La situation va continuer à se dégrader, mais…
L’accidentologie est telle qu’elle empêche de nombreux candidats à investir le secteur. Elle est maintenant à hauteur de métiers, qui étaient considérés, voici encore quelques années, comme les plus destructeurs tant sur le plan physique que psychologique. Ceux du bâtiment, de la construction étaient souvent cités. Les métiers de l’accompagnement des plus fragiles en aide ou en soin sont dorénavant sur leurs talons.
Inéluctable ? Fatalité ? Tout ce qui pouvait être fait a été fait ? Manque de financement ? Priorité à la continuité du service et aux bénéficiaires fragiles ? Je prends le pari d’imaginer que le pire n’est jamais sûr, que le mieux est possible et que le merveilleux est atteignable.
Le pire n’est jamais sûr...
Pour de nombreuses organisations (qu’importe le statut), la situation va se dégrader. Prenons la pénurie de personnel qui va s’amplifier en 2024 et les années à venir, elle implique une sur-mobilisation de ceux qui restent, jusqu’à une exploitation des temps disponibles qui outrepasse le bon sens. L’épuisement est un risque majeur dans les professions du prendre-soin car, au-delà de la charge de travail excessive, s’y ajoute la charge émotionnelle et physique représentée par la multiplication des temps courts et des domiciles. Car la pénurie, c’est aussi la réduction des plans d’aide afin de « caser » tous les bénéficiaires et amoindrir le choc des discontinuités de service. Un émiettement qui provoque de nombreuses avaries dont la perte de sens et la perte de la qualité de service.
On peut prendre également pour exemple le fameux virage domiciliaire. La volonté de rester chez soi le plus longtemps possible est respectable mais elle entraine, pour un personnel insuffisamment qualifié, formé, expérimenté (car le turn-over amène à cela) ou en santé précaire (car la charge de travail amène cela) une pénibilité accrue par la grande vulnérabilité des personnes accompagnées. La répétition des efforts physiques, le manque de temps, de coordination et de coopération entre les professionnels sont des éléments qui, dans le cadre de ce virage, vont accélérer l’exposition des salariés à des risques d’accidents. Les « jours heureux » ne sont pas pour tout de suite et les virages sont à angle droit.
Mais des solutions existent déjà…
Pour autant, après avoir noirci le tableau, effaçons-le et reprenons au feutre le meilleur des défis relevés par les services. Les formations sur la prévention des risques se multiplient et les intervenants sont encouragés à devenir des acteurs de leur propre prévention. L’échelon qui suit est « animateur-prévention-secours », pour soi comme pour d’autres. De nombreuses structures se sont appuyées sur cette fonction angulaire pour construire une démarche permettant d’atténuer les pénibilités du métier. Certains services d’accompagnement à domicile ont appuyé ce process par un soutien psychologique (gestion du stress et des émotions). Les recueils de bonnes pratiques sont également utilisés pour faire émerger une forme de culture autour des pratiques vertueuses visant le moindre risque professionnel.
La période COVID a aussi permis de mettre en lumière le besoin d’équipements de protection individuelle. Les masques sont maintenant utilisés pour faire face à tous les microbes et le gel hydro-alcoolique est dans tous les sacs. Au-delà, la bonne utilisation des aides techniques est maintenant favorisée par tous les préventeurs. Pour les services qui mettent un point d’honneur à protéger leurs collaborateurs, cela permet d’engager une forme d’acculturation à la qualité de la vie au travail plutôt qu’à la quantité du travail. Cette volonté amène des rapports différents (assimilable à une forme d’éducation autour du risque) avec le bénéficiaire et ses aidants tant dans le dialogue continu que dans l’adaptation de l’environnement de travail, donc du domicile, lieu de vie mais aussi lieu de travail.
Et le merveilleux, ça vous dit ?
Vous n’avez pas oublié que je prenais le risque de vous parler de merveilleux. Finalement, ce serait quoi ce bonheur si souvent espéré et rarement trouvé ? Suivez-moi… Si créer des boucles vertueuses était une solution, l’organisation du travail non seulement protègerait l’intervenant mais améliorerait sa santé autant physique que mentale. Il serait donc utile d’éviter les plans d’actions et d’inviter aux projets systémiques.
L’objectif est de transformer l’ADN de la structure. A partir de l’activité physique, de la relaxation, de la sophrologie, d’ateliers de bien-être.. ; à partir de temps de convivialité stimulant le vivre-ensemble et l’interconnaissance, voire le désir de les multiplier sur des lieux non professionnels ; à partir de l’organisation du travail : autonomie-responsabilité en premier lieu - choix des horaires et de la charge de travail, rotation des tâches en second - capacité à faire équipe autour du bénéficiaire et feedback permanent en troisième, enfin collaboration interdisciplinaire et innovation ouvrant à la reconnaissance et à la complémentarité des expertises. Ce qui peut amener à l’utilisation de la réalité virtuelle (exosquelette) pour réduire l’accidentologie ou à celle de l’analyse prédictive pour identifier les risques, sans oublier la nanorobotique médicale... Vous voyez, il est tout à fait possible de viser l’extraordinaire dans une approche résolument holistique.
Abel Pakap, dirigeant Api. Formations
