Un défi considérable
Sécurité et qualité des soins sont des obligations pour tous les services et établissements à quelque domaine qu’ils appartiennent même si les cadres légaux, les stratégies et les indicateurs ne sont pas les mêmes. Leur temporalité commune est d’ailleurs le signe d’une exigence partagée au début du XXe siècle : initiée par la loi du 2 janvier 2002 réformant l’action sociale et médico-sociale pour ce secteur, et par la loi du 4 mars 2002 relative à la qualité du système de santé et aux droits des malades pour le domaine hospitalier.
Quelques chiffres et quelques comparaisons donnent le vertige. Nous parlons de 40.000 établissements et services sociaux et médico-sociaux en comparaison de 3.000 hôpitaux et cliniques. Les perspectives embrassées diffèrent aussi : parcours de santé d’un côté, parcours de vie de l’autre. Quant aux domaines couverts, c’est le grand écart : l’un est centré sur la dimension sanitaire quand l’autre touche à la fois à la protection de l’enfance, au handicap, à l’âge et aux vulnérabilités sociales. Les métiers ne sont pas les mêmes : centrés sur l’organe et le traitement, d’un côté, au grand regret des patients d’ailleurs, envisageant la personne dans sa globalité, de l’autre. Enfin, même si le soin est de plus en plus interdisciplinaire et repose aussi sur la coordination des professionnels, ces méthodes sont depuis longtemps formalisées dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Six piliers de la qualité relativement bien identifiés
- À commencer par la formation des professionnels par des établissements dédiés mais se référant à des cadres communs : syndicats d’établissement ou unions, comme l’Unaforis ; références professionnelles communes du Haut conseil du travail social lequel vient d’ailleurs de publier un livre blanc interrogeant la politique publique ; agrément de formation sur la base d’un schéma régional.
- Des règles de sécurité sont aussi en vigueur autant pour les services que pour les établissements. Ce sont des règles « au long cours » auxquelles s’ajoutent des règles spéciales en temps de crise comme nous venons de la vivre avec l’épidémie de Covid 19.
- Corrélativement à ces règles, le troisième pilier de la qualité, ce sont les contrôles initiés par les autorités de tutelle : État, départements, régions et communes parfois. Ces contrôles visent autant l’équilibre financier que la sécurité ou la qualité des accompagnements selon les mandats de chacune des tutelles, aussi bien au titre des réglementations publiques, notamment les autorisations de fonctionnement, des recommandations de bonnes pratiques que des multiples contrats passés entre les tutelles et les ESSMS.
- Des recommandations de bonnes pratiques, à dire d’experts et respectant les principes de la charte de l’expertise sanitaire, sont aussi élaborées par la Haute Autorité de santé (HAS) depuis qu’une loi récente, en 2019, lui en a donné la compétence après la reprise des missions dévolues jusqu’alors à l’Agence nationale de l’évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM). Ainsi, la HAS a publié de très nombreuses recommandations et entre d’ailleurs maintenant dans une période d’actualisation de recommandations devenues obsolètes. Ces recommandations guident l’action des professionnels sur le terrain et servent aussi de point d’ancrage à l’évaluation des ESSMS.
- Justement, cette évaluation, devenue unique, quinquennale, nationale et universelle vise tous les ESSMS. Elle a également été confiée à la HAS au nom de son indépendance. L’objectif étant de réaliser 8 000 évaluations par an sur la base d’un référentiel : après que des organismes accrédités par le Comité français d’accréditation (Cofrac) se chargent de ces évaluations sur la base d’un manuel d’évaluation commun à tous les ESSMS élaboré par la HAS au terme d’un processus de co-construction avec les acteurs des deux secteurs, un rapport d’évaluation fait l’objet d’une publication pour garantir la transparence de la qualité des ESSMS. Ce qui après le scandale Orpea1 se révèle parfaitement justifié.
- Cette évaluation vient rendre compte des résultats du management de la qualité au sein de chaque ESSMS. Elle n’est donc pas le vecteur d’une politique de qualité des ESSMS mais son résultat objectivé par une mesure standardisée. Le management de la qualité est donc le sixième pilier de la qualité pour lequel les établissements et services ont le choix des moyens. Ils peuvent d’ailleurs se servir du manuel d’évaluation de la HAS pour entraîner une relance de la démarche qualité comme certains établissements l’ont reconnu lors de la phase d’expérimentation2. En tout état de cause, ils peuvent, et ils doivent avons-nous envie de dire, mettre en place une « démarche qualité » avec une stratégie adaptée à leurs propres défis, comportant des plans d’actions et un comité de suivi, et reposant sur des équipes dédiées et des méthodes éprouvées. Ainsi la démarche qualité est un processus continu sur le long terme, initié avec volontarisme, à commencer par celui des dirigeants. En s’attachant à ce que les personnes concernées, les comités de la vie sociale et des représentants des personnes accueillies y soient associés ; ce serait encore mieux. Autrement dit une démarche qualité n’a pas seulement pour but l’évaluation quinquennale, elle se doit d’être instaurée de façon permanente avec pour objet la qualité des accompagnements, la satisfaction des usagers et la performance de l’institution, au quotidien.
