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« L’aide à domicile, acteur pourtant majeur de la prévention, est aujourd’hui sinistré »

« Je pense que les aides à domicile ont un rôle majeur à jouer en termes de prévention, car elles ont cette connaissance de la personne sur la durée. C’est aussi pour ça que le turn-over est si catastrophique », expose Annie Dussuet, enseignante-chercheuse émérite à Nantes Université.

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[REPERAGE DES VULNERABILITES A DOMICILE 18/19] A l’heure où la loi du 8 avril 2024 pour bâtir une société du « bien vieillir » et de l’autonomie mise sur la prévention de la perte d’autonomie, les services à domicile sont confrontés à des difficultés financières et de recrutement. Acteurs de proximité des personnes fragilisées par l’âge ou la maladie, peuvent-ils jouer un rôle de veille sanitaire ? Sociologue, Annie Dussuet travaille depuis trente ans sur la qualité de l’emploi et les conditions de travail dans les secteurs féminisés de l’accompagnement et de l’aide à domicile. L’enseignante-chercheuse émérite à Nantes Université nous livre des pistes de réflexion.

Des plans d’aide non pourvus, des aides à domicile aux abonnés absents, un turn-over important et dans le même temps une population vieillissante, toujours plus nombreuse à souhaiter rester « le plus longtemps possible » à domicile. Et si la prévention pouvait être la solution pour sortir de cette impasse ? Oui mais sans financement et sans reconnaissance de l’importance du secteur, l’équation semble impossible.

ASH : Alors que la majorité des Français souhaite vieillir et mourir chez eux, on parle davantage de « maintien à domicile » que de « vivre à domicile ». Qu’est-ce que cela dit de l’accompagnement proposé ?

Annie Dussuet : Ce vocabulaire laisse supposer que l’attention portée à la personne n’est pas très importante, que ce n’est pas elle qui décide. Mais je pense que cette terminologie n’est pas vraiment le problème. Il existe un consensus du côté des gens âgés, de leurs proches ou des pouvoirs publics pour dire que le domicile est une meilleure solution par rapport à l’institution collective d’hébergement et ce, pour des raisons diverses.

Pour le public âgé, l’idée est de rester dans son cadre de vie et de disposer de son propre espace privé. Du côté des pouvoirs publics, il y a deux raisons majeures. L’une d’abord d’ordre démocratique, en particulier à travers l’idée que la liberté d’agir, d’aller et venir par exemple, serait mieux garantie quand on est chez soi (plutôt qu’en institution). L’autre éminemment financière, car le maintien à domicile coûte moins cher. C’est vrai en termes d’investissement, mais pour le reste, c’est une illusion. Car quand les incapacités s’accroissent, ça devient plus coûteux dès lors qu’il faut plusieurs passages par jour, une garde nocturne… et si ce travail est rémunéré décemment. Ce qui n’est pas toujours le cas et explique le moindre coût.

En effet, outre la rémunération trop faible des aides à domicile, n’oublions pas le travail invisible et gratuit des aidants. Quand une personne en perte d’autonomie décide de rester chez elle, l’entourage est aussi automatiquement mobilisé pour prendre le relais. Les proches sont plus difficiles à solliciter pour les personnes vivant en structure collective, même s’il existe aussi.

J’aurais toutefois envie d’insister sur le fait qu’il n’y a pas que cette raison financière qui intervient quant à la décision de rester chez soi. Entre le domicile et la structure collective d’hébergement, le différentiel s’explique aussi peut-être par le fait que la qualité de service est moins grande en Ehpad, au sens où la notion d’espace privé y est quasiment inexistante. Et pourtant, cet espace est fondateur de l’autonomie.

La loi 8 avril 2024 vise à renforcer le pilotage de la prévention. A l’heure actuelle, le repérage précoce est-il opérationnel à domicile ?

La première question qui s’impose aujourd’hui est : qui va faire ce repérage ? Le problème auquel on va se heurter si on veut être opérationnel, c’est la question du recrutement et de la formation des aides à domicile. Le secteur de l’aide à domicile, pourtant acteur majeur de la prévention, est aujourd’hui sinistré. Il ne faut pas omettre cette réalité. Si on souhaite favoriser la prévention, on ne peut pas compter sur les personnes elles-mêmes. Ni sur le médecin traitant, car encore faut-il qu’il existe, et qu’il se déplace à domicile, ce qui est désormais rare. Toutes ces interrogations doivent être prises en compte. La réponse peut venir des aidants familiaux.

D’ailleurs, on voit bien que les dossiers APA sont déposés par les proches de la personne aidée qui sont aux premières loges, quand ils prennent conscience d’une dégradation de la santé et d’une limitation des capacités. Le problème est qu’ils ne savent pas vers qui se tourner. Selon moi, il manque un service public de l’aide à domicile. C’est-à-dire un service territorialisé, de proximité, un lieu qui serait là non seulement pour enregistrer les demandes, mais surtout pour y répondre en organisant l’aide à domicile au quotidien et en assurant le suivi. Je ne suis pas sûre que toutes les structures qui ont été mises en place ces dernières années, que ce soient les CLIC ou le guichet unique départemental prévu par la loi récente, soient une réponse suffisante et efficace pour les aidants.

