Ceci expliquant cela…
2 250 0000 de journées de travail perdues par an selon l’Assurance maladie. Derrière ce chiffre impressionnant, les professionnels du secteur du domicile sont en moyenne arrêtés 82 jours en raison d’accident du travail et 192 jours pour maladies professionnelles. Et si le parallèle avec le secteur du BTP ne surprend plus personne, l’absentéisme traduit-il un mal ancien, une maladie chronique, contre laquelle aucun traitement ne semble faire effet ? Des chiffres qui doivent être en tout cas remis dans leur contexte, à savoir une demande exponentielle d’accompagnements à domicile de personnes âgées, en situation de handicap ou malades à l’heure où l’institutionnalisation ne séduit plus.
Le vieillissement de la population française conjuguée au virage domiciliaire engagé ne devrait pas améliorer la situation à court terme, elle devrait même se dégrader entre pénurie et épuisement des professionnels constamment rappelés sur leurs jours de repos. L’insuffisance budgétaire et le report sine die de la fameuse loi Grand âge apportent aussi un autre éclairage. Le domicile reste le parent pauvre des politiques publiques d’accompagnement des plus vulnérables. La preuve avec le tarif horaire de 23,50 euros qui ne permet pas de financer des réunions collectives qualifiées d’ailleurs de temps dits « improductifs » par les Tutelles alors que les transmissions sont obligatoires dans les Ehpad ou à l’hôpital.
Quand la fatigue des uns conduit à l’insécurité des autres
Dans ce contexte, le nombre de journées de travail perdues n’est plus (si) impressionnant mais somme toute logique face à un métier sous-estimé, où la formation demeure éloignée des réalités quotidiennes, où les tâches ménagères prédominent dans l’inconscient collectif alors même que les assistantes sociales mettent à jour la perte d’autonomie dans les plans d’aide. Et que dire quand du matin au soir, le quotidien n’est fait que de rencontres avec des personnes vulnérables, malades, à bout de souffle ? Généralement la fin de la mission annonce soit un décès, soit une institutionnalisation. La fatigue psychologique et physique se mêlent progressivement et conduisent inévitablement à des arrêts maladie plus ou moins longs.
Quelques semaines avant son décès, Marcel Nuss avait pris sa plume pour dénoncer une ultime fois « l’insécurité permanente » et « la galère quotidienne » vécues par ceux qui attendent le passage d’une auxiliaire de vie qui parfois ne viendra jamais. Lui, qui a toujours privilégié l’emploi direct, semblait découragé avec une forte préoccupation : le nombre toujours plus restreint de candidats.
Autonomie et encadrement vont de paire
Du côté des services à domicile, l’heure est à l’action. Pour tenter d’enrayer le cercle vicieux, les responsables multiplient les initiatives en privilégiant la qualité de vie au travail avec en tête une nouvelle organisation basée sur davantage d’autonomie et de reconnaissance des équipes.
Pourquoi ne pas donner le pouvoir de décisions à celles et ceux qui subissent depuis longtemps une organisation verticale alors qu’ils « savent » ?, s’interrogent de plus en plus de directions. D’autres se tournent vers un nouveau métier ; celui d’assistante polyvalente à l’interface entre la gestion et le terrain avec surtout la possibilité d’être mobilisée en dernières minutes pour gérer les urgences en cas d’absence non remplacée. Formations, équipements... les plans d’investissement se multiplient. Sans le moindre effet, selon bon nombre de dirigeants de services à domicile.
Enfin, pour contrer le nombre de journées perdues dans le secteur du domicile, l’INRS a communiqué sur des offres et subventions pour prévenir les risques professionnels.
Si la solution miracle n’existe pas, certains ont vu les arrêts maladie fondre comme neige au soleil depuis l’instauration des pairs salariés mais regrettent que ce moyen coercitif soit plus efficace que le bon sens. Car dans le secteur, la quête de sens n’est jamais bien loin. « Le métier ne devrait pas se choisir pour hasard, ni faute de mieux », ne cessait de répéter Marcel Nuss qui militait certes pour « une montée des compétences » mais aussi « des exigences ». Tous restent en tout cas mobilisés et combatifs alors qu’un service à domicile affirme haut et fort vouloir atteindre « l’objectif 0 accident du travail », comme pour défier l’avenir. Si le bouleversement de l’organisation est en marche, des experts mettent en garde contre l’autonomie à tout crin qui doit être avant tout accompagnée d’un « soutien social, professionnel et moral ». Dans le cas inverse, c’est le stress et l’isolement qui l’emporteront. L’enjeu est de conduire les équipes à une participation aux décisions. La nécessité de l’encadrement et des temps collectifs devra ainsi s’imposer pour sécuriser autant les professionnels de terrain que les publics vulnérables, sinon c’est la mort annoncée du malade qui ne pourra être que constatée.