Tableau de bord de la performance des établissements médico-sociaux avec l’intégration en 2024 pour la première fois des services à domicile, naissance d’un service d’information unique pour la gestion de l’APA, expérimentations initiées pour tester de nouvelles formules de financement ; les dossiers sont nombreux au moment même où un mouvement de recul de l’habilitation à l’aide sociale par les départements interroge les pouvoirs publics.
Les ASH: Les services à domicile rencontrent actuellement d’importantes difficultés financières et économiques, êtes-vous particulièrement inquiète ?
Aude Muscatelli : Il nous remonte des inquiétudes fortes sur les services à domicile, mais c’était le cas aussi l’année dernière puisqu’u fonds d’urgence avait été mis en place. Ces inquiétudes ne sont pas nouvelles dans un secteur structurellement en difficulté pour de nombreuses raisons. Nous ne disposons pas d’indicateurs précis sur les fermetures ou sur le fait que la situation soit davantage dégradée par rapport à l’année dernière. Par ailleurs, concernant les demandes des usagers qui ne trouvent pas de solution, ce sujet renvoie à l’attractivité des métiers et au manque de personnels, ce n’est pas seulement une question d’équilibre économique. L’inquiétude du secteur est légitime, car si on veut réussir le virage domiciliaire avec le soutien à domicile mais aussi le regroupement des personnes dans des résidences où les services à domicile interviendront, la demande va être croissante dans les prochaines années.
Vous dites que vous avez des remontées de difficultés, mais pas d’indicateurs précis. Comment savoir exactement quelle est la situation sur le terrain ?
Nous ne sommes pas à la manœuvre directement. Ce sont les conseils départementaux qui sont chargés du suivi et de la tarification des services à domicile, pour la partie de ceux qui sont autorisés, sachant que sous cette appellation générique « service à domicile » est regroupée une myriade de services aux statuts différents. Puisque nous ne disposons pas d’outils de remontées d’informations et de données très précises, nous sommes en train de consolider nos outils. D’ailleurs, il existe un tableau de bord de la performance pour les établissements médico-sociaux et pour la première fois, les services à domicile sont intégrés cette année. Néanmoins les choses prennent du temps, début octobre, ils n’étaient à peine que 50 % à avoir complété le tableau de bord. Normalement fin 2024, nous devrions donc disposer de données et le taux de remplissage devrait s’améliorer dès 2025 puis 2026.
Parallèlement, notre convention d’objectifs et de gestion prévoit la création d’un service d’informations uniques (SIU) pour la gestion de l’APA, le SI-APA. Ce service sera fourni aux départements pour leur permettre de mieux gérer l’ouverture des dossiers APA, leur instruction, la notification des droits et ensuite le lien avec les services à domicile. Ce SIU nous alimentera aussi en données beaucoup plus fiables. Ce sera donc une nouvelle source d’informations. Nous ne pouvons pas dire que nous naviguons à l’aveugle mais force est de constater qu’un pan de la prise en charge des personnes nous échappe encore largement.
Est-ce que les pouvoirs publics ont mis suffisamment de moyens sur la table pour accompagner les services à domicile ?
Beaucoup de moyens ont été injectés dans la branche de l’aide à domicile. En 2023, c’est 760 millions d’euros supplémentaires alloués aux services à domicile via les départements avec plus de 220 millions sur des revalorisations salariales, 240 millions sur une dotation complémentaire pour le financement des services à domicile (tarification horaire) et 293 millions pour le tarif plancher compte tenu de la grande disparité des tarifs au sein des départements. Lorsque le tarif plancher a fixé à 22 euros (soit une augmentation de 3 % en moyenne) alors que certains départements étaient à moins de 14 euros. Cela a permis de réévaluer les tarifs de la moitié des heures en 2022. Malgré tout, les difficultés sont toujours là, ce qui veut dire que soit ça ne suffit pas, soit les difficultés sont plus structurelles liée à l’organisation de ces services et on n’arrive pas à les résoudre. Ça pose donc la question d’une réforme de la tarification, mais aussi de l’organisation des services.
La réforme qui vise à offrir une meilleure complémentarité et collaboration entre le social (SAAD) et le médical (SSIAD) autour d’un « guichet unique » a pris du retard, n’est-ce pas un mauvais signal envoyé ?
