« Je ne suis pas chez moi ici »
Absent à domicile, le soutien psychologique est proposé en établissement. Si La loi 2002-02 visait à ce que les résidents soient chez eux en établissement, on peut s’interroger sur cette carence pour tous ceux qui restent dans leur logement initial. Institutionnalisée ou pas, la personne âgée devrait pouvoir bénéficier d’une écoute et d’une possibilité de s’exprimer ou d’évoquer son mal-être, sa souffrance.
Art-thérapeute certifiée RNCP, je travaille auprès de personnes en situation de dépendance liée à l’âge, la maladie, le handicap. Les rendez-vous peuvent se faire à domicile, en cabinet ou en établissement. Je m’adapte à la situation et aux besoins de chacun. Je travaille aussi auprès des aidants pour qui la situation vécue est douloureuse. Lors d’une intervention en Ehpad, je rencontre Jane, 78 ans, veuve depuis quatre ans, qui vit en établissement après une chute qui lui a rendu la marche difficile. Je propose des séances d’art-thérapie individuelles « chez elle » (en institution). Un jour elle se confie : « On dit de nous que nous sommes des résidents... j’ai vendu ma maison et acceptée de venir vivre ici pour rassurer mes enfants, mais ici ce n’est pas chez moi, ce n’est pas une résidence... enfin, nous devrions dire dernier lieu de vie car on ne se leurre pas, on ne ressortira pas vivant d’ici. »
En quelques mots, elle a su exprimer sa souffrance d’avoir dû quitter SON domicile et nous questionne sur le sens des mots. Venir vivre en Ehpad représente pour elle un pas dans la tombe. Non seulement la personne perd en autonomie, mais elle perd ses repères et ce déménagement est une souffrance supplémentaire. Mais qui écoute ses angoisses ? Ni ses proches, ni les soignants.
Entre le domicile et l’Ehpad, des transitions difficiles
Brigitte a 87 ans et ne sort plus de chez elle. Je vais à son domicile régulièrement pour lui proposer un espace de rêverie, un lieu où elle peut exprimer ce qu’elle ressent. Elle bénéficie d’aides humaines et techniques, mais pas assez pour ses besoins. Pour pouvoir rester chez elle, elle cumule avec les aides prévues pour son époux. Ce dernier est hospitalisé en urgence. Elle n’a donc pu rester chez elle. Leur fils a dû trouver un hébergement temporaire rapidement. Plus de moyens lui auraient peut-être permis de rester dans son repaire. Elle est hémiplégique, dépendante physiquement et dépendante de son mari pour rester au domicile. Nos rendez-vous se sont poursuivis dans l’Ehpad où elle a été accueillie, elle a ainsi pu m’exprimer sa souffrance et sa colère.
Serge s’occupe de sa femme de 89 ans. Elle « perd un peu la tête, mais je suis là pour elle », me confie-t-il. À la suite d’une chute et d'une hospitalisation, elle est transférée en Ehpad. « J’ai tout fait pour qu’elle revienne à la maison mais mon domicile n’est pas adapté (étage) et mon épouse n’est plus suffisamment autonome pour revenir. Elle est malheureuse là-bas », me dit-il... Un silence, puis il reprend : « Enfin, c’est moi qui suis malheureux. »
L’art-thérapie permet aux personnes de déposer une souffrance sans nécessairement passer par la parole. La personne est actrice de sa séance, seul lieu où elle peut l’être encore quand la dépendance est trop forte. Se sentir exister, prévenir la fatigue psychique, c’est en tout cas l’enjeu de mes interventions. Je cherche et encourage de nouveaux partenaires à investir pour maintenir cette bulle d’oxygène au domicile des plus fragiles en me rapprochant des plateformes de répit ou des associations avec la volonté que la souffrance psychologique ne soit pas la grande oubliée du domicile.
Kerja Pierret, Art-thérapeute certifiée RNCP, Déléguée Régionale de la Ligue Professionnelle d’Art-Thérapie