Risques d’intoxication (avec des produits ménagers), de chute, de contamination, de blessure lors des manutentions, d’accidents (lors des déplacements) ou encore d’atteintes psychologiques liées au stress ou au fait de côtoyer au quotidien des personnes malades. Le quotidien des aides à domicile et auxiliaires de vie explique en partie le nombre d’arrêts maladie ou encore d’accidents du travail de ces professionnels mal reconnus et pourtant essentiels au maintien à domicile des personnes âgées ou en situation de handicap qui refusent l’institutionnalisation.
ASH : Le secteur du domicile est devenu au fil des années un des secteurs où les arrêts maladie et les accidents du travail sont les plus nombreux. Quel regard portez-vous sur ce constat et cette réalité ?
Franck Guichet : C’est le résultat d’une transformation majeure dans notre société, qu’on appelle la transition démographique ou encore la longévité. Il faut d’abord s’en réjouir : nous vivons de plus en plus longtemps et nous voulons profiter de toutes ces années pour continuer à savourer tous les petits et grands plaisirs de la vie, en commençant par les moments partagés avec nos proches. Pour la plupart des personnes âgées, cela signifie de pouvoir rester chez elles, même si pour cela il faut accepter de se faire accompagner et aider par des professionnels, qui vont venir pour assurer l’entretien du logement, des vêtements, et qui progressivement peuvent prendre un rôle de plus en plus important dans les actes de la vie quotidienne. Plus les personnes avancent en âge, plus elles ont besoin d’aide, et plus l’intervention des professionnels de l’accompagnement à domicile devient essentielle.
Si les accidents du travail sont devenus aussi nombreux, c’est parce qu’il n’y a jamais eu autant de personnes aidées à leur domicile, avec des besoins très importants pour la réalisation de tous les actes de la vie quotidienne. Et le domicile, ce n’est pas comme un établissement qui est conçu à la base pour prendre en charge la dépendance. A domicile, il n’y a pas toutes ces normes de sécurité, tous les aménagements, tout le matériel médical... A domicile, les professionnels sont en permanence en train de s’adapter. Et l’habitat des personnes âgées présente de nombreux risques, en particulier quand il faut aider une personne en perte de mobilité à se lever, à s’installer dans son fauteuil, à se déplacer : il y a beaucoup d’accidents, les personnes peuvent chuter et les professionnels peuvent se blesser en essayant de les retenir. Et puis il y a tous les accidents domestiques (se couper, se brûler, se cogner, s’intoxiquer, etc.) qui arrivent aussi de plus en plus fréquemment quand la dépendance augmente.
Quels sont les principaux risques pour les intervenants à domicile ?
Il y a quelques années, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) a effectué un travail poussé sur les risques dans l’aide à domicile, avec la publication d’une grille de repérage des risques (1). Il y est notamment question des produits ménagers, du nettoyage en hauteur, des équipements électroniques, de la qualité de l’éclairage, de l’encombrement du sol, des surfaces glissantes, des tapis, des escaliers, des ouvertures, des risques de contamination, des difficultés liées à la manutention, au transfert, au manque de matériel médical, aux conditions d’hygiène, à la qualité de l’air intérieur, aux installations électriques ou gaz…
Mais en plus de tous ces risques présents au domicile, il faut y ajouter les transports et les déplacements d’un domicile à un autre, qui sont très souvent une source de stress pour les professionnels car il y a un horaire à respecter, et cela peut parfois provoquer des accidents. Il y a enfin toute la gestion émotionnelle des interactions avec les personnes aidées et les proches aidants, qui expriment et déversent beaucoup de leurs angoisses sur les professionnels de l’accompagnement. C’est un risque majeur dans le travail d’accompagnement à domicile, auxquels les professionnels sont très exposés, sans avoir eux-mêmes de protection suffisante pour se mettre à distance de ces angoisses, ou de solution à proposer aux personnes.
Les arrêts maladie ne sont pas les mêmes selon l’âge des salariés : arrêts courts et plus fréquents pour les plus jeunes, arrêts moins nombreux mais plus longs chez les plus anciens... selon plusieurs directeurs de services à domicile interrogés. Qu’est-ce que ça dit du travail à domicile ?
A mon sens, cela souligne la nécessité de l’encadrement et des temps collectifs dans l’organisation du travail d’accompagnement à domicile. Les temps de réunions, les temps de régulation et de supervision, les temps d’analyse de la pratique, les temps de formation, sont indispensables pour les professionnels de l’accompagnement. Mais ils ne sont pas financés, ou seulement de façon très insuffisante. Le financement des services repose sur le tarif horaire, et avec un montant de 23,50 €, les services ne disposent pas des moyens pour payer les professionnels quand ils ne sont pas en train d’intervenir à domicile, mais juste d’échanger ensemble sur les situations qu’ils rencontrent, partager leurs constats et observations, réfléchir à des améliorations possibles, etc. Avec un certain cynisme, tout ce travail réflexif est qualifié par les financeurs de « temps improductifs ». Dans tous les métiers du sanitaire, du médico-social et du social, il est admis et reconnu que les professionnels ont besoin de ces temps de transmission et de régulation : sauf dans l’aide à domicile. Pourquoi ?