Un glissement du calendrier a été accordé pour laisser le temps à cette réforme d’ampleur de se mettre en place sur les territoires. Il y a une inquiétude des SSIAD face à la fusion des structures en termes d’organisation et de gestion des ressources humaines. On doit prévoir une logistique et un accompagnement. Et puis, il y a sujet en lien avec la couverture territoriale (ce que l’on appelle le zonage) de chaque service. Qui dit zonage de service, dit organiser une offre d’aide et se soin la plus équitable possible pour les personnes, sans zone blanche, afin de répondre le plus possible aux besoins des usagers quelle que soit l’implantation du lieu de vie. La CNSA suit la réforme de manière très rapprochée. Nous avons signé des conventions avec les Fédérations représentatives du secteur de l’aide à domicile. Nous leur octroyons des moyens supplémentaires pour qu’elles aident leurs adhérents à travailler sur la réforme. Nous avons aussi un appel à la constitution de SAD mixtes permettant de financer dans les services, de l’appui juridique, de la formation aide/soin... Et enfin, nous animons la réforme avec la production d’outils, l’organisation de webinaires avec l’appui de l’ANAP qui va accompagner les gestionnaires. L’enjeu est de lever les freins. C’est une réforme importante et nous ne devons pas sous-estimer les obstacles qu’il y a dans les territoires. Actuellement, moins de 20 % des SSIAD se sont porté volontaire pour devenir des SAD mixtes. Le projet de rapprochement des SAD et des SSIAD va aboutir, mais nécessite beaucoup d’ingénierie. Si à terme on doit réformer la tarification horaire et injecter davantage d’argent pour le soutien à domicile, on ne pourra pas le faire si les services sont autant cloisonnés.
Nous ne pouvons pas dire que nous naviguons à l’aveugle mais force est de constater qu’un pan de la prise en charge des personnes nous échappe encore largement.
Les responsables dénoncent et critiquent généralement le système horaire et la volonté de tout minuter. Quel est votre regard sur ce modèle ?
Un seul modèle de tarification ne peut pas résoudre tous les problèmes qui sont multiples. La tarification est un modèle d’allocation des ressources qui vise des objectifs contradictoires. Il faut financer suffisamment le coût des services pour qu’ils puissent fonctionner correctement, qu’ils puissent embaucher suffisamment de personnels qualifiés. Par ailleurs, comme c’est une dépense qui est en partie solvabilisée par la puissance publique, il faut qu’on maitrise la dépense et le reste à charge des usagers. La tarification a ce triple objectif. Aucun modèle de tarification unique ne peut être parfait dans ces trois domaines. Aujourd’hui, on constate que la seule tarification horaire pose des problèmes. Certes elle garantit un certain nombre d’activités en direction de l’usager, mais elle ne permet pas de financer tout ce qui est hors intervention directe comme les temps de coordination, les échanges de bonnes pratiques ou encore les formations. D’autre part, il y a une certaine rigidité. Or, on constate une tendance, encore difficilement mesurable ; des départements qui déshabilitent les services à domicile qu’ils ne les tarifient plus. On n’a pas de maîtrise sur ces restes à charge. Il serait intéressant de savoir pour quelles raisons certains départements font ce choix. En tout cas, il y a un mouvement de recul de l’habilitation à l’aide sociale qui peut poser question.
Si la tarification horaire n’est pas parfaite, quelle autre solution est envisagée ?
A la suite de la loi Bien vieillir, la CNSA et la DGCS ont lancé cet été un appel à manifestation d’intérêt (AMI) auprès des départements et des services qui souhaitent expérimenter d’autres modèles de tarification. Nous leur avons donné des pistes. Pour l’instant, aucun département ne s’est positionné. Pour les départements et les services, s’engager dans une telle démarche a un coût que nous ne compensons vraisemblablement pas suffisamment. Par ailleurs, les départements rencontrent sans doute des difficultés à imaginer un autre modèle de tarification avec une ingénierie complexe.
Quelles sont vos pistes ?
Nous avons mis sur la table trois pistes :
- La tarification au forfait en fonction de certaines contraintes (transport, éloignement), certaines patientèles…
- Un modèle plus raffiné comme pour les SSIAD qui s’appuie sur une cotation des besoins des personnes accompagnées.
- Un mixte entre une tarification horaire et un forfait…qui permet de compenser les inconvénients de la tarification horaire, qui garantit un service à l’usager mais pas sa qualité.
Il y a des inconvénients à tout tarifier à l’heure mais y renoncer aussi. Nous sommes attentifs au modèle économique des services, mais il faut aussi le service rendu à l’usager qui soit à la hauteur des besoins et de qualité.
Si personne ne répond à cet appel à manifestation d’intérêt, comment pouvez-vous avancer sur la question d’une future réforme de la tarification ?
Tout le monde dit que le système est à bout de souffle, mais personne ne saisit l’opportunité que constitue cette expérimentation. Nous sommes bien sûr conscients qu’il y a d’autres réformes en cours qui concernent les départements, celle en lien avec les Ehpad par exemple. Certains veulent réformer mais ne veulent pas passer par une expérimentation. Peut-être que cette expérimentation n’a d’ailleurs pas été comprise et jugée nécessaire par les acteurs du secteur. Pour cette raison, nous allons lancer au cours du premier semestre 2025 une étude nationale de coût qui nous permettra de réfléchir à une future réforme de la tarification. Nous trouverons d’autres moyens pour lancer la réflexion mais nous ne le ferons pas seuls. Nous devons réfléchir avec les conseils départementaux, la profession, les fédérations de gestionnaires, d’usagers. Il faut mener des concertations pour dégager un consensus.
Alexandra Marquet, cheffe de rubrique