Un espace intelligible et aménagement rassurant
Afin que la déambulation devienne davantage source de bien-être et d’apaisement, il est nécessaire que l’espace jardin ne génère pas d’inquiétudes dues au manque de lisibilité pour ses visiteurs. C’est ce que l’urbaniste américain Kevin Lynch nomme, le principe de « lisibilité », permettant une sécurité émotive, dans son livre L’image de la cité. Une compréhension de l’espace et des circulations pour toutes et tous, quelles que soient les incapacités de compréhension, de décryptage, découlant de la maladie. Chaque personne qui arrive au jardin doit très rapidement en comprendre la logique de déambulation, la marche à suivre, le mode d’emploi. Si l’écriture n’est plus à la portée de certains, les pictogrammes, et autres images pourront les remplacer, cependant la manière la plus naturelle et impactante reste encore de composer avec le vivant et l’existant.
Certains végétaux, non caduques, comme un pin (à l’exception des ifs très toxiques) ou un laurier-sauce peuvent par exemple être un repère dans un espace jardin en constant mouvement au fil des saisons. Il peut encore s’agir d’aménagement tels qu’une cabane, d’une serre fixe ou encore d’un banc qui serait toujours au même endroit. Enfin, cela peut être des éléments liés à la géographie naturelle ou fabriquée du lieu : une chaîne de montagnes au nord du jardin, une mare naturelle encerclée d’une jolie clôture en bois, un dénivelé significatif comme un saut-de-loup, une pente douce et longue avec une rampe ramenant au bâti...
Chaque élément du jardin, à condition qu’il ait un côté permanent, peut devenir un repère spatial rassurant. Cette notion de permanence peut également prendre forme par la fonction d’une zone. En effet, si une zone reste constamment associée à une fonction, une activité, un objectif ou à des moments très spécifiques et récurrents, alors elle peut de la même manière devenir familière ou rassurante par sa lisibilité. Par exemple cela pourra être, un banc où systématiquement la personne vient pour des consultations avec la psychologue du service, ou encore une placette où la personne se rend avec ses proches à chaque visite.
Ainsi, l’espace est davantage associé à la mémoire des émotions et des ressentis que par la perception physique ou la compréhension cognitive. Plus simplement, mais de façon tout aussi efficace, la zone réservée au potager ou aux activités liées au jardinage peut devenir un repère spatial fortement intelligible. La vue des légumes, des supports, les bandes de culture, les bacs, le robinet, les arrosoirs... rendent le potager identifiable. Ainsi des images à fortes connotations renvoyant à la notion de « potager » seront alors, associées au souvenir plus ou moins clair d’une activité régulière, des sentiments et émotions ressenties alors de manière récurrente. La combinaison entre le perceptible et le ressenti renforce le sentiment de sécurité.
Repères temporaux et espace stimulant
L’espace et les activités au jardin doivent permettre à celles et ceux qui le fréquentent où le contemplent, de mieux se situer dans les périodes de l’année, les moments de la journée. Ainsi instaurer des habitudes ou des rituels comme, un jour et heures précises de séances d’hortithérapie au jardin, aidera les bénéficiaires à savoir où ils en sont dans leur semaine ou dans le déroulé de leur journée. Quoi de mieux que de planter certains végétaux qui possèdent des repères phénologiques marquants. Un végétal qui remplit à merveille cette fonction et qui reste très accessible dans un budget serré, est sans nul doute, le fruitier. Ce dernier marquera chaque période de l’année parfaitement : printemps en fleurs, été en fruits, automne en feuilles colorées, hiver nu.
Après avoir garanti une certaine sécurité émotionnelle, chaque personne peut alors s’ouvrir aux différents stimulis offerts par l’espace. Apaisé, chacun peut davantage apprécier cet environnement majoritairement verdoyant, par simple immersion dans l’espace mais aussi lors de moments d’interactions avec d’autres personnes ou lors d’activités précises comme peuvent l’être les séances d’hortithérapie. La nature en elle-même est source de stimulation pour l’humanité, cependant lors de la conception et la mise en place de jardins de soins, une vigilance sera faite quant à la diversité des végétaux qui le composent.
Toujours dans l’esprit de maintenir cet état de bien-être, une attention devra être portée sur l’harmonie des couleurs et des matières utilisées dans la composition du tableau « jardin ». Nul besoin de morceler les stimulations par sens : un parterre de l’ouïe, un autre pour l’odorat... Cela reviendrait à en faire de même avec le fonctionnement général d’un être humain et renforcerait la stigmatisation des personnes atteintes de troubles neurodégénératifs. Si l’on prend l’exemple du « goût ». Le goût est un processus chimique associé à nos papilles gustatives. Cela restreint énormément le champ des possibles. En revanche si ce sens est abordé de manière plus holistique on parlera alors davantage de « saveur ». La saveur englobe goût, texture, odeur...
Face à des personnes qui souffrent de troubles cognitifs, la complexité de son corps n’est alors plus un frein, mais une source d’alternatives conscientes ou inconscientes lorsque cela est nécessaire. Comme une personne souffrant de cécité, qui voit sa capacité de développer d’autres manières de percevoir, les compositions paysagères ne devraient donc pas tenir compte d’un seul sens par massif mais bel et bien de la globalité de la personne et de ses capacités. Créer un jardin de soins, c’est avant tout offrir la possibilité d’entrer dans un processus d’auto-soins.
L’humain guérisseur
Est-ce encore nécessaire de rappeler que le pouvoir guérisseur d’un jardin passe avant tout par l’accompagnement professionnel et humain qui est prodigué ? Pour que le jardin prenne véritablement sa place de tiers soignant, il va de soi qu’il doit y avoir un trinôme : soigné/jardin/professionnel. Le jardin est bénéfique pour la santé certes, mais c’est bien l’association des trois protagonistes qui renforce son pouvoir guérisseur. Le regard et l’accompagnement d’un professionnel renforcent la dimension soignante et thérapeutique que le jardin, par sa nature, impose. Il en va de même dans la conception du lieu. Une participation active de ce trinôme en particulier celui des professionnels du soin, permet aux paysagistes de mieux interpréter les besoins en soins dans la composition paysagère et l’aménagement du jardin.
Un jardin mené par une équipe pluridisciplinaire où la parole des soignants est privilégiée sera le gage d’un outil d’aide à la thérapie adapté réellement aux besoins pour la thérapie et a fortiori à ses bénéficiaires. Cela renforcera l’occupation et l’implication de chacun lorsqu’il s’agira d’investir concrètement les lieux grâce aux activités d’hortithérapie. Avoir un cadre environnemental propice au bien-être semble être de plus en plus nécessaire dans un monde de plus en plus bétonné, mais la richesse et la spécificité d’un jardin de soins réside bel est bien dans l’accompagnement bienveillant et professionnel qui est fait.
Paule Lebay, infirmière, consultante Jardins de soins et autrice de Créer un jardin de soins ; Du projet à la réalisation, éd Terre Vivante
Notes de bas de page
(1) Créer un jardin de soins ; Du projet à la réalisation, Paule Lebay éd Terre Vivante • plusdevertlessbeton.com