail des agents de la polyclinique de Limoges sont marquées par une diversité d’activités, de la gestion de stock aux interventions médicales, en passant par des tâches administratives. La posture assise prolongée devant l’ordinateur est souvent observée, or, elle engendre des inconforts physiques. La majorité des agents démontre un désir de lutter contre la sédentarité, tout comme cette secrétaire de direction : « Vous vous rendez compte, moi qui suis assise toute la journée, depuis 1987, assise tout le temps, si je n’avais jamais fait de sport je pense que je serais très mal. »
La fatigue physique est une réalité pour de nombreux professionnels, accompagnée parfois de maux de tête, courbatures, douleurs au dos et au cou, selon les missions réalisées et les postes occupés. Les séances proposées apparaissent comme une solution bénéfique pour soulager ces inconforts. Certaines personnes ont même témoigné d’une amélioration significative de leur bien-être physique grâce à ces séances : « Ça m’aide à avoir une journée plus zen, à décompresser. »
Les séances collectives d’activité physique et sportive (APS) sont unanimement perçues comme des moments favorables à l’entraide et au renforcement des relations interpersonnelles. Elles contribuent à créer une ambiance positive au sein des équipes, voire entre les différentes équipes de travail : « Ça fait 40 ans que je travaille aux Emailleurs et il y a énormément d’entraide (...) entre les différents services grâce aux séances d’APS. » Cette cohésion d’équipe est considérée comme un facteur essentiel pour le bien-être général des professionnels.
Contraintes temporelles à intégrer
Les contraintes temporelles, notamment les changements d’horaires fréquents, constituent un défi majeur pour la participation régulière aux activités physiques proposées. Beaucoup d’agents apprécient que ces séances ne soient pas décomptées de leur temps de travail, à l’instar de ce qui est prévu au GCSMS Meuse (Groupement de coopération sociale et médico-sociale) dans la Meuse (3). Concilier les exigences professionnelles et familiales risque, en effet, de se faire au détriment de la pratique d’une activité physique.
A la polyclinique, c’est ce qu’une assistante administrative, convaincue de l’intérêt des séances, décrit : « Ma seule contrainte, c’est le temps : même les trente minutes de séance sont parfois compliquées à dégager. » Une gestionnaire des lits pointe ainsi la disparité de disponibilités entre les différents secteurs : « Il faudrait qu’on arrive à intégrer ces séances dans notre temps de travail. Autant en administratif, on arrive un peu mieux à jongler avec les horaires pour participer aux séances mais pour le personnel soignant, c’est très compliqué voire impossible. »
La première étape est souvent de convaincre les cadres de l’efficacité de la mesure. A la polyclinique de Limoges, l’encadrement représente 55 % des pratiquantes, grâce à la combinaison de créneaux individuels et collectifs. Leur investissement a, véritablement, un effet entraînant avec des bénéfices directs sur l’ambiance de travail comme cela peut s’observer au service maternité.
Une piste à développer
Les résultats de cette enquête qualitative mettent en évidence quelques-uns des bénéfices que les interventions de la S.A.S. Devenir.s apportent aux agents de la polyclinique de Limoges. En réduisant les douleurs physiques, en renforçant la résistance aux maladies et en atténuant les risques dépressifs, ces séances individuelles ou collectives ont démontré leur pertinence pour le bien-être des travailleurs bénéficiaires.
Etant donnés les facteurs de risque identifiés, telles que les contraintes physiques, psychosociales et émotionnelles, la prévention du capital-santé du personnel doit être une priorité pour les employeurs, notamment dans les secteurs sanitaire et médico-social. Bien que ces interventions puissent contribuer à atténuer certains maux, elles ne peuvent pas résoudre tous les défis auxquels sont confrontées les directions des établissements accueillant des personnes malades ou fragilisées.
Néanmoins, investir dans l’activité physique au service du bien-être professionnel apparait être une stratégie judicieuse pour améliorer la santé globale des employés et réduire l’impact de l’absentéisme. L’enjeu est aussi de renforcer l’attractivité des structures qui misent sur cette offre à l’heure où les difficultés de recrutement touchent tous les établissements. C’est ainsi que le contrat initial entre cette polyclinique et cette entreprise a été renouvelé.
Marie Austruy, étudiante L3 management du sport et Sabine Chavinier, enseignante-chercheuse STAPS-HAVAE, université de Limoges
Pour aller plus loin
L’exemple de la polyclinique de Limoges n’est pas isolé. Si l’on reste dans le secteur sanitaire et social et dans la même zone géographique, on peut signaler l’effort de la mutualité limousine qui, en 2022, a déployé des binômes de stagiaires L3 management du sport pour dispenser un cycle d’activité physique sur le lieu de travail au profit du personnel de cinq Ehpad localisés à proximité de l’université de Limoges.
Pour ce qui est de la S.A.S Devenir.s, elle est également prestataire du Haut-Cluzeau, établissement Clinéa (filiale d’Orpéa), implanté dans l’Indre. Les séances hebdomadaires sont dispensées aux volontaires de tous les corps de métiers : personnel de cuisine, personnel d’entretien, ASH (agent de service hospitalier), aide-soignante, infirmière, cadre de santé et personnel de direction. Comme à la polyclinique de Limoges, les salariés bénéficient de rendez-vous individuels de trente minutes ajustés en fonction de leur profil. Pour les plus assidus, des programmes à réaliser en autonomie (à domicile et sur le lieu de travail) sont proposés pour tendre à l’activation quotidienne recommandée par l’OMS (organisation mondiale de la santé).
Pour généraliser ces éclairages ponctuels, soulignons que les plans d’action résultant des documents uniques d’évaluation des risques professionnels (Duerp) peuvent utilement intégrer l’activité physique préventive au regard des postures professionnelles générant de la sédentarité, des troubles musculosquelettiques (TMS) et/ou des risques psycho-sociaux (RPS). Ainsi, le dernier baromètre Santé publique France (4) pointait que, pour les femmes, le secteur de la santé humaine et de l’action sociale était à cibler prioritairement pour mettre en œuvre des actions de prévention pour les TMS du membre supérieur et du dos.
Notes de bas de page
(1) Drees, « Arrêts maladie dans le secteur hospitalier : les conditions de travail expliquent les écarts entre professions », nov.2017 – graphique n°2, p.3.
(2) Malakoff Humanis, baromètre annuel de l’absentéisme, 2022.
(3) Le GCSMS Meuse réunit 13 établissements, 30 métiers, 938 professionnels. Il bénéficie de l’opération « Objectif Sport » du CDOS 55 (comité départemental olympique et sportif de la Meuse). Une intervention hebdomadaire gratuite d’un coach sportif est proposée aux salariés des Ehpad et des SEISAAM (services et établissements publics d’inclusion et d'accompagnement Argonne Meuse) avec deux heures prises sur le temps de travail pour permettre le déplacement, le changement de tenue et la participation à la séance menées par des opérateurs du mouvement sportif.
(4) Santé publique France, prévalence des TMS en France, dans la population générale et dans la population des actifs occupés selon la CSP et le secteur d’activité. Résultats du baromètre Santé publique France, 2021.