Et soudain, le retour en arrière
En tant qu’intervenante formatrice depuis 22 ans, tout en travaillant sur le terrain, j’ai constaté l’évolution dans le bon sens de l’accompagnement et des pratiques en Ehpad. Je me souviens d’un reportage sur l’Humanitude en 2013 qui disait : « Il a fallu le 20e siècle pour comprendre l’enfance, il faudra le 21e siècle pour comprendre la vieillesse et changer de culture. »
Les Ehpad sont progressivement devenus de véritables lieux de vie, ouverts sur l’extérieur. On a fait tomber la tenue professionnelle, et on se questionnait sur la liberté d’aller et venir. Le regard sur la personne âgée changeait ; elle devenait actrice, et l’on prenait davantage en compte leurs choix. Les mots égalité, respect, et dignité prenaient enfin tout leur sens. C’est ce dont j’ai été témoin. Puis le Covid est venu tout balayer. Les résidents ont été enfermés sans être consultés, sans explication véritable. Ils ont été privés de leurs proches. Le personnel, quant à lui, a dû basculer vers un accompagnement très sanitaire et médical, privant de tendresse, de toucher ; on a isolé. Contraint de travailler dans des conditions très difficiles dans certains établissements, certes, tout le monde n’a pas vécu la même chose, mais la crise sanitaire a réellement changé la culture de l’accompagnement et, au-delà, les priorités humaines.
Tout est à reconstruire
Certains établissements ont vraiment gardé des stigmates de cette période et ne sont pas revenus à leurs anciennes pratiques, continuant à porter des uniformes plutôt que la tenue civile. Ce n’est pas un détail, mais au contraire ce choix illustre bien l’orientation prise... tournée vers le sanitaire et non le lieu de vie. De nombreux soignants ont quitté leur CDI pour privilégier le travail en intérim, se sentant ainsi plus libres de s’arrêter quand ils le souhaitent pour prendre un temps de répit. Les ASH ont été amenés à faire du soin, et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se préparent à une VAE aide-soignant. Le chiffre est impressionnant. Du côté des usagers, les personnes âgées et leurs familles refusent l’entrée en Ehpad, encore plus qu’avant d’ailleurs, préférant rester à domicile même si l’accompagnement est précaire et non sécurisé, car le secteur du domicile est également resorti meurtri de la crise sanitaire.
Les établissements consacrent aujourd’hui une grande partie de leurs plans de formation à proposer des actions en lien avec le « favoriser la bientraitance ». C’est en repartant de ces bases-là qu’il sera possible de reconstruire une équipe, une âme dans l’accompagnement proposé au quotidien. Nous avons tous vécu des moments très compliqués pendant le Covid, et il nous faut passer à autre chose maintenant. La parole n’a pas été systématiquement donnée aux équipes pour qu’elles puissent exprimer leur colère et leur tristesse, dire tout ce qu’elles avaient vécu durant la crise. Cette parole doit être délivrée. Les analyses des pratiques professionnelles sont plus que jamais une nécessité pour avancer, pour évoluer, pour mieux accompagner et mieux vivre son quotidien professionnel. Il y a une réelle crise des vocations, il nous faut redonner envie d’exercer ces métiers, et pour cela, il nous faut revenir à l’essentiel : la personne. Nous devons promouvoir avant tout la rencontre à faire et non la tâche à accomplir, retisser du lien, donner du sens à nos pratiques, et recréer de la solidarité. A nous tous de s’y atteler.
Véronique Tapia, assistante de soins en gérontologie et formatrice
