Situation personnelle
J’ai probablement la chance d’avoir rarement été confronté aux problèmes des arrêts maladie et des accidents du travail, alors qu’il suffit de parcourir les réseaux sociaux pour découvrir des personnes en situation de handicap, victimes de ce fléau. Mon fonctionnement m’a permis de me prémunir de ces désagréments parce que j’ai été accompagné, dans ces moments-là, par des personnes fiables, très professionnelles, donc adaptables. Il n’y a pas de mystère, tout était dans la conscience professionnelle des accompagnants ou des auxiliaires de vie, si l’on préfère.
Cela dit, bien sûr qu’il m’est arrivé d’être confronté à des déconvenues, c’est-à-dire à l’irresponsabilité et à la malhonnêteté de certains employés, des deux sexes. Car, dans ce genre de situation, ces deux mots prennent tout leur sens. Telle cette femme qui, alors que l’équipe était réduite, n’a pas hésité à mettre ses collègues en difficulté en se mettant en maladie du jour au lendemain. Il n’y a eu aucun signe avant-coureur ; elle se portait parfaitement bien. Pour autant, à posteriori, ce n’est pas vraiment étonnant étant donné qu’elle n’était absolument pas professionnelle, pas du tout investie dans le travail qu’elle faisait à mes côtés. Elle s’était mise en arrêt de maladie par commodité ; c’était la période de Noël, elle n’avait pas envie de travailler et ne se souciait pas des retombées de son absence dilettante. Mettre quelqu’un en danger et les collègues sous pression, c’est la dernière des préoccupations de personnes immatures et profondément égoïstes. Et elles sont pléthoriques dans le médico-social, c’est contagieux même.
Et pourtant ces arrêts de complaisance sont profondément maltraitants, pour la personne accompagnée, évidemment mise dans une situation précaire, et pour les collègues qui vont devoir assurer le remplacement par professionnalisme, renonçant au pied levé à leur journée de repos.
Les raisons du mal
Ce problème ne date pas d'hier, loin de là, c’est comme si c’était dans les gènes du médico-social. Et malheureusement, le problème n’a fait qu’empirer depuis l’épidémie de COVID en 2020. Désormais, c’est une véritable hécatombe.
Mais si le problème est aussi prégnant dans le secteur, ce n’est pas sans raison. Premièrement, les salaires sont indigents et les conditions de travail sont indignes. Deuxièmement, les formations aux métiers sont devenues désuètes, totalement déconnectées de la réalité du terrain, donc des besoins effectifs. Ces formations n’évolueront pas tant que les personnes concernées, par conséquent expertes de leurs conditions de vie spécifiques, ne seront pas impliquées dans la réforme des formations. Troisièmement, il y a un grave manque d'effectif. Que ce soit dans le cadre de l’emploi direct ou indirect, c’est dramatique et inquiétant. Aujourd’hui, la préoccupation majeure, angoissante et quasi obsessionnelle, c’est le problème de recrutement. Pour qu’il y ait arrêts de maladie ou accidents, encore faudrait-il qu’il y ait des employés.
Il paraît qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du travail, ce qui est à prouver. En revanche, ce n’est plus une rue qu’il faut traverser pour trouver des postulants, mais une autoroute, avec tous les dangers que cela suppose. Personnellement, j’ai vu le carambolage arriver, il y a une dizaine d’années. Les postulants se faisaient non seulement, de plus en plus rares mais, également, de moins en moins fiables et consciencieux.
Cela fait des années que je n’arrive plus à avoir une équipe au complet, ce qui augmente le stress. Car, avec une équipe incomplète, chaque indisponibilité d’un accompagnant représente un déséquilibre plus ou moins préjudiciable au fonctionnement de l’équipe.
Pourtant, je fais partie des privilégiés. En effet, étant en couple, mon épouse prend automatiquement en charge les absences. Mais à quel prix ? En fait, dans les conditions actuelles, tout repose sur les proches. Ainsi, un ami se retrouve à assumer quatre pleins-temps, son unique collègue venant de leur faire faux bond, à lui et à sa femme en situation de grande dépendance, pour des raisons de maladie. Qu’aurait-elle fait sans son mari ? C’est le placement dans un établissement médicalisé ou se laisser mourir (ce que je ferais si cela devait m’arriver).
Quelles solutions ?
Il n’y a pas de secret : il faut urgemment proposer de meilleures conditions de travail et beaucoup mieux rétribuer ces métiers particulièrement difficiles et exigeants afin d’encourager les vocations. Il faut réformer des formations désormais inadaptées. Il faut être plus sélectifs, beaucoup plus sélectifs ; le dilettantisme fait des ravages dans le médico-social. On attire essentiellement des personnes qui n’ont absolument pas de capacités à assumer des métiers ainsi responsabilisants.
Les accompagnés sont trop souvent des souffre-douleurs, un travail alimentaire et des tiroirs-caisses, dans un système qui exploite une certaine misère humaine sous dépendance et conditionnée à subir. Tout compte fait, c’est le médico-social dans son entièreté qui est malade.
Marcel Nuss, formateur et écrivain