La pénibilité, le manque de formation, de reconnaissance et d’équipement sont-ils les seules voire principales causes de cet absentéisme chronique ?
L’absentéisme dans l’aide à domicile traduit bien l’importance que les financeurs accordent à ces métiers. L’absentéisme dans l’aide à domicile est un parfait reflet de la politique qui est menée : on nous promet depuis des années une grande loi, qui est sans cesse repoussée ! Les gouvernements se succèdent mais il y a une constante : les politiques sont aux abonnés absents.
Comment parler de la prévention du fait de la spécificité d’une intervention à domicile où le professionnel est justement seul ?
Dans l’aide à domicile, c’est principalement avec l’emploi direct, le gré à gré, que les salariés sont vraiment seuls. Dans les services autonomie à domicile, il y a un encadrement des salariés. Certes, les professionnels sont seuls quand ils réalisent les interventions à domicile, mais ils peuvent s’adresser à leurs responsables en cas de problème. Il y a une évaluation de la situation qui est faite par le responsable, qui permet de repérer certains risques, de proposer certains aménagements, la mise en place de matériel. Et ce travail d’évaluation permet au responsable de cadrer l’intervention par rapport à la personne aidée et aux proches aidants : il leur explique ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.
C’est exactement la même chose dans les services de soins à domicile avec le rôle de l’infirmière coordinatrice : les aides-soignantes interviennent seules, mais elles sont encadrées et elles font partie d’une équipe. Ce qui peut être perçu comme un risque par un professionnel qui se sent isolé et impuissant pour se protéger, devient un levier d’action pour agir dans la relation avec la personne aidée quand c’est aborder en équipe. Par exemple : le tabagisme. Quand l’intervention se déroule au domicile d’une personne qui fume, certains intervenants peuvent être extrêmement incommodés par l’odeur du tabac. Mais c’est difficile d’en parler avec la personne, de lui demander de ne pas fumer, car elle est chez elle. Quand ce problème est traité en équipe, les professionnels partagent leurs idées et trouvent vite des solutions pour agir. Et surtout, ils se mettent d’accord sur une position commune qu’ils vont adopter face à la personne : ce n’est plus à titre personnel qu’ils demandent à la personne de ne pas fumer pendant l’intervention, c’est en tant que professionnel.
La prévention est souvent le parent pauvre en France. Les services à domicile en sont-ils la principale illustration ?
Les services à domicile font déjà face à de multiples difficultés ! Dans ce contexte, ça me paraît difficile de leur reprocher de ne pas en faire assez en matière de prévention des risques. Il y a le problème du recrutement, le manque d’attractivité, le problème du sous-financement, les difficultés de gestion... Les directions consacrent leur temps à répondre aux urgences. Si l’activité était plus simple à gérer, les dirigeants du secteur pourraient s’investir de façon beaucoup plus massive dans la prévention des risques. Certains y parviennent d’ailleurs, de façon assez remarquable !
Quels sont les outils pour l’employeur et pour les salariés ?
Il existe différents outils de repérage des risques et de bonnes pratiques, comme ceux de l’INRS (2), ou encore ceux développés par l’IRCEM (3) ; il y a les CARSAT qui proposent différentes ressources, des indicateurs et des financements pour aider les services à mettre en place des démarches de prévention, il y a aussi des financements possibles via la dotation complémentaire pour des actions d’amélioration de la qualité de vie au travail. Pour les services, le document unique d’évaluation des risques professionnels reste l’outil principal, et le projet de service est aussi un moyen de programmer les actions à mettre en place. Mais la principale difficulté, c’est qu’il faut avoir du temps à consacrer pour mobiliser toutes ces ressources. Dans les services autonomie à domicile, toutes ces actions relèvent du rôle de l’encadrement, des responsables dont la mission consiste à prendre soin de ceux qui prennent soin. Voilà pourquoi les services doivent pouvoir s’appuyer sur des responsables de plus en plus qualifiés : mais encore faudrait-il qu’ils en aient les moyens !
Notes de fin de page
(1) Cf. le guide peut être télécharger en libre accès : https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%204298
(2) Cf. le guide de bonnes pratiques de prévention des risques professionnels : https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206148
(3) Cf. https://www.prevention-domicile.fr