Faire de la prévention ne se décrète pas. Les professionnels du domicile sont-ils formés ?

Avant de s’interroger sur la formation ou même la sensibilisation, encore faut-il qu’ils existent en nombre suffisant. Or, on est dans une situation où des plans d’aide ne sont pas exécutés car il n’y a personne pour accompagner à domicile. A mon sens, ce qui compte dans la prévention, c’est la présence, la régularité, la connaissance de la personne sur le long terme. Je suis très sceptique sur les tests réalisés de façon ponctuelle par des experts extérieurs censés mesurer la perte d’autonomie Comment peut-on tester une personne sans connaître sa biographie, sa vie d’avant ?

Je pense que les aides à domicile ont un rôle majeur à jouer en termes de prévention, car elles ont cette connaissance de la personne sur la durée. C’est aussi pour ça que le turn-over est si catastrophique.

Il y a en effet tout ce qui n’est pas explicite et qui existe, malgré tout, quand une professionnelle (1) intervient à domicile. Même si c’est pour du ménage, elles ont un travail de veille sanitaire qui n’est jamais défini comme tel. Au dire même des professionnelles, le ménage est finalement plutôt un prétexte, un outil, pour démarrer une mission. Il constitue une porte d’entrée du domicile.

La difficile concrétisation du rapprochement entre SAAD et SSIAD (soin et accompagnement) ne révèle-t-elle pas le problème culturel de pratiques professionnelles et l’impasse dans lequel se trouve le virage domiciliaire ?

Le rapprochement est certes la voie à suivre étant donnés les recouvrements de tâches. Mais là aussi, encore faut-il qu’il y ait des SSIAD... !. Dans un certain nombre de territoires il y en a tellement peu que ce rapprochement avec les services à domicile n’a pas de sens. Mais quand il y en a, la question des carrières et des filières professionnelles des salariées se pose entre les aides-soignantes des SSIAD et les aides à domicile des SAAD. Du fait des différences de financement (à l’heure pour les SAAD avec l’APA, à la personne pour les SSIAD avec la CNAM), les conditions d’emploi et de travail ne sont pas les mêmes.

N’est-il pas paradoxal de penser que les aides à domicile sont les plus à même de repérer des vulnérabilités sachant qu’elles sont des professionnelles fragilisées et précarisées ?

On a l’impression qu’on tourne en rond. Dans l’aide à domicile associative, ce qui est triste, c’est que déjà en 2002, l’accord sur les rémunérations et les qualifications devait être une réponse aux problématiques du secteur. Et finalement, trois ans après, le plan Borloo a tout changé. Vingt ans plus tard, la signature de l’avenant 43 avec la rénovation de la classification, laissait présager une respiration. Mais quasiment trois ans après son application, l’augmentation des salaires a été grignotée par l’inflation. Il y a eu un effet symbolique sur le moment, mais pas l’appel d’air escompté. Et là, une des raisons vient du fait qu’il n’y a pas eu de vraie réflexion de la part des partenaires sociaux sur les compétences à exiger à l’entrée au premier niveau, laissant la porte ouverte à tout le monde, c’est-à-dire à des personnes sans expérience et sans diplôme pour un salaire à peine supérieur au SMIC. Ce n’est pas le meilleur moyen pour attirer des personnes motivées et engagées.

Malgré la sinistrose, certains services à domicile innovent et défendent la prévention. Comment généraliser ces initiatives locales ?

Il est important de parler de ces innovations qui invitent à l’optimisme. Le problème reste leur mode de financement, souvent sur appels à projets, et donc non pérenne. C’est ce qui les empêche de se développer. Et là encore, la question du temps de travail, de ce qui est rémunéré ou pas est centrale. La prévention doit prendre en compte tous ces temps : ne pas séparer les interventions de prévention et les autres destinées aux actes de la vie quotidienne. L’imbrication entre les deux est inhérente à la démarche préventive.

Dans certaines associations, des interventions pour assurer du « lien social », des animations hors du domicile se mettent en place. Leur rôle de prévention est indéniable. Or, il y a beaucoup d’aides à domicile qui, après avoir suivi une formation, seraient partantes pour diversifier leur travail en faisant de l’animation de groupe, comme ce qui se fait en accueil de jour. Ce sont d’ailleurs des structures qui pourraient se rapprocher des services à domicile. On pourrait imaginer des passerelles entre métiers, qui soulageraient certaines professionnelles souffrant de troubles musculosquelettiques, par exemple. Mais, la façon dont la loi Grand âge tellement attendue, a été repoussée laisse penser que la question de la prévention n’est toujours pas une priorité.

Alexandra Marquet, journaliste, chef de rubrique

 

Notes de bas de page

(1) Terme féminisé sachant que 98 % des aides à domicile sont des femmes.

 

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