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Enfant « incasable » et séjour impensable

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« On pourrait parler de l’importance des séjours comme lieu relais et thérapeutique, mais de manière plus humble, les séjours sont des espaces qui permettent la rencontre dans un contexte qui n’est ni judiciaire, ni social, ni médico-social, ni sanitaire, mais dans un lieu d’enfants, un lieu de jeux », soulignent Guilhène Bouchet, psychologue et Maïlys Cleret, éducatrice, pour le pôle enfance du CDEF31.

[VACANCES ADAPTEES 16/19] Face à un enfant dit « incasable », l’idée même d’un séjour, hors de l’institution, peut effrayer. Et pourtant, sortir de l’institution pour partager son quotidien facilite la rencontre qui apaise.

Sortir de l’institution

Les jeunes dits « incasables » ou appelés également « cas complexes », sont des enfants, des adolescents, dont les besoins dépassent le champ d’un seul moyen de prise en charge (souvent mis en échec), et nécessitent de fait, une articulation entre le sanitaire, le social, le médico-social, le judiciaire. Renvoyée à son incapacité à agir seule, chaque institution se retrouve à appeler l’autre, à faire du lien pour maintenir le jeune dans du « prendre soin », dans un accompagnement unique, un tissage particulier, qui pousse nos structures à s’articuler ensemble et se parler, plus qu’elles ne le feraient à l’accoutumée.

Henry est un de ces enfants dits « incasables ». Il a 8 ans. Il est accueilli au CDEF, foyer d’urgence, depuis deux ans dû à un contexte de négligence parentale. A son arrivée, il n’avait aucune prise en charge : pas d’école, pas de soins, pas de capital social élevé. Il était qualifié vulgairement d’enfant « sauvage », sans limite, sans cadre. Il fallait tout reprendre, du rituel du brossage de dents à l’apprentissage de repas sains et équilibrés. Henry, désorganisé, mettait à mal ces bases nouvelles qui lui faisaient violence. Il frappait alors, quotidiennement les éducateurs. Les crises pouvaient durer plus de trois heures, les coups de pieds, de mains, les morsures jaillissaient et dans tout cela, le regard d’un enfant perdu, en demande d’aide.

Nous décidons de le faire participer à un séjour, même s’il est encore dans cette phase désorganisée dans laquelle les éducateurs sont à bout. Dans ce contexte, Maïlys Cleret, une éducatrice spécialisée pour lui, dite PECI (Prise en charge individuelle), est embauchée. C’est ce transfert, comme nous l’appelons dans les foyers, qui va tout changer dans le lien de cet enfant aux autres, mais aussi dans sa capacité à nous dévoiler un autre visage. C’est en tout cas ce que nous dévoile la professionnelle qui est restée à son contact pendant le séjour.

Quand le lien se tisse

Le premier séjour de trois jours, c’est ça qui a décoincé ma relation avec Henry et qui a débloqué plein de choses. Lui était là depuis plusieurs mois, et moi je venais d’arriver. Moi je n’avais pas d’appréhension. Je ne le connaissais pas encore. Mais je voyais que pour les autres éducateurs, partir avec lui, générait de l’angoisse. C’était un impossible à penser. A l’époque il fallait être trois dans une voiture avec lui, au cas où. Alors partir en séjour... avec Henry ? C’était hors de question. Mais bon, pour moi qui ne le connaissais pas, ce fut envisageable. Alors, on a tenté.

Lorsqu’on est partis en séjour avec lui et deux autres enfants, j’ai réalisé des détails, comme le fait qu’il ne connaissait aucun des prénoms des professionnels. En rentrant, il les connaissait tous.

Et puis, surtout, on a appris à se connaître. La difficulté au milieu du foyer, c’est qu’il faut prendre en compte tous les autres enfants, les rendez-vous, les visites médiatisées, les appels, les imprévus, etc. La rencontre aurait mis beaucoup plus de temps à se créer au milieu de l’agitation du groupe. Je conseille à chaque référent ou PECI de partir en transfert avec « son jeune » et un ou deux autres enfants. Ça permet de se rencontrer pour de vrai, de prendre le temps de se dire qui on est. Henry, par exemple, a des angoisses liées à la nuit. Et nous, les éducateurs, on ne fait pas les nuits. Avoir pu l’accompagner dans ce rituel-là, ça a créé un lien... surtout de me voir en pyjama Harry Potter ! D’ailleurs, ça c’est important. Le fait que les enfants nous voient nous brosser les dents, dormir, faire toutes les choses qu’on leur dit de faire, ça les a surpris. C’était drôle. Du coup, Henry, ces choses-là qu’il faisait d’ordinaire avec difficulté, par mimétisme avec moi, il était partant. On a dit que même au foyer, on se brosserait les dents avec les enfants. C’est ce genre de petits déclics éducatifs qu’on trouve en séjour.

Loin du collectif pesant, la souplesse s’impose

Et puis, en séjour, toutes ces contraintes liées au collectif sont inexistantes. On a une vraie souplesse organisationnelle. On peut vraiment répondre à leurs besoins et mieux les écouter. Un jour, on avait prévu tout un programme, mais les enfants voulaient juste profiter de la piscine toute la journée, et bien, nous avons accepté. Pas de pression, ni pour eux, ni pour nous. Les enfants sont souvent soumis à notre organisation à nous, nos contraintes d’adultes. On répond peut-être à leurs besoins primaires mais peu à leurs envies quand on est deux encadrants pour autant 8 et 12 enfants.

Henry, lui dans l’eau, il s’apaise. Il adore ça. Ce côté sauvage dont on le qualifiait au début, dans un sens négatif, en fait, là, au milieu de la nature, c’est plus du tout péjoratif. C’est juste un enfant libre et apaisé. C’est difficile pour lui, voire tous les enfants, de rentrer dans la case particulière d’un établissement social. On met des étiquettes quand ils font des crises mais finalement, si on change l’environnement, qu’on pousse les murs pour y mettre des champs, et qu’on met des toboggans et des piscines, ces enfants qui nous font peur et mal par moments, sont les mêmes enfants qui nous font rire et sourire. Alors bon, oui Henry, continue aujourd’hui de frapper et de faire des crises. Mais ça n’a rien à voir. Il sait qu’on est fiable, qu’on est présent pour lui. Quand il est rentré du séjour, aucun éducateur ne l’a reconnu. Il parlait mieux, il utilisait les prénoms de chacun, il était plus autonome, il exprimait plus ses émotions. Alors certes, on n’a pas réussi à apaiser toutes ses crises, mais on l’a rencontré, et il nous a rencontrés, dans un contexte propice à tout ça, en dehors du lieu de vie imposé. Et ça, je pense que ça a fait toute la différente et qu’aujourd’hui on serait encore dans les crises clastiques du début, sans ce séjour.

On pourrait parler de l’importance des séjours comme lieu relais et thérapeutique, mais de manière plus humble, les séjours sont des espaces qui permettent la rencontre dans un contexte qui n’est ni judiciaire, ni social, ni médico-social, ni sanitaire, mais dans un lieu d’enfants, un lieu de jeux : finalement dans un contexte qui symboliquement n’appartient pas aux adultes mais qui est à hauteur d’enfants.

Guilhène Bouchet, psychologue et Maïlys Cleret, éducatrice, pour le pôle enfance du CDEF31

 

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