La rencontre
M. Z. est âgé de 61 ans, il a du mal à se déplacer correctement car il boîte. Il n’a pas de famille. Il ne travaille pas et passe ses journées à rendre des petits services aux personnes du quartier afin de gagner quelques pièces de monnaie. Le destin m’amène à croiser son chemin et à me poser certaines questions. Pourquoi ce monsieur est-il dans cette situation ? Que touche-t-il comme revenu ? Mange-t-il à sa faim ? En tant que professionnelle du domicile, je ne peux pas passer mon chemin sans me retourner. J’interroge les personnes qui le connaissent. Ils m’informent qu’il a eu un grave accident de la route, qu’il était dans le coma et que lors de sa sortie, il n’a pas été pris en charge comme il le fallait. Une personne a essayé de l’aider afin qu’il puisse obtenir le revenu de solidarité active qui est actuellement son seul revenu.
Par l’intermédiaire de voisins qui connaissent M. Z., je fais sa rencontre et en communiquant avec lui, je m’aperçois qu’en plus de son handicap moteur, il a également des troubles mentaux. Il me montre son domicile et je constate que c’est un logement insalubre, inadapté à son handicap. Ce jour-là, je décide que je ferais tout le nécessaire afin de l’aider à sortir de cette situation.
Seule pour agir
Avec son accord, je décide de faire les démarches pour qu’il soit reconnu en situation de handicap. Je suis en mesure de faire le nécessaire seule et, sur le moment, je ne me rends pas compte du travail que cela va engendrer. Je remplis un dossier MDPH mais avant de le transmettre, je dois faire remplir la partie concernant sa santé par des professionnels. M. Z. n’a pas de médecin traitant. Après plusieurs coups de téléphone, je parviens à trouver un professionnel qui accepte de m’aider en réalisant un bilan de santé. Je dois également faire constater ses troubles mentaux, pour cela je contacte un psychiatre que je connais. Les démarches sont assez longues.
En attendant la décision de la MDPH, je décide de contacter à plusieurs reprises le propriétaire de M. Z. afin que des travaux soient réalisés dans le logement, mais je n’obtiens aucun retour de sa part. Je fais donc appel à une responsable des dossiers HLM afin de faire une demande de logement, tout en sollicitant les services hygiène de la mairie. Dans l’attente des retours des organismes, j’essaye d’aider au mieux M. Z. en rangeant son logement, en lui apportant des repas équilibrés…
La réponse de la MDPH m’informe que M. Z. n’a pas été reconnu à plus de 80 %. Je tombe de haut et prépare un recours. Les jours passent, l’attente continue, je suis fatiguée, je n’y arrive pas, personne ne m’aide, j’ai envie de baisser les bras. Trois mois plus tard, nous sommes enfin convoqués. Je conduis M. Z. à la MDPH, nous rencontrons le médecin. Huit mois se seront écoulés entre ma première demande et la reconnaissance à plus de 80 %.
De la joie aux larmes
M. Z. perçoit une grosse somme d’argent en raison de la régulation. Je décide de faire une demande de protection juridique afin de le protéger. Les démarches là aussi sont fastidieuses : je dois faire établir un certificat circonstancié par un médecin inscrit sur la liste établie par le Procureur de la république puis transmettre le dossier au juge. Le temps passe, je ne vois pas le bout de mes démarches, je me bats pour lui, je veux y arriver. J’ai l’impression d’être seule, de m’être trop investie dans cet accompagnement.
Un an s’est écoulé et toutes les démarches portent enfin leurs fruits. Nous obtenons un logement adapté à sa situation de handicap. M. Z. est heureux lorsqu’il découvre le logement. Nous avons également le retour du juge qui le place sous sauvegarde de justice. Je me sens bien, je le vois sourire et c’est le plus beau des retours auquel je pouvais m’attendre. M. Z. est impatient d’être dans son nouveau logement, je lui rappelle la date, lui dit qu’il sera enfin bien dans cette nouvelle vie qui s’offre à lui.
Je compte les jours, tellement pressée à l’idée qu’il emménage. Nous y sommes presque. Le jour tant entendu est arrivé. Je me rends donc sur les lieux, la personne du dossier HLM est également présente. M. Z. n’arrive pas. Je l’appelle sur son portable, aucune réponse. Nous attendons. Je ne comprends pas. Je m’excuse pour lui auprès de la personne. Elle m’indique qu’elle doit partir et me demande de la tenir au courant.
Je le cherche partout. Je sais qu’il se passe quelque chose. Mon téléphone sonne. De l’autre côté du fil, une dame me demande si je m’occupe bien de M. Z.. Et là, le ciel me tombe sur la tête. Elle me dit qu’elle est navrée, que M. Z. a eu un arrêt cardiaque devant la Poste hier et qu’il n’a pas survécu. Je pleure toutes les larmes de mon corps. Les jours passent et j’ai du mal à me relever.
M. Z. n’ayant pas de famille, ni de tuteur attitré, je dois faire le nécessaire auprès d’un notaire, je dois également préparer ses funérailles, vider son logement. Je n’ai plus envie, je n’ai plus le courage mais je dois continuer. Je l’aurais accompagnée dans sa vie et après son départ. Cette histoire m’aura appris à protéger ma santé mentale en posant des limites saines et en demandant de l’aide si nécessaire. Ne négligeons pas notre répit.
Sabrina Cavène, accompagnante éducative et sociale à domicile en CESU, gérante et formatrice de l’organisme de formation FCS, autrice et jury d’examen ADVF