Un point de vue
Ce choix de vivre à domicile, et non de maintien à domicile (possiblement coercitif), s’opère au sein d’une société (organisation comme une autre), qui coordonne un ensemble complet et complexe d’éléments humains, sociétaux et technologiques, liés les uns aux autres, que ses membres ont ou non choisi. Il s’agit, par conséquent, de la réalisation de deux besoins : celui de ne pas vivre seul et celui de ne pas être les uns contre les autres ; le contraire de la dispersion, de l’isolement, de la solitude. Par ailleurs, certains choix de société ne sont que des idées ou des projets émis par des citoyens, et validés à l’issue d’un vote ; choix qui sont des actes de volonté dépendant normalement de nous ; choix qui possèdent plusieurs critères endogènes : des aptitudes requises (physiques et ou intellectuelles), des pré-requis (des compétences), des motivations (déclenchement, direction, énergie, sens donné) ; choix qui permettent à chacun de procéder selon ses valeurs et ses nécessités, en les contrôlant au mieux, en ayant le sentiment d’avoir son existence en main, en favorisant son estime de soi.
Mais, au-delà de cet aspect purement théorique, tous ces choix de société doivent tenir compte du fait que le domicile héberge, lui aussi, des moments de vie compliqués (la dépendance, la maladie, la vieillesse). Moments qui bouleversent, en permanence, le cadre familial établi ; moments qui demandent, parfois, à la personne aidée d’adhérer docilement à une décision qui n’est pas sienne – « Qu’elle veuille ce que l’on veut, qu’elle veuille pour son bien » : extrait du livre L’autre demande de Robert Neuburger – ; moments qui font, immanquablement, entrer dans ce lieu privé des soignants, créant ainsi une nouvelle rencontre – une triangulation – entre le soignant qui prodigue des soins – to care –, l’aidé(e) qui les reçoit et l’aidant qui les accueille.
Des propositions
Afin de répondre à cet assortiment d’options, la société doit dépasser plusieurs de ses composantes : celle clivante, celle en mouvement permanent, celle de plus en plus numérique, urbaine et tertiaire, celle où le paraître supplante l’être, celle dont l’immédiateté est plus importante que la pensée, celle dont l’intérêt particulier se situe au-dessus de l’intérêt général, celle ou l’affect prend le pas sur le rationnel. Alors, pourquoi ne pas formuler a minima six mots, quelque peu oubliés par les temps qui courent.
Le premier de ces mots se nomme compromis. Sachant que le compromis n’est pas une compromission, mais l’accord trouvé entre plusieurs parties où chacune d’entre elles accepte de céder certaines concessions en vue d’éviter ou de mettre fin à un conflit. Son absence amène vraisemblablement à une radicalité et à un manque d’empathie, qui empêchent de comprendre l’autre.
Le deuxième, bien entendu, définit l’empathie. C’est l’acte par lequel le sujet sort de lui-même pour comprendre l’autre, sans éprouver pour autant les mêmes émotions. Celui-ci ressent ce que l’autre ressent, il comprend ce qu’il comprend, il accepte la relation comme une construction mutuelle et dynamique. Ce n’est ni de la compassion (se montrer attentif à la souffrance de l’autre), ni de l’altruisme (attention prêtée aux besoins de l’autre), ni de la sympathie (caractère affectif et partage de la même émotion), ni de la gentillesse (elle ne dépasse pas les situations de conflit ou les problèmes relationnels).
Trois mots encore sont en lien avec le sujet traité. La dignité, attitude empreinte de réserve et de gravité ; elle est inspirée par le désir de respectabilité. L’intégrité, état de ce qui sain ou intact ; ou ne subir aucune atteinte dans son corps ou son esprit. L’intimité, la vie intérieure et secrète ; l’endroit où l’on se sent chez soi.
Le sixième et dernier concerne la solidarité. Il peut être pris dans le sens de cohésion interne ou dépendance réciproque, et non comme une vertu ou un sentiment. En effet, celui-ci vient du latin solidus : dans un corps solide, les différentes parties sont solidaires en ceci qu’on ne peut agir sur l’une sans agir aussi sur les autres.
Afin de résumer ces six propositions, la priorité, semble-t-il, est de fixer un cap et de dessiner une vision issue d’une réflexion collective, elle-même née d’un dialogue apaisé et respectueux plutôt que tourné vers l’affrontement.
Pour cela, en s’adossant à cette pensée du sociologue Raymond Aron, « choisir entre le préférable et le détestable. », nos institutions devront donc créer une stabilité, tout autant dans le système économique que dans les relations sociales. Celle-ci amènera sûrement un avenir plus juste, en inversant le probable mécanisme de la désunion entre les générations.
Philippe Giafferi, écrivain et conférencier
Références
- Article 102 du code civil ; le domicile est défini comme le lieu où la personne a son principal établissement.
- Loi 2002-2 du 2 janvier 2002 ; celle-ci est conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains, avec l’objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d’entre eux.
Des marqueurs
- La dépendance peut être affective, mentale, physique, psychique. Ce terme générique englobe une perte d’autonomie. Elle n’est pas une maladie mais une conséquence pathologique. La personne est inapte à effectuer diverses tâches qui lui permettraient de vivre seule et de façon indépendante. Elle a besoin du concours de l’autre.
- La maladie est une altération des fonctions ou de la santé d’un organisme vivant, animal ou végétal. Soit, on se réfère à l’ensemble des dégradations de la santé. Soit, on désigne une entité particulière caractérisée par des causes, des symptômes, une évolution et des possibilités thérapeutiques propres.
- La vieillesse est un processus progressif. On ne devient pas âgé du jour au lendemain. Ce n’est pas une maladie mais un état.
- La sénescence : vieillissement naturel de l’organisme.
- La sénilité : détérioration pathologique des facultés physiques et mentales.
- La démence : réduction des capacités cognitives, de la mémoire et de l’idéation.