Face à des règles absurdes
En 2019, j’ai été recrutée comme assistante coordinatrice dans une grande enseigne de service à la personne. La première chose qui m’a frappée était le tableau blanc sur lequel étaient notés les arrêts maladie. Il y avait une liste d’une vingtaine de personnes absentes pour différentes raisons : maladie, accident de travail, longue maladie, absence injustifiée. Mon travail consistait à remplacer chaque prestation à cause de l’absence de l’une des auxiliaires de vie. Pour cela, je devais contacter les membres de mon équipe un par un jusqu’à ce que l’un d’entre eux accepte d’assurer les missions bien souvent à la dernière minute.
Si le salarié que j’appelais refusait ma sollicitation, je devais mettre une absence à son planning. C’était les règles de l’entreprise. Cela revenait à lui retirer une heure sur son salaire ! Entre 7h et 21h, si c’était un jour travaillé, qu’il y ait ou non des prestations à son planning, le salarié devait être disponible pour son employeur. C’est au moment précis où l’on m’a expliqué cette règle que je compris l’incroyable liste des absences sur le fameux tableau blanc. Si le salarié refusait une prestation qui n’était pas prévue à son planning, alors il était « puni ». J’étais abasourdie !
On demandait aux auxiliaires de ne pas infantiliser les personnes âgées qu’elles accompagnaient et paradoxalement on les envoyait « au coin », si elles refusaient un remplacement. Cela était contraire à mes valeurs. J’ai donc décidé de ne pas choisir entre le bien-être de mes clients et la qualité de vie au travail de mon équipe, tout en accomplissant ma mission aux yeux de ma hiérarchie. C’est ainsi que j’ai commencé à appliquer mes propres règles : bienveillance, écoute, empathie et respect. L’application de celles-ci aura réduit en seulement trois mois, le nombre de personnes absentes à deux sur le tableau blanc.
Apprendre à se connaître
Parler de qualité de vie au travail, c’est englober de nombreux sujets dans le service à la personne. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour mon équipe. Leur travail est difficile. L’amplitude horaire est grande. Les temps de déplacements sont importants. Les personnes travaillent un week-end sur deux. Les clients sont parfois très difficiles. Les aidants demandent beaucoup d’attention. Et dans leurs vies personnelles, cela se traduit par ne pas manger avec leurs enfants parfois cinq soirs par semaine. Partir le matin avant leur petit-déjeuner. Rater les spectacles d’école ou les évènements sportifs/culturels. Tout cela pour un travail mal rémunéré. La tâche était grande.
Ayant dévoré le livre de Florence Bénichoux, Et si on travaillait autrement ?, j’ai décidé de mettre en pratique sa méthode dite de « Haute Qualité humaine ». J’ai commencé par ce qui me paraissait le plus fatiguant pour mon équipe et ce sur quoi je pouvais avoir un impact fort : les trajets. Sur une carte, à l’aide de deux membres de mon équipe, j’ai pointé les adresses des clients ainsi que celles des salariés. Cela me permettait de mettre de la cohérence géographique dans les remplacements que je proposais. Avec cette nouvelle organisation, j’obtenais déjà plus facilement mes précieux « oui ».
La deuxième étape était d’apprendre à connaître les membres de mon équipe. Je devais savoir ce qui était important pour eux, connaître leurs difficultés, leurs préoccupations, mais aussi leur « pourquoi ? » et ce qui les anime dans leur métier. Ainsi, je savais que untel pratiquait la danse à 19h tous les jeudis soir, que tel autre devait amener son fils chaque mardi à 16h chez l’orthophoniste ou encore qu’une autre était indisponible tous les lundis entre 13h et 14h car elle avait un rendez-vous chez son kinésithérapeute. Je connaissais les besoins de chacun par cœur et ne les appelais sur ces temps importants seulement si je n’avais aucune possibilité. Ils le savaient tous. Ils avaient compris que je respectais leur vie privée.
Savoir écouter et prendre en considération le salarié
Je leur donnais la possibilité de me dire « non », de me dire : « J’ai besoin de passer ma soirée avec ma famille » ou encore « je suis fatigué ». Dans ce cas, je les remerciais d’avoir pris mon appel et leur souhaitais une bonne journée.
Je les appelais parfois simplement pour prendre de leurs nouvelles, leur souhaiter leur anniversaire ou encore leur dire que j’avais pu libérer leur soirée. Mes appels n’étaient plus seulement des appels pour leur demander un remplacement, ils étaient motivés par ma volonté d’atténuer le sentiment de solitude lié à ce métier. Je m’intéressais sincèrement à chacun. La considération est l’une des grandes clés du management bienveillant.
Lors de prestations plus difficiles comme les fins de vie, les chutes ou autre, mon équipe savait qu’elle pouvait trouver une oreille attentive même si je croulais sous le travail. C’est ainsi que j’ai pu détecter des situations de harcèlement chez certains clients ou des situations angoissantes chez d’autres et d’y mettre un terme rapidement pour que chaque membre de mon équipe se sente en sécurité au travail. Mon équipe savait que je ne la laisserai pas tomber et qu’elle pouvait avoir confiance en moi. Lorsque je demandais un remplacement que je savais inconfortable pour la personne, je m’arrangeais pour lui proposer une compensation. J’avais à cœur d’avoir une relation gagnant-gagnant. Ce modèle coopératif permet de mettre chacun en face de ses responsabilités et de considérer l’autre sur un pied d’égalité.
Yolaine Desbois, fondatrice du Réseau Animation à domicile