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Des professionnels à bout en Ehpad

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« La pandémie a également permis une lecture différente de la vie, des attentes, des priorités », analyse Salomé Tonna, psychologue.

Crédit photo DR

[POST-COVID 17/21]

La crise sanitaire n’a fait qu’accroître l’épuisement et le mal-être du personnel soignant du fait de la mobilisation prégnante, la mortalité accrue, les désillusions, la perte de sens et des valeurs, le découragement, le sentiment d’impuissance et de frustration. De nombreux professionnels se sont éloignés de ce milieu délétère pour se recentrer sur leurs besoins, leurs attentes soit en changeant de carrière soit en repensant leur métier autour de la vacation.

 

Période de grand stress et d’épuisement émotionnel 

Retour en arrière. La proximité permanente au virus a engendré un stress important pour le personnel : le stress d’être porteur et la culpabilité associée, le stress d’être contaminé, le stress de l’apporter auprès des siens et cela durant de longs mois.  

D’autre part, le conflit entre les valeurs, les convictions des soignants, les injonctions et obligations a été également difficile à vivre notamment autour du port du masque, des tenues spéciales pour les résidents contaminés qui entravaient le lien, de l’interdiction des visites des familles, de l’isolement en chambre de tous les usagers... En somme, la déshumanisation progressive des liens et de la relation avec les personnes accompagnées et une certaine perte de sens du travail et de son accomplissement. 

Certains établissements ont connu également des vagues successives de décès : du virus mais également des conséquences d’un isolement accru. Les équipes n’avaient plus l’espace et le temps pour verbaliser entre elles car elles étaient prises dans l’action. L’épuisement émotionnel est venu progressivement s’immiscer.  

Rappelons que l’épuisement émotionnel, la déshumanisation et la perte de sens de l’accomplissement au travail sont les dimensions de l’épuisement professionnel, plus connu sous le nom de burn-out.  

Entre synergie et valorisation sociétale   

Néanmoins, au-delà de l’intensité du stress et de l’épuisement insidieux, la crise sanitaire a fait émerger une certaine synergie entre le personnel. L’esprit d’équipe était fort présent et l’entraide plus importante qu’avant le Covid. En effet, le sentiment d’appartenance à un groupe – les soignants – leur a permis d’œuvrer plus intensément pour la même mission : préserver les résidents ou les soigner en cette situation de crise. En somme, cette situation d’insécurité et de vulnérabilité leur a permis de ressouder les liens.  

Le soignant tenait un rôle nécessaire, primordial, indispensable pour prendre soin des aînés à risque, en danger. La société les a portés sur un piédestal, les a applaudis chaque soir à 20 h durant quelques mois, là où le virus circulait grandement et les décès se multipliaient. Ainsi, les soignants ont été valorisés pour leur métier, leurs missions ce qui n’était pas le cas avant la crise, période dans laquelle, au contraire, il était plutôt dévalorisé. À ce jour, la valorisation de la société n’est plus. Les professionnels soignants, notamment en Ehpad, sont retombés dans l’ombre et dans l’oubli.  

De l’idéalisation du métier à la désillusion de la réalité 

L’épuisement professionnel était certes ressenti, mais compensé partiellement par la valorisation de notre société et les grands projets (annoncés et finalement non réalisés) du gouvernement. La place du soignant a été telle pendant la pandémie que l’espoir d’un changement a émergé. L’espoir d’une reconnaissance à travers la revalorisation salariale, mais surtout l’amélioration de la qualité de travail : l’augmentation des moyens, du ratio soignants/résidents, des budgets alloués au quotidien etc. Parallèlement, le livre les Fossoyeurs et le scandale Orpea a replongé les professionnels des Ehpad dans un profond désarroi puisque les établissements (du moins privés) ont été destitués de toute bienveillance. Depuis, l’idéalisation des changements a laissé place à la désillusion, à une réalité qui ne changera pas ou peu. L’épuisement professionnel s’est donc majoré à travers l’épuisement et la perte de sens.  

Par ailleurs, la pandémie a également permis une lecture différente de la vie, des attentes, des priorités : plusieurs secteurs d’activité ont été impactés comme l’hôtellerie-restauration. Les conséquences dans le milieu sanitaire et médico-social sont plus que difficiles notamment concernant les démissions et la difficulté de recrutement.   

L’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle a été mis à mal : outre la perte de sens, les moyens difficiles ; les particularités de ces métiers qui imposent de travailler le week-end, mais aussi des horaires tardifs ou décalés sont apparues comme négatives, discutables, inadaptées. Aussi, la mortalité prégnante et l’éprouvante mobilisation ont parfois recentré les professionnels sur leur vie personnelle. Ce contexte d’épuisement global a été accompagné par de nombreuses démissions dans les Ehpad.  

Ainsi, le nombre de postes vacants a considérablement augmenté depuis cette période. Le recrutement de certaines professions, notamment les aides-soignants et les infirmières est plus compliqué qu’auparavant. Ces professionnels boudent les Ehpad du moins dans certaines régions voire départements pour privilégier une certaine liberté et un détachement aux institutions : les vacations prennent le dessus. Et pour cause, l’offre salariale est beaucoup plus attrayante en vacation qu’en statut de salarié. Ainsi, le Graal tant convoité qu’est le CDI à temps plein n’est plus. Les professionnels ne souhaitent plus être salariés, dépendants d’un établissement. La vacation offre un équilibre réfléchi et désiré avec la vie personnelle, et ainsi, une qualité de vie plus satisfaisante, un meilleur salaire, une autonomie rassurante… Toutefois, et il est très important de le souligner, elle prive le soignant de la relation au résident, de la qualité du lien, de la continuité des soins dans un contexte de bientraitance et plus largement au sens que le métier représente : ai-je fait ce métier de soignant pour remplacer ? Pour travailler en discontinue ou bien pour accompagner, chaque jour, de manière personnalisée, les personnes jusqu’à la fin de leur vie ?  

On peut s’interroger sur l’avenir des métiers du soin en Ehpad et donc sur la qualité d’accompagnement des personnes âgées et vulnérables si la situation reste telle. 

Salomé Tonna, psychologue

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