Une non-reconnaissance de l’acte de soin relationnel
Quel soignant ou accompagnant n’a pas entendu cette phrase à l’issue d’un entretien ou d’une simple visite : « Je me sens mieux ! » Ou bien : « Ça m’a fait du bien de vous voir » ? Pourtant le soin relationnel, même s’il est clairement défini dans le code de la santé publique qui régit la profession infirmière ne fait l’objet d’aucune reconnaissance tarifaire dans leurs actes professionnels.
En milieu hospitalier spécialisé en santé mentale, j’ai souvent entendu les psychiatres dirent aux patients : « Allez discuter avec les infirmières, ça ira mieux après. » Le verbe « discuter » traduit cette non-reconnaissance de la spécificité du soin relationnel exécuté par les infirmiers et leurs collaborateurs. Cette réaction induit de facto un questionnement : qu’est ce qui permet de dire qu’une relation de soin devient un soin relationnel ? A partir du moment un soignant ou un accompagnant est en en présence d’une personne vulnérable et entre en communication avec elle était-il déjà dans le soin relationnel ou dans une simple conversation ? Ce qui distingue une simple conversation d’un acte de soin, c’est l’intentionnalité de venir en aide à la personne en vue de lui apporter un certain bien-être. De même, une auxiliaire de vie ne saurait effectuer un soin dit de nursing sans un accompagnement relationnel qui permet à la personne de se sentir à l’aise et en sécurité. Il est important de souligner que le soin relationnel effectué par un professionnel compétent est aussi un acte technique.
L’intention authentique de comprendre autrui est la base de la relation bientraitante :
- attitude de non-directivité, laisser venir le discours ou les réactions corporelles de l’autre sans chercher à les modifier ni à les orienter ;
- effort continu pour rester objectif et lucide sur tout ce qui se passe au cours de l’entretien et du toucher (soins corporels) ;
- lucidité sur ses propres sentiments et réactions corporelles afin de ne pas les projeter sur l’autre.
L’intérêt de bien définir le soin relationnel
Deux objectifs principaux sont poursuivis :
- anticiper et repérer les facteurs de risques avant que ne se cristallise la souffrance de la personne et que ne survienne un état dépressif ou un repli sur soi ;
- mettre en place un accompagnement de qualité dans la bientraitance afin d’apporter à la personne accompagnée un maximum de bien-être.
La bientraitance consiste avant tout à prendre soin de la personne en tenant compte de ses besoins et de ses désirs. Il est donc primordial de toujours tenir compte du degré d’autonomie de la personne et de favoriser l’émergence de la parole ou l’expression des personnes aidées par tous les moyens possibles.
Cela suppose que les aidants soient à l’écoute de ses demandes explicites et implicites. Il est plus aisé de s’assurer que l’usager ait tout ce qu'il lui faut d’un point de vue physiologique et physique que de se poser la question de son bonheur ou tout simplement de son bien-être psychique. Agir dans la bientraitance, c’est constamment se poser ces questions : de qui, de quoi a-t-il besoin ? Comment puis-je y répondre ?
Nous voyons bien que pour répondre à cette problématique des qualités relationnelles ne suffisent pas. Les professionnels utilisent des techniques de communication, mobilisent leurs connaissances afin d’établir des liens entre les signes cliniques observés et les paroles prononcées, décodent le signifiant du signifié (comprendre le sens caché de ce que la personne exprime ou manifeste). La démarche de questionnement permet de repérer les vulnérabilités et de chercher des réponses. Pour vivre une relation professionnelle authentique dans le cadre d’un soin relationnel, il est indispensable de se poser également la question du regard que nous portons sur la personne que nous accompagnons. Est-ce un regard structurant porteur de vie ou déjà un regard annihilant ou mortifère du fait de sa vulnérabilité ? Quelle place sommes-nous prêts à lui laisser dans cette relation ?
Trois questions émergent alors de cette réflexion : est-ce qu’il ne veut pas, ne peut pas ou est-ce que l’environnement ne lui permet pas ? Dans le concept d’environnement, il faut comprendre tout ce qui entoure la personne tant sur le plan matériel qu’humain. L’accompagnant ou le soignant sont de facto une partie de son environnement et influent sur l’état de vulnérabilité de l’usager. S’interroger sur la qualité de ses pratiques professionnelles n’est pas toujours facile et demande une posture d’humilité qui favorise l’empathie.
Les professionnels de santé et de l’accompagnement à domicile détiennent un savoir et leur mission est d’aider les personnes soignées ou accompagnées à se maintenir ou à recouvrer la santé. Leurs actions doivent donc être efficaces et tournées vers leur bien-être. Ainsi, ne perdons pas à l’esprit ce que Matthieu Ricard dit : « En essence, l’altruisme réside bien dans la motivation qui anime un comportement. Il peut être considéré comme authentique tant que le désir du bien d’autrui constitue notre préoccupation principale. » Agir dans la bientraitance demande cette intentionnalité, elle nécessite de vivre chaque rencontre avec le patient ou la personne aidée comme un moment unique exigeant toute notre disponibilité et nos compétences.
Stella Choque, cadre de santé, formatrice IRFA Evolution, auteure de La Bientraitance au quotidien pour les soignants et les accompagnants, Ed Lamarre 2023