Quatre défis contemporains ou parfois anciens à résoudre
- La question des ressources humaines est aujourd’hui en tête de l’agenda.
Après que la Cour des comptes, après d’autres institutions, a rendu un rapport sur la situation des établissements d’hébergements des personnes âgées dépendantes (Ehpad), une proposition de loi vient d’être enregistrée par le bureau de l’Assemblée nationale en vue de confier au pouvoir réglementaire la définition d’un ratio minimal d’encadrement pour les personnes accueillies dans les Ehpad. Plus généralement, c’est aussi la question des moyens pour une politique de sécurité sanitaire plus robuste quand les lieux d’accueil sont aussi des lieux de soins, ce qui dépasse d’ailleurs le périmètre des seuls Ehpad. Derrière ces ratios pointe aussi la question de la rémunération des professionnels des ESSMS, car il est devenu difficile de recruter pour des missions mal reconnues comme l’ont mis en lumière le rapport de Mme El Khomry ou plusieurs rapports successifs du Conseil économique social et environnemental. - Des attentes sociales de plus en plus fortes visent aussi l’effectivité de la qualité des accueils et des accompagnements.
C’est ainsi que deux associations particulièrement importantes ont récemment mis en exergue la question d’un nouveau droit : celui du droit à l’accompagnement des personnes en situation de handicap. Elles ont d’ailleurs saisi le Défenseur des droits qui a qualifié d’ores et déjà leur saisine de « recevable »3. En outre, une aussi vive expression des associations a émergé autour de l’effectivité des recommandations de bonnes pratiques de la HAS : ce sont des « gold standard » disent-elles, comprenant que l’on puisse faire mieux mais pas moins. Ce n’est pas ce que disent les juges qui reconnaissent aux professionnels une marge d’appréciation : ce qui ouvre alors la question des pouvoirs des autorités indépendantes (Défenseur des droits, Haute autorité de santé, Contrôleur général des lieux de privation de liberté) qui disposent seulement d’un magistère moral sans capacité à émettre des injonctions voire des amendes, pouvoirs dont disposent d’autres autorités indépendantes en France comme à l’étranger. - En outre, l’universalité d’accès aux réponses disponibles sur le territoire est aussi ouverte. Chacun peut observer que les départements choisissent dans leurs priorités pour fournir des services ou créer des établissements d’accueil et d’accompagnement social et médico-social. Il faut alors accepter de rompre avec une vie dans un territoire où l’on a ses habitudes ou son entourage pour bénéficier d’une prise en charge. Cela atteint un niveau paroxystique dans le domaine des troubles du spectre autistique, mais c’est aussi trop souvent la situation dans les politiques de l’enfance ou de l’âge.
- Enfin, de portée moins sévère, mais lancinante, la question de l’articulation entre les certifications privées et l’évaluation publique est ouverte. La certification est un outil d’une démarche qualité à la libre appréciation des ESSMS. Pour autant, ce niveau d’engagement dans une démarche qualité peut-il constituer une sorte de bonification en vue de l’évaluation ? C’est une attente pour les établissements qui cherchent à se démarquer par de telles certifications.
Rendez-vous en vue
Tous ces défis ne seront pas résolus en un claquement de doigts, encore moins si l’on confond amélioration, évaluation et contrôle de la qualité. Deux rendez-vous pointent dans les mois qui viennent. Ils devraient nous aider sur la voie des clarifications nécessaires pour que chaque partie joue sa partition sans confusion en vue d’un meilleur service rendu aux personnes concernées. D’abord, le retour sur les premiers rapports d’évaluation qui seront remontés à la HAS : au printemps prochain, 4.000 rapports auront été recensés et pourront être analysés, délivrant de premières leçons. Ensuite, le rapport d’analyse prospective de la HAS portera cette année sur la qualité en santé, y compris donc dans ses aspects sociaux et médico-sociaux, ce sera une occasion pour l’autorité publique indépendante, qui rend public ce rapport remis au Parlement et au Gouvernement, de faire entendre ce qu’il serait raisonnable d’initier en France au titre d’une politique de la qualité en santé.
Christian Saout, membre du collège, président de la commission sociale et médico-sociale, président du conseil pour l’engagement en santé des usagers, HAS
Notes de fin de page
(1) « Les fossoyeurs », Victor Castanet, J’ai lu, 512 pages, 2023.
(2) « Y’a de la joie en établissement », Hors-série ASH n°31, juillet 2023, 44 pages.