Le spectre de la liquidation
15 % des structures à domicile sont en liquidation ou en redressement. Si le chiffre est sorti dans la presse, sans l’emploi du conditionnel, impossible de vérifier l’exactitude et la véracité de ce pourcentage. En tout état de cause, de nombreux services à domicile qu’ils soient publics, privés associatifs ou à but lucratif sont confrontés à des difficultés financières et budgétaires. Certains doivent ainsi mettre la clef sous la porte ; ce qui était auparavant exceptionnel devient de plus en plus habituel. Impossible toutefois de connaître l’ampleur du phénomène. Et pour cause, aucune donnée fiable n’est disponible du côté de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) qui confie, par la voix de sa directrice adjointe, Aude Muscatelli, « qu’un pan de la prise en charge des personnes nous échappe encore largement ». Pour tenter de mieux maîtriser la situation et disposer de données objectives, le gestionnaire de la branche Autonomie de la sécurité sociale va donc se doter d’outils avec une nouvelle obligation pour les services à domicile de remplir le tableau de bord de la performance des établissements médico-sociaux. Or, ils n’étaient à peine que 50 % à avoir répondu, fin octobre. Face à une situation financière dénoncée par les Fédérations depuis plusieurs années, une détérioration récente est-elle constatée ? Rien ne permet de l’affirmer, mais, force est de constater que les problèmes s’accumulent avec des difficultés de recrutement, un manque criant de professionnels formés sur le terrain et des demandes d’usagers non pourvues. Est-ce la faute au manque d’aides à domicile ou à une situation financière dégradée ? Les spécialistes apportent des réponses divisées mais sont tous unanimes sur un constat : le secteur est au bord de la faillite.
Un problème de financement structurel
Si les acteurs du secteur évoquent le manque de financement de l’Etat, la CNSA s’inscrit en faux, mettant en avant des moyens conséquents injectés dans la branche à domicile et notamment le plan d’aide exceptionnel débloqué en 2023. Ainsi, ce sont 760 millions qui ont été alloués aux services à domicile via les départements quand 220 millions d’euros ont été dédiés aux revalorisations salariales. Malgré cette enveloppe non négligeable, la situation ne s’est pas améliorée. Les difficultés sont-elles structurellement liées à un problème de gestion ou d’organisation ? Ou est-ce que l’aide reste insuffisante ? Plus que jamais, la question du financement est sur toutes les lèvres. La tarification horaire critiquée par tous est mise au pilori. Les professionnels dénoncent le minutage des interventions des aides à domicile ou tout acte est décortiqué et prévu des jours à l’avance, sans même prendre en compte l’état de santé, de forme, de fatigabilité de la personne vulnérable qui seront forcément variables selon les jours. Pour la directrice adjointe de la CNSA, « un seul modèle de tarification ne peut pas résoudre tous les problèmes qui sont multiples et contradictoires ». Car derrière cette tarification, ce sont des services à domicile qu’il faut financer, des professionnels formés qu’il faut recruter, et proposer des interventions de qualité aux usagers tout en tenant compte de la maîtrise des dépenses publiques. Si ce modèle unique pose problème, son changement ne pourra pas se décider sans réflexion préalable. C’est aussi pour cette raison que la CNSA et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ont lancé conjointement cet été un appel à manifestation d’intérêt auprès des départements qui souhaiteraient expérimenter d’autres modèles de tarification. Malgré les pistes émises, comme la tarification au forfait en fonction des spécificités des personnes, ou d’autres alternatives, aucune candidature n’a été déposée. A l’heure où le système est au bord de la rupture, les collectivités, qui ont pourtant la compétence n’ont pas su saisir l’opportunité qui s’offrait à elles. La CNSA va donc lancer en 2025 une étude nationale de coût avec la volonté de réfléchir à une future réforme de la tarification. La réflexion devra être collective.
Des pistes mises en avant par le terrain
Les départements, la profession, les fédérations de gestionnaires et les usagers devront se retrouver autour d’une table pour imaginer un autre système à l’aune du virage domiciliaire annoncé de longue date et qui se profile.
Sans plus attendre, des directeurs de services à domicile militent pour « un temps juste » et pour « une facturation juste ». Et si le travail en équipe pouvait être la solution ? Des auxiliaires de vie qui travaillent ensemble, par groupe de dix, sur un secteur limité où la mutualisation des plans d’aide s’opère. C’est une piste affichée avec en toile de fond la flexibilité pour une intervention globale et un prendre soin humaniste. Cette organisation pourrait contribuer à renforcer l’attractivité du métier, à miser sur la qualité des interventions sans oublier l’aspect financier. A l’heure où la France n’a plus les moyens et où la rigueur se profile, des choix vont devoir s’imposer pour que les personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou le handicap puissent continuer à vivre à domicile et non pas survivre dans des conditions indignes.
Alexandra Marquet, cheffe de rubrique