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L’autonomie des intervenantes, belle idée ou piège à stress ?

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« Pour le dire autrement, ce n’est pas quand l’employée décide seule qu’elle réduit la fréquence des accidents mais lorsqu’elle consulte et croise les positions de l’ensemble des parties prenantes, ses pairs, sa hiérarchie mais aussi les personnes dont elles s’occupent », explique Stéphane Coillard, docteur en gestion et enseignant RH.

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[ABSENTEISME 18/21] Inspirés par les travaux du professeur de psychosociologie Robert Karasek en 1970, menés à Boston, sur la latitude professionnelle, les financeurs et employeurs de l’aide à domicile plébiscitent et développent peu à peu l’autonomie des aides à domicile. Cette orientation managériale doit s’accompagner d’un vrai soutien social et d’une participation collective aux décisions, sous peine d’un effet contreproductif.

Révolution du management et des pratiques

Dans de nombreuses structures, les aides à domicile gèrent non seulement leurs relations avec les bénéficiaires et leurs familles, mais peuvent aussi modifier leur planning, voire le planning de leurs collègues. Dans certains établissements, elles participent aussi aux diagnostics des besoins des nouveaux demandeurs et à l’écriture du plan d’aide.

Si on peut évidemment se réjouir du respect grandissant de leurs compétences, la question est de savoir si cette évolution réduit bien le stress et améliore réellement les principaux facteurs de celui-ci, surcharge de travail, pression temporelle, tensions de rôle ou incertitude professionnelle.

Si une partie des aides à domicile font état de leur satisfaction, la plupart exprime une nouvelle inquiétude, celle de voir les chefs d’équipe et autres cadres intermédiaires disparaître et les laisser seules faces aux demandes parfois contradictoires des familles et des bénéficiaires.

Karasek ne parle pas d’autonomie mais de « job control », ce qu’on traduit généralement par « latitude décisionnelle ». Il envisageait ce « contrôle » plutôt comme la capacité de l’employé à prendre des décisions dans la pratique de son travail et pas nécessairement comme une participation aux décisions de gestion de la structure. Pour être plus concret, comme une plus grande liberté dans ses tâches quotidiennes et pas sur l’organisation des plannings ou la répartition des bénéficiaires entre employées.

En effet, les intervenantes à domicile se jugent compétentes et responsables des gestes qu’elles prodiguent à leurs usagers, mais rarement sur la gestion générale. Et si leur pratique peut générer des questionnements et des responsabilités, elles disposent grâce à leur formation, quand elle existe, à leur contrat et surtout à leur expérience des moyens pour en décider. En revanche, quand la décision à prendre induit des tensions avec la famille, elles préfèrent solliciter leur chef d’équipe pour fixer les limites de leur mission ou leurs collègues pour obtenir un conseil.

De l’autonomie au soutien social

Cette attente, concomitante à « l’autonomie » renvoie à un autre concept que Karasek à adjoint à l’autonomie après ses travaux avec Theorell dans les années 1990 : le soutien social.

Les deux chercheurs montrent que l’autonomie est bien protectrice du stress mais seulement lorsqu’elle est associée à un soutien social, c’est-à-dire à l’aide réelle qu’apporte les autres acteurs de l’établissement à l’employée.

En fait, ce soutien se décompose en deux éléments complémentaires : le soutien professionnel et le soutien moral. Le premier est surtout un appui technique, conseil des collègues, retour d’expériences, formation aux postures ou aux cas complexes, propositions de réponses à apporter aux bénéficiaires agressifs... Le soutien moral est plus personnel et diffus. Il peut toucher à la vie privée, conversations à bâtons rompus sur la vie de couple ou compliments pour le bac du petit dernier, mais aussi concerner les tensions au travail.

C’est donc les deux éléments ensemble, autonomie et soutien social, qui protègent les employées du stress et des accidents de travail.

