Un choix professionnel pas anodin
Être aide à domicile, c’est s’aventurer là où peu osent aller. Souvent, dès que l’on fait un pas vers cette profession, ou même sa formation, nos proches nous interpellent : « Vraiment, tu es sûre de toi ? Je ne pourrais pas, mais heureusement qu’il y a des personnes comme toi ! » De surcroît, il est difficile de prétendre exercer ce métier pour l’appât du gain, étant donné le manque de reconnaissance financière qui lui est attribué. Pourtant, une autre reconnaissance se manifeste chaque fois que nous franchissons le seuil d’une maison où règne la morosité, pour laisser place à un sourire et à un sentiment de satisfaction chez ceux avec qui nous avons partagé un moment.
Mais aujourd’hui, maintenir cette motivation devient de plus en plus ardu. Comment rester animée d’enthousiasme lorsqu’on nous impose des horaires partiels, lorsqu’une grande partie de notre temps est dédiée aux déplacements entre deux domiciles, lorsque notre supérieur hiérarchique, responsable de secteur ou directeur d’agence, ne nous accorde pas de temps pour discuter, notamment des situations complexes que nous rencontrons ?
Progressivement le découragement s’installe
Les aides à domicile aspirant à une activité à temps plein après leur formation sont souvent confrontées à une proposition de contrat de 104 heures. Après avoir consenti à plusieurs mois de formation, l’espoir d’obtenir un poste à plein temps reste intact. Selon le statut juridique de l’employeur, le temps de trajet peut être inclus dans le temps de travail, bien que cela ne soit pas systématique. Lorsque ces déplacements s’accompagnent de plages horaires morcelées, il devient difficile de ne pas succomber au découragement.
La démotivation s’accroît également en constatant le temps très limité accordé aux bénéficiaires pour les plans d’aide personnalisés (APA). Comment offrir décemment une assistance à la toilette en une demi-heure, ponctuée fréquemment d’autres tâches à accomplir ? Les accompagnements aux repas en seulement quinze minutes peuvent sembler aisés, car il suffit de réchauffer et de servir le repas du service de portage, mais comment accepter moralement une telle proposition ? Lorsqu’on nous demande de mettre au lit quelqu’un à 18 heures, sachant qu’il ne verra personne avant le lendemain à 8 heures, comment accepter de participer à cette « forme de maltraitance passive » ? Comment garder une fierté dans notre travail ? Parfois, comment se regarder dans le miroir en sachant que, une fois rentrée chez soi, nous avons conscience d’avoir travaillé si rapidement, si négligemment ?
Un cercle vicieux sans fin
Certaines structures, principalement du secteur privé à but lucratif, ont compris qu’il existait une demande réelle en proposant des services de deux heures aux clients, mais à quel prix ? Cette offre reste inaccessible pour la majorité de la population. Les conséquences de cette situation sont connues : un isolement accru et une forte charge émotionnelle dans le métier, conduisant de nombreux salariés à des arrêts maladie, voire à un désengagement professionnel, aggravant ainsi la crise des vocations dans ce domaine. De plus, à mesure que le nombre d’arrêts augmente, il devient impératif de recruter du personnel capable d’assurer les remplacements, d’où la nécessité de proposer des contrats à temps partiel. En somme, c’est un cercle vicieux qui contribue à aggraver une situation déjà précaire.
Les personnes âgées de 60 ans et plus représentent actuellement 19 millions d’individus. Elles seront 20 millions en 2030, selon les chiffres du ministère de la Santé. Il est grand temps de redonner du sens à la profession d’aide à domicile, de susciter l’engagement chez les professionnels. Pour y parvenir, c’est l’ensemble de la société qui doit changer de perspective. Il est essentiel de combattre l’âgisme, de lutter contre l’exclusion sociale et l’isolement, de renforcer la solidarité, mais tout cela ne pourra se réaliser sans moyens adéquats. Une véritable reconnaissance financière des salaires des aides à domicile est nécessaire, de même que des ressources pour financer la formation des professionnels. Le constat est connu. A quand un engagement des pouvoirs publics ?
Véronique Tapia, assistante de soins en gérontologie et formatrice