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Une société pour tous

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« Il y a autant de maladies d’Alzheimer que de personnes malades. Alors, si la personne est peut-être “différente”, il suffit d’essayer de déchiffrer “sa différence” », souligne Philippe Giafferi, conférencier et écrivain.

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[ALZHEIMER FRIENDLY 1/16]  La société (du latin socius : « compagnon, associé ») est un groupe d’individus unifiés par un réseau de relations, de traditions et d’institutions. Ce groupe partage des mœurs et des coutumes au sein d’une organisation sociale, dans laquelle, semble-t-il, il n’est pas réalisable que chacun vive une vie purement individuelle.

Des références

La première des références pour que notre société accepte cette maladie, est peut-être de la considérer comme une maladie comme une autre, et non comme une maladie taboue, ce qui fut le cas pour le sida dans les années 1980 en France et dans le monde. A cet effet, il faut reconnaître que la maladie d’Alzheimer « se montre » aujourd’hui dans des œuvres de fiction :

  • Le film Still Alice en 2014 (adaptation du roman éponyme de Lisa Genova ; une linguiste diagnostiquée avec une forme précoce de la maladie d’Alzheimer).
  • Le livre La mémoire évanouie en 2023 paru chez Nombre 7 éditions (A Lens, la maladie d’Alzheimer bouleverse la vie de Sonia, institutrice à la retraite).

La seconde est d’apprivoiser ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Il est vrai que son origine, à ce jour, est toujours incertaine ; il est vrai qu’elle est parfois un sujet d’effroi qui alimente toutes les peurs liées au vieillissement ; il est vrai qu’elle nourrit de nombreuses plaisanteries dès qu’un oubli se manifeste ; il est vrai que son traitement médiatique peut être un peu trop alarmiste. Dans le but de rester dans un cadre logique et médical, il est possible de la nommer maladie de l’intelligence et de la mémoire, sans omettre qu’elle est avant tout une maladie de la vieillesse ; non pas une sénescence, mais une sénilité, et surtout pas une démence (mot dérivé du latin et signifiant « perte de l’esprit » au Moyen Âge, synonyme de folie).

La troisième est de s’appuyer sur l’éthique, dont l’objectif est d’indiquer comment les êtres humains doivent se comporter et agir entre eux et dans un espace. L’association Partage & vie s’est donné sa définition de l’éthique : « C’est également s’interroger sur ses pratiques avec une vraie lucidité ; car “l’intendance” est une chose, l’éthique en est une autre. C’est-à-dire qu’elle n’est pas “décorative”, mais concrète, humaine. Ces deux éléments doivent donc se rencontrer, échanger, cheminer ensemble et s’élaborer réciproquement. L’éthique n’est pas un simple discours ou un cours ou un dogme, mais un climat ou une atmosphère, un état d’esprit concrétisé dans les multiples gestes du quotidien. »

La quatrième et dernière est de considérer que la personne atteinte de cette maladie est « un corps sujet et non un corps objet », d'après Thierry Janssens dans son livre La solution intérieure. Par ailleurs, il y a autant de maladies d’Alzheimer que de personnes malades. Alors, si la personne est peut-être « différente », il suffit d’essayer de déchiffrer « sa différence ». Nonobstant cette singularité, il faut éviter de déformer notre vision de cette maladie : clichés de naufrage et perte d’identité, tout en refusant d’interpréter ce que nous apprécions plus ou moins bien et de comparer notre réalité à celle du malade.

Des démarches

« Dura lex sed lex. » (1) La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 dit : « Elle est conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains, avec l’objectif de répondre de façon adaptée au besoin de chacun d’entre eux. » Plus tard, en 2011, la charte Alzheimer Éthique et société explique, à travers un texte de dix lignes, que les personnes souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, quel que soit leur âge, ne peuvent être caractérisées par leur maladie et les pertes que cette dernière entraîne. Entre ces deux dates, la fondation nationale de gérontologie, en 2007, publie la charte des droits et libertés de la personne âgée dépendante ; son intention étant de préserver les droits et libertés des personnes âgées dépendantes et de garantir leur dignité.

« Honni soit qui mal y pense. » (2) Le soignant et l’aidant ne doivent pas se focaliser uniquement sur le diagnostic. Il s’agit d’une personne, avant d’être une maladie. Alors, ils doivent bien connaître cette personne et cette maladie ; cela supprime les multiples perturbations au niveau de la communication et donc de la relation. Relation, qui se transforme en une triangulation naturelle : l’aidant de la personne accompagnée est l’une des solutions pour faciliter le soin – to care – avec le soignant, car il est le lien naturel entre la personne malade et lui, il la connaît, ils sont en correspondance depuis très longtemps. Si les choses sont bien nommées, si chacun sait où est sa place, si l’interaction est là pour la personne accompagnée, tous ces si disparaîtront avec le temps.

« Qu’est-ce qui dépend de moi, qu’est-ce qui ne dépend pas de moi ? » (3) Au-delà de ces démarches, au-delà de tous ces textes juridiques et éthiques, au-delà d’apprentissages plus ou moins bien maîtrisés, qui ne dépendent pas toujours de nous, il dépend de l’accompagnant de pénétrer l’univers de l’autre tout en gardant son sang-froid et son objectivité, de ressentir ce qu’il ressent, de comprendre ce qu’il comprend, d’accepter la relation comme une construction mutuelle et dynamique, de désamorcer la probable difficulté de la rencontre. Il lui suffira, du coup, de « marcher dans les chaussures de quelqu’un d’autre » pour appréhender ses défis, ses luttes, ses peurs, et de sortir de lui-même, sans éprouver pour autant les mêmes émotions. Tout simplement, sans compassion, sans altruisme, sans sympathie ; avec gentillesse, avec empathie.

« Carpe diem. » (4) Cette ultime démarche demande ne pas vivre à la place de l’autre, mais de savoir que l’on peut quelque chose par la présence et l’écoute, en acceptant l’inachevé, l’imperfection des attentes, sans le vivre comme un échec personnel. Elle suggère d’aller vers l’autre – Ad ; vers, en direction de... –, de donner du temps au temps, de rester neutre, d’être patient, disponible, de partager – Cum panis ; « avec qui on partage le pain » – Il ne s’agit que d’un Chemin, à parcourir avec la personne, sans la précéder ni lui imposer une route ni lui indiquer un itinéraire ; en marchant à ses côtés, en la laissant libre de choisir sa route, en n’ayant qu’un rôle de passeur. Elle recommande d’avoir conscience que l’accompagnant se remet en cause avant de remettre la personne accompagnée en cause, et que ses solutions ne sont que les siennes et pas celles de l’autre.

Parce que très souvent une citation, sous la forme d’une métaphore, propose une image concrète d’un contexte bien précis, nous pouvons conclure avec celles-ci d’Antoine de Saint-Exupéry :  

  • « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. » (Le petit prince)
  • « Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. » (Citadelle).

Philippe Giafferi, conférencier et écrivain

 

Notes de bas de page

(1) « La loi est dure, mais c’est la loi. »

(2) « Celui qui a de mauvaises pensées à ce sujet devrait être honni », phrase prononcée par le roi Édouard Trois, alors qu’il attachait la jarretière de sa favorite qu’il avait malencontreusement fait tomber.

(3) Phrase du philosophe grec Épictète.

(4) « Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain. »

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