Les recherches que j’ai menées ces dernières années rajoutent un élément important à ce point, en différenciant plusieurs niveaux d’autonomie.

Il y a en effet une grande différence pour les employées entre le travail qu’elles réalisent tous les jours et le cadre général de leur emploi. Dans mes travaux, comme beaucoup, j’ai d'abord pris l’autonomie comme une globalité, considérant qu’il est toujours mieux que les employés puissent participer à toutes les décisions, y compris celles qui touchent à la stratégie de la structure qui les emploient. Ainsi, étudiant la relation entre autonomie et accidents du travail, je m’attendais à trouver un niveau de sinistralité élevée lorsque les décisions venaient surtout de la hiérarchie, et une sinistralité faible lorsque les employés disposaient d’une grande marge de manœuvre. Si mes résultats ont bien conforté la première hypothèse, ils ont montré tout autre chose pour la seconde.

Pour les employés que j’ai interrogés, la sinistralité est la plus faible quand les décisions sont partagées entre l’employé lui-même, ses collègues, l’usager et la hiérarchie.

Pour le dire autrement, ce n’est pas quand l’employée décide seule qu’elle réduit la fréquence des accidents mais lorsqu’elle consulte et croise les positions de l’ensemble des parties prenantes, ses pairs, sa hiérarchie mais aussi les personnes dont elles s’occupent. Les décisions qu’elle prend alors sont le fruit de ces échanges pluriels. Naturellement, ce mécanisme, qui prend du temps, n’a pas de sens pour l’essentiel des tâches qu’elles assument mais se met en marche dès lors qu’une tension apparaît entre des objectifs contradictoires.

Différencier autonomie et participation aux décisions

Ainsi, l’autonomie de l’employée se trouve limitée aux tâches qu’elle contrôle réellement et la responsabilité de l’action est assumée soit par la professionnelle seule parce qu’elle sait ce qu’il faut faire soit après consultation des autres instances.

Cette autonomie, opérationnelle, n’intègre pas le cadre général de son travail qui reste lui à la main de son établissement. Dans les services où l’employée participe à ce type de décisions, elle risque de se trouver régulièrement en tension entre les enjeux de son employeur (productivité, comptabilité, communication) et celles de ses missions (bien-être du bénéficiaire ou sa propre sécurité). Les paroles des professionnelles interrogées vont dans ce sens. La plupart souhaite que leur hiérarchie les laisse libres dans leur organisation quotidienne mais qu’elle se charge des questions globales. Elles attendent de celle-ci qu’elle fixe les limites de leur travail, les objectifs financiers ou commerciaux, qu’elle arbitre les tensions avec les familles ou les bénéficiaires eux-mêmes et ne les laisse pas seules faces à des injonctions contradictoires. Comment par exemple trancher seule sur une demande de nettoyage de vitres en hauteur ou le changement d’une ampoule sans augmenter sa charge mentale ? Deux points semblent essentiels.

En premier lieu, l’autonomie est nécessaire mais pas suffisante pour améliorer les conditions de travail. Elle doit être complétée du soutien social de ses collègues et de sa hiérarchie. On augmente la marge de manœuvre des intervenantes tout en organisant des rencontres régulières entre elles, des formations adaptées, en leur donnant la possibilité d’exprimer leurs difficultés, de demander de l’aide, de partager leurs expériences.

En second lieu, il faut différencier autonomie et participation aux décisions. Cette dernière accroît la responsabilité des employées sur des points non maîtrisés, multiplie les tensions de rôle, et augmente le stress.

Sur ce point, l’employeur a plutôt intérêt à conforter le cadre des interventions, en clarifiant les contrats de travail, en définissant les règlements et chartes diverses, en précisant la prise en charge des bénéficiaires.

C’est à ce prix que l’autonomie reste bénéfique aux employées et aux employeurs et améliore réellement les conditions de travail des aides à domicile.

Stéphane Coillard, docteur en gestion, enseignant RH

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