Entre structuration politique et institutionnelle
Il n’aura pas fallu attendre l’organisation des Jeux olympiques 2024 pour que le sport occupe une place particulière au sein de l’échiquier politique. Le livre blanc de la commission européenne, dont les priorités sont reprises dans le traité de Lisbonne du 1er décembre 2009, incitait déjà les États membres à intégrer les pratiques sportives dans les politiques menées en matière d’éducation, de santé publique et de cohésion sociale. Cela s’est traduit en France par le Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté lors du Comité interministériel de lutte contre les exclusions du 21 janvier 2013. Celui-ci intégrait une « mesure spécifique visant à faciliter l’accès aux sports et aux loisirs, partie-prenante d’une démarche qui ambitionne plus largement de favoriser l’accès aux droits des publics les plus vulnérables ou engagés dans un processus d’intégration » (1).
L’éclosion sporadique mais exponentielle des dispositifs d’inclusion sociale par le sport depuis une quinzaine d’années témoigne clairement de son intérêt souffrant néanmoins d’une réelle démonstration scientifique maintenant ainsi l’outil sport dans une représentation utopique qui perdure. En effet, s’il s’appuie sur les représentations laudatives du sport, ce dernier est utilisé comme support d’accompagnement qui semble relever d’un droit accordé à des individus dont on présuppose la difficulté à accéder aux pratiques sportives et plus largement considérés en situation d’exclusion sociale ou inadaptée.
Ainsi, l’intérêt de focaliser l’attention sur la genèse des dispositifs d’insertion par le sport est multiple. Ils naissent inévitablement aux interstices des frontières institutionnelles puisque le travail social et le sport représentent deux espaces entre lesquels les ponts restent à ce jour impensés ou pour le mieux fragiles. Par conséquent, la très grande majorité des dispositifs d’accompagnement social structurés autour des activités physiques et sportives se présentent sous des formes et selon des logiques singulières dans la mesure où ils émergent par la volonté et l’initiative d’individus isolés qui entendent innover. Cela n’empêche que l’idée du sport comme outil du travail social existe et se répand au-delà de ces seules individualités. Mais, elle demeure à l’état de croyance largement partagée et fondée sur l’illusion d’un sport naturellement vertueux.
Des fondements au stade embryonnaire
C’est pourquoi le sport comme outil d’accompagnement social ou adapté à des publics spécifiques ne fait l’objet d’aucune conceptualisation fondamentale ni d’aucune formalisation organisationnelle dépassant l’échelle des initiatives singulières et localisées. Si le principe de l’utilisation du sport adapté est désormais assez largement admis, les fondements de son usage sont donc encore au stade embryonnaire et se nourrissent des expérimentations entreprises à la faveur des sensibilités diverses de ceux qui les portent.
Dans ce contexte, il va de soi que toutes ces actions prennent des formes organisationnelles différentes. A l’inverse de dispositifs nationaux qui s’inscrivent dans les rouages classiques des institutions, l’absence de directives ou de préconisations en matière d’usage du sport laisse ouvert un vaste champ de possibilités. S’il existe bien des préconisations aux échelles européenne et française, celles-ci maintiennent l’outil du sport dans la représentation illusoire dont il fait communément l’objet et, de cette façon, font obstacle à une formalisation plus porteuse. En d’autres termes, l’usage social du sport n’est pas encore une prérogative affectée à des institutions et n’intègre, par conséquent, aucun champ de compétences existant.
Pour l’ensemble de ces raisons, il convient de comprendre dans quel état d’esprit les entrepreneurs du sport social mobilisent le sport. A quel type de sport pensent-ils ? Pour quel public ? Dans quel objectif ? Or, il est évident que, en l’absence de connaissances, de choix politiques et de compétences transmises en matière de conceptualisation du sport comme outil, c’est l’appartenance institutionnelle du professionnel qui entreprend l’action, son rapport personnel au sport, les partenaires qu’ils mobilisent, le mode de mobilisation du public, bref la façon singulière dont se formalise l’action, qui chargeront le dispositif d’une philosophie politique.
Autrement dit, en dépit de la similitude de l’outil, les actions d’accompagnement par le sport peuvent s’inscrire ou traduire des approches politiques très diverses. Et c’est l’illusion d’un sport à la fois politiquement neutre et naturellement vertueux qui empêche de penser l’outil comme un potentiel vecteur politique. Pourtant, on comprendra aisément que proposer sans obligation de participation des pratiques sportives visant le bien-être engagent un travail d’accompagnement différent que d’imposer contractuellement des activités sportives d’endurance visant à (ré)enclencher une morale de la responsabilité.
Véritable philosophie politique du sport
Comprendre la genèse des dispositifs de sport adapté revient à se donner les clés pour saisir plus fondamentalement les philosophies politiques dont ils se chargent. Quelle conception du travail social traduisent-ils ? Quelle conception du corps des publics fragiles ? Quels rapports à autrui et à soi sont-ils suggérés à travers ces formes de pratiques sportives ? Plus largement, à quel type d’individu et de société, le travail social participe-t-il lorsqu’il convoque, sans le concevoir ouvertement, le sport ?
Mettre en œuvre des orientations politiques suppose ainsi d’avoir repéré puis nommé un chef de file chargé d’assurer la coordination des acteurs. Ceux-ci seraient alors légitimés et outillés pour construire des actions adaptées sans tomber dans le piège de la recette de cuisine ou de l’apprenti sorcier souvent animée par des convictions personnelles énoncées comme bienveillantes, mais parfois aliénantes dans leurs effets. En d’autres termes, l’usage social du sport n’est pas encore une prérogative affectée à des institutions et n’intègre, par conséquent, aucun champ de compétences existant sauf bien sûr, un questionnement éthique et déontologique. Nous percevons néanmoins cette volonté de structuration politique et institutionnelle à l’instar de l’émergence du seul Think Tank européen « sport et citoyenneté » en 2007 à Bruxelles qui vise à « recenser et analyser les politiques publiques mises en œuvre dans plusieurs États européens en vue de promouvoir l’activité physique comme vecteur de santé » (2).
A l’heure où le livre blanc du travail social réaffirme la nécessité de s’appuyer sur l’expertise des personnes accompagnées et le développement du pouvoir d’agir, c’est bien via cette pratique qu’une véritable philosophie politique du sport sera réellement inclusive.
Frédéric Maignan, formateur aux métiers éducatifs et sociaux, ingénierie et développement social et fondateur d’ACTIASS
Notes de bas de page
(1) https://www.sports.gouv.fr/l-inclusion-sociale-par-le-